Décryptage

L’Allemagne ferme ses dernières centrales nucléaires : et maintenant ?

Décidé il y a plus de 20 ans, l’arrêt du nucléaire allemand se concrétise en pleine crise énergétique et climatique. De quoi raviver les critiques sur la dépendance du pays au gaz et au charbon.
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Sans tam­bour ni trompette, les trois derniers réac­teurs nucléaires alle­mands ont été décon­nec­tés du réseau élec­trique same­di. Isar 2, Neckar­wes­t­heim 2 et Ems­land avaient béné­fi­cié d’un bref sur­sis cet hiv­er pour par­er à la crise énergé­tique, mais leur arrêt de mort était signé depuis 2002. Cette année-là, le gou­verne­ment du social­iste Ger­hard Schröder avait décidé d’en finir avec l’atome. Il visait alors la fin 2021.

L’accident nucléaire de Fukushi­ma en avril 2011 avait encore accéléré le rythme : la chancelière chré­ti­enne-démoc­rate Angela Merkel avait alors stop­pé net les sept plus vieux réac­teurs et promis l’arrêt de tous à fin 2022. Au total, 19 cen­trales ont été débranchées entre 2003 et aujourd’hui, après avoir pro­duit jusqu’à 30 % de l’électricité alle­mande.

Evo­lu­tion de la pro­duc­tion alle­mande d’électricité (en térawattheures). Le char­bon est en con­stante diminu­tion et le gaz est resté glob­ale­ment sta­ble depuis dix ans. © AGEB / Tra­duc­tion par Vert

Ironie de l’histoire : l’adieu à l’atome, autre­fois con­sen­suel, ne fait aujourd’hui plus l’unanimité en Alle­magne. «C’est à la suite de la crise énergé­tique qu’il y a eu un change­ment d’humeur au sein de la pop­u­la­tion», con­state Der Spiegel, sondages à l’appui. Alors qu’en 2021, seul·es 25% des sondé·es s’opposaient encore à la sor­tie du nucléaire, elles et ils sont aujourd’hui 71% à souhaiter la pro­lon­ga­tion des cen­trales, qu’elle soit tem­po­raire (25%) ou illim­itée (46%). Après un hiv­er sous haute ten­sion, «les Alle­mands ont com­pris que la dépen­dance au gaz était prob­lé­ma­tique», témoigne Vin­cent Boulanger, jour­nal­iste français instal­lé à Ham­bourg.

Le gaz représente 20% de toute l’énergie con­som­mée en Alle­magne (con­tre 15% en France) dont plus de la moitié prove­nait de Russie avant l’invasion ukraini­enne. Mais alors que la crise a favorisé le nucléaire presque partout en Europe, l’Allemagne est à con­tre-courant : «elle con­tin­ue de compter sur le gaz et veut dou­bler la capac­ité des cen­trales dans les prochaines années», ful­mine Nico­las Gold­berg, con­sul­tant spé­cial­iste de l’én­ergie à Colom­bus Con­sult­ing. L’Allemagne promet de les con­ver­tir au gaz renou­ve­lable (biogaz, hydrogène vert,…) dans un futur indéter­miné mais ses bonnes inten­tions ne con­va­in­quent pas.

Seuls 20% de la pro­duc­tion d’énergie alle­mande est décar­bonée (renou­ve­lables en jaune, nucléaire en vio­let), ce chiffre atteint 40% en France. © Clean Ener­gy Wire

«L’Allemagne a largement contribué à la transition énergétique mondiale»

Alors que le change­ment cli­ma­tique s’aggrave, l’Allemagne est surtout cri­tiquée par ses voisins pour avoir quit­té l’atome avant le char­bon. Bien que son util­i­sa­tion soit en baisse con­tin­ue depuis les années 1990, le plus pol­lu­ant des hydro­car­bu­res représente encore 30% de la pro­duc­tion d’électricité alle­mande (et 20% du mix énergé­tique com­plet). Résul­tat, l’électricité pro­duite en Alle­magne émet dix fois plus de gaz à effet de serre qu’en France.

Certes, l’Allemagne est par­v­enue à réduire ses émis­sions de 40% en 30 ans grâce aux éner­gies renou­ve­lables, mais elle reste le pre­mier pol­lueur européen. Surtout, «elle aurait pu baiss­er plus rapi­de­ment ses émis­sions si elle avait eu un autre ordre de pri­or­ité», a taclé Thomas Veyrenc, directeur exé­cu­tif de RTE, lors d’une table ronde organ­isée par Vert.

«On ne peut pas refaire l’histoire», con­cède Vin­cent Boulanger. À l’époque, la fin du nucléaire était voulue par la pop­u­la­tion, ce n’était pas le cas du char­bon. Il insiste toute­fois sur les acquis du passé : «le choix de sor­tir du nucléaire a don­né très tôt une forte impul­sion vers les renou­ve­lables, avec des pro­grès sig­ni­fi­cat­ifs qui ont ensuite prof­ité au monde entier», insiste-t-il. Un exem­ple : le pays a été le pre­mier marché mon­di­al du pho­to­voltaïque dès les années 2000. Les sub­ven­tions éta­tiques ont per­mis que la tech­nolo­gie se répande, d’abord en Alle­magne, puis à l’international. Pen­dant que son voisin soute­nait généreuse­ment les éner­gies du futur (solaire, éolien, méthani­sa­tion…), «la France était atten­tiste, bien à l’abri der­rière son nucléaire», tacle Vin­cent Boulanger. «Si elle avait gardé l’atome, l’Allemagne aurait peut-être fait pareil. Au lieu de ça, elle a large­ment con­tribué à la tran­si­tion énergé­tique mon­di­ale».

Des efforts colossaux

Reste que le pays doit aujourd’hui don­ner un coup de col­lier inédit pour par­venir à se pass­er rapi­de­ment d’énergies fos­siles et attein­dre la neu­tral­ité car­bone (équili­bre entre émis­sions et absorp­tions de car­bone) en 2045, cinq ans avant la France. L’objectif fixé dans sa loi est de sor­tir du char­bon d’i­ci à 2038, mais la nou­velle coali­tion au pou­voir vise 2030 «idéale­ment». Elle prévoit en con­séquence d’atteindre 80% d’électricité renou­ve­lable (con­tre 45 % aujourd’hui) et 50% de chaleur renou­ve­lable (con­tre 15%) en 2030.

Les efforts pour y par­venir sont colos­saux : dou­ble­ment de la capac­ité éoli­enne ter­restre, quadru­ple­ment des éoli­ennes en mer et du solaire pho­to­voltaïque. Pru­dent sur l’atteinte de ces objec­tifs «hal­lu­ci­nants», Vin­cent Boulanger juge néan­moins que «le gou­verne­ment fait tout pour y arriv­er». Celui-ci doit offi­cialis­er le 3 mai prochain une feuille de route dédiée au solaire, qui prévoit la hausse des sub­ven­tions ain­si qu’une sim­pli­fi­ca­tion des procé­dures.

Par­al­lèle­ment, l’installation de pan­neaux pho­to­voltaïques sera ren­due oblig­a­toire sur toutes les con­struc­tions neuves et/ou en réno­va­tion. Une stratégie par­al­lèle est prévue pour l’éolien avec notam­ment l’obligation pour tous les Län­der de dédi­er 2% de leur sur­face à cette tech­nolo­gie d’ici à 2030.

«Con­traire­ment à la France, le pays tout entier est tourné vers la tran­si­tion énergé­tique : que ce soit le tis­su poli­tique, économique ou sci­en­tifique», insiste Vin­cent Boulanger. Autre dif­férence notable par rap­port à son voisin : «jusqu’ici, l’Allemagne a tou­jours dépassé ses objec­tifs en matière de renou­ve­lables. Pour 2020, elle s’était fixée 35% d’électricité renou­ve­lable et a fait dix points de plus», remar­que Vin­cent Boulanger. Char­bon débar­ras ?