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Après l’«avion de Bernard», le «pipeline de Patrick» veut traquer le projet géant de TotalEnergies en Ouganda

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Société si vile. Lancés cette semaine, une carte inter­ac­tive et un compte Insta­gram per­me­t­tent de suiv­re l’avancée des travaux du pipeline porté par Total­En­er­gies en Ougan­da et en Tan­zanie, alors que le procès inten­té au groupe par des ONG pour non-respect du « devoir de vig­i­lance » vient d’être reporté.

Une large coupe rase dans la forêt ougandaise, des étu­di­ants arrêtés lors d’une man­i­fes­ta­tion à Kam­pala, la cap­i­tale ougandaise, une anti­lope au milieu du chantier de la future zone de for­age qui doit voir le jour en plein milieu d’un parc nation­al… Après le suc­cès de « l’avion de Bernard » (notre arti­cle), le col­lec­tif Mémoire Vive suit désor­mais le gigan­tesque chantier d’Ea­cop, le pro­jet de pipeline de Total­En­er­gies en Ougan­da et en Tan­zanie sur le site et le compte Insta­gram « le pipeline de Patrick ». Un hom­mage au PDG du groupe, Patrick Pouyan­né.

« Suite à notre compte “L’avion de Bernard”, on a vu que le sujet des jets privés était devenu un sujet poli­tique, explique le col­lec­tif à Vert. On s’est dit que l’Ea­cop était une autre aber­ra­tion cli­ma­tique, (…) mais qu’il était dif­fi­cile à appréhen­der : c’est un pro­jet com­plexe, loin de chez nous. Mais son impact nous con­cerne tous. »

Pour le ren­dre vis­i­ble, Mémoire Vive s’appuie sur les images des satel­lites de l’Agence spa­tiale européenne, qui per­me­t­tent de suiv­re en temps réel les travaux sur une carte inter­ac­tive, ain­si que sur des pho­tos et des vidéos col­lec­tées sur inter­net. Le col­lec­tif espère ain­si jouer un rôle de con­tre-pou­voir pour dis­suad­er le pro­jet.

Un extrait de la carte inter­ac­tive de suivi des travaux. Cliquez pour y accéder © Le pipeline de Patrick

118 000 personnes déplacées pour le projet

S’il est con­stru­it, l’oléoduc reliera d’ici 2025 le lac Albert, en Ougan­da, sous lequel d’importantes réserves de pétroles ont été décou­vertes, au port Tan­ga, en Tan­zanie. En plus du parc naturel qui abrite les majestueuses chutes de Murchin­son, le pro­jet tra­verse plusieurs zones pro­tégées comme la réserve des chim­panzés de Budon­go ou la steppe de Wem­bere. Sa réal­i­sa­tion entrain­erait le déplace­ment d’environ 118 000 per­son­nes, selon plusieurs esti­ma­tions (notre arti­cle), soit « l’équivalent de la com­mune d’Orléans », comme le souligne Mémoire vive.

Début octo­bre, un nou­veau rap­port des ONG Survie et des Amis de la Terre pointait égale­ment d’importantes lacunes con­cer­nant la con­sul­ta­tion et le con­sen­te­ment des pop­u­la­tions affec­tées en Tan­zanie, révélant au pas­sage que les com­pen­sa­tions — dont les mon­tants ont été fixés par l’entreprise elle-même en 2018 en l’échange de l’expropriation des habitant·es — n’ont tou­jours pas été ver­sées (notre arti­cle).

Un procès attendu au mois de décembre

Pour empêch­er le pro­jet, six organ­i­sa­tions français­es et ougandais­es se sont saisies de la loi de 2017 qui impose aux multi­na­tionales un « devoir de vig­i­lance » au sujet des poten­tielles atteintes aux droits humains, à la sécu­rité des per­son­nes ou à l’environnement liées à leurs activ­ités. Après de mul­ti­ples reports, le procès doit se tenir le 7 décem­bre.

En sep­tem­bre, le Par­lement européen a aus­si adop­té en plénière une réso­lu­tion — non con­traig­nante — dénonçant « des inci­dences graves et délétères pour les pop­u­la­tions situées dans les zones d’extraction pétrolière et dans celle de l’oléoduc », ain­si que « les arresta­tions, les intim­i­da­tions et le har­cèle­ment judi­ci­aire dont sont vic­times » les mem­bres d’ONG locales. De nom­breux sci­en­tifiques, dont les co-auteur·rices du Giec Jean Jouzel et Valérie Mas­son-Del­motte, récla­ment aus­si son aban­don dans une tri­bune au Monde.

En atten­dant, le pipeline de Patrick con­tin­uera de suiv­re de près les travaux : « dans les prochaines semaines, on va dévelop­per des algo­rithmes qui vont nous per­me­t­tre de rassem­bler toutes les références à l’Ea­cop sur les réseaux soci­aux et ne rien man­quer », pour­suit Mémoire Vive. Le pro­jet se veut aus­si col­lab­o­ratif : les per­son­nes en pos­ses­sion de pho­tos et de vidéos con­cer­nant l’oléoduc sont invitées à les envoy­er aux créa­teurs du site afin d’être « col­lec­tive­ment, une force de dis­sua­sion ».