La fleur au guidon, 300, peut-être 400 cyclistes débouchent sur le boulevard des Capucines à Paris. Elles et ils roulent à vitesse réduite en direction de la place de la Madeleine. Leurs sonnettes, aiguës et désaccordées, résonnent au-dessus des klaxons. Il est 19h30, ce mercredi 15 octobre. Parti de la mairie de Paris Centre (3ème arrondissement) le cortège vient de parcourir plus de trois kilomètres en passant par une nouvelle voie cyclable : la piste Paul-Varry.
Ce n’est pas un simple ruban d’asphalte, c’est un lieu de mémoire. Celle de ce jeune homme de 27 ans, tué un an plus tôt, jour pour jour, par un automobiliste. Le 15 octobre 2024, il s’était interposé devant un véhicule pour empêcher son incursion sur une piste cyclable boulevard Malesherbes (8ème arrondissement). Le conducteur avait alors accéléré et Paul Varry est mort sur le coup.
Le drame avait secoué la capitale (notre reportage) – et bien au-delà. Depuis, l’enquête judiciaire a conclu à un acte «délibéré» de la part de l’automobiliste, mis en examen pour «homicide volontaire», puis placé en détention provisoire.
Ce soir, sur le parvis de l’église de la Madeleine, près du lieu du drame, le père de Paul Varry est présent. Cheveux blancs, béret vissé sur la tête, chemise à carreaux, il confie dans un souffle : «J’aimerais que Paul soit là pour voir tous ces gens réunis pour lui. Il serait très touché. Moi, en tout cas, je le suis.» Il rejoint un pupitre où élu·es, militant·es et proches doivent prendre la parole.
«Si nous sommes là ce soir, c’est pour rendre hommage à Paul», déclare Marion Soulet, porte-parole de l’association Paris en Selle. «Mais aussi pour rappeler la vision qu’il portait pour Paris», complète une autre membre. Paul Varry n’était pas qu’un cycliste, il était un militant, un «adhérent actif» de Paris en Selle, organisation à l’origine du rassemblement.
Régulièrement, il participait aux réunions, faisait des propositions, réfléchissait à de nouveaux tracés de pistes cyclables… «Si nous pouvons pédaler en sécurité sur cette piste qui porte son nom [qui longe la rue Réaumur à Paris, NDLR], c’est grâce à lui», rappelle Marion Soulet.
Sur la place de la Madeleine, l’heure est venue de respecter une minute de silence pour Paul Varry. Elle est suivie d’applaudissements prolongés.
«La violence, nous y sommes tous habitués. Paul, lui, en est mort»
Ce rassemblement est aussi et surtout l’occasion de rappeler «que la violence que subissent les cyclistes quotidiennement est inacceptable, martèle la présidente de Paris en selle, Anne Monmarché. Les déplacements rasants, les agressions verbales, physiques… nous y sommes tous habitués. Paul, lui, en est mort.»
D’après le baromètre 2025 de la Fédération des usagers de la bicyclette (FUB), neuf cyclistes parisien·nes sur dix disent avoir déjà été victimes de violence motorisée. Un rapport de la mairie de Paris paru mercredi établit par ailleurs que, en 2024, les cyclistes ont représenté 22% des accidenté·es de la route dans la capitale. Le nombre global de victimes à vélo a baissé de plus de 7% par rapport à l’année précédente, mais celui des tué·es et des blessé·es hospitalisé·es a augmenté – pour atteindre 69 personnes en tout, soit huit de plus qu’en 2023.
Cette violence à vélo, Laureen l’a déjà éprouvée. Un soir, sur la piste cyclable où elle roulait, un scooter l’a frôlée. Au feu rouge suivant, cette cycliste chevronnée de 48 ans le lui a fait remarquer : «Ce n’est pas sérieux !» Puis, le conducteur lui a répondu : «Les cyclistes comme toi, j’ai envie de les buter» car «ils ne s’arrêtent jamais au feu rouge».
Ce soir, Laureen est venue pour Paul. Et pour rappeler que ce drame est «le paroxysme d’une situation devenue banale» : celle des violences motorisées. Son histoire résonne tout particulièrement avec celle de Johan, 45 ans, cycliste parisien. Il a reçu «une menace de mort, une fois. Un homme qui m’a menacé de sortir son arme de la boîte à gants», relate-t-il. «Ce qui est sûr, c’est que «tous, nous connaissons quelqu’un qui a vécu quelque chose de grave», conclut Laureen.
«Ce n’est pas une fatalité»
«Cette violence, bien qu’inacceptable, n’est pas une fatalité», affirme Anne Monmarché en clôture du rassemblement. Elle dresse le bilan d’une année marquée par quelques avancées, notamment la promesse de la Mairie de Paris de réaménager plusieurs carrefours dangereux. «Le mandat municipal touche à sa fin. Nous appelons les futurs candidats à faire preuve d’ambition : développer les axes cyclables, abaisser la vitesse maximale à 30 kilomètres/heure. C’est possible, et ça fonctionne», assure-t-elle.
Alexis Frémeaux, président de l’association Mieux se déplacer à bicyclette, partage ce constat : «Le sujet de la sécurité routière, on l’a imposé dans le débat public. Même si ce n’est pas encore une priorité politique, il y a eu un basculement de l’opinion. Ce qui était toléré hier ne l’est plus aujourd’hui.»
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