Entretien

Stein van Oosteren, spécialiste du vélo en ville : «Pourquoi tolère-t-on autant la violence lorsqu’elle est commise au volant ?»

Sur les chapeaux deux roues. Un nouveau rapport publié lundi propose 40 mesures pour apaiser les tensions sur la voie publique. Interrogé par Vert, le militant-cycliste et auteur de plusieurs livres sur le vélo Stein Van Oosteren y voit un tournant salutaire.
  • Par

Le rapport sur «la prévention des violences routières et le partage de la voie publique» qu’Emmanuel Barbe, inspecteur général de l’administration et ancien délégué à la sécurité routière, a remis lundi au ministre des transports, est une réponse que plusieurs associations attendaient après la mort du cycliste Paul Varry, le 15 novembre dernier.

Ce jour-là, dans le 17e arrondissement, un automobiliste a écrasé le jeune homme de 27 ans, qui s’était positionné devant lui pour l’empêcher d’emprunter une piste cyclable avec son véhicule. Six mois plus tard, ce rapport préconise 40 mesures pour «apaiser l’espace public». Parmi elles : former les jeunes conducteurs à «l’empathie» envers les cyclistes ou créer des zones 30 dans chaque agglomération française.

Pour y voir plus clair, Vert a interrogé Stein van Oosteren, militant cycliste néerlandais. L’auteur de 50 bonnes raisons de faire du vélo (Makisapa, 2023) documente l’état de nos infrastructures routières dans des vidéos qui cumulent plusieurs dizaines milliers de vues sur X (ex-Twitter).

D’où vient la violence sur la route ?

Aujourd’hui, la violence motorisée est partout dans l’espace public : elle s’installe dans les conversations, autour de la table. On entend des gens raconter – parfois avec fierté – qu’ils ont perdu leur permis plusieurs fois. Ils défendent leur goût pour la vitesse, comme si c’était valorisant de rouler vite, comme si enfreindre les règles relevait d’un certain panache.

Stein van Oosteren, à Paris, en 2021. © Steven Wassenaar/Hans Lucas via AFP

Cette banalisation est renforcée par les représentations véhiculées dans l’espace public. Il est aujourd’hui impossible de sortir de chez soi sans être exposé à une publicité pour des voitures, souvent accompagnée d’un imaginaire de virilité, de performance, de domination. Ce langage visuel et symbolique contribue à entretenir une culture de la vitesse et de l’agression sur la route.

Quelles peuvent être les conséquences d’une telle banalisation de la vitesse et de la violence ?

L’espace public est devenu hostile. Un simple frôlement par une voiture, en tant que piéton ou cycliste, suffit à décourager une personne de marcher ou de faire du vélo. Cette peur est une entrave aux libertés fondamentales, et notamment au droit de se déplacer librement. Quand ces droits sont entravés, on renonce à bouger, on devient sédentaire. Cette violence peut aussi tuer. En témoigne la mort de Paul Varry, cycliste percuté en pleine rue, en novembre dernier. Ce meurtre m’a mis très en colère, et je le suis toujours. Mais cette colère doit être constructive. Elle doit servir à lutter, pour qu’il n’y ait plus d’autres victimes.

Ce rapport ministériel est-il à la hauteur de vos attentes ?

Ce rapport fera date, il apporte un immense espoir. Il constitue une base solide pour questionner enfin la place de la voiture dans notre société. Je pense notamment à la création d’au moins une zone 30 dans chaque agglomération. C’est un levier clé. Car, de toute façon, rouler à 50 kilomètres heure dans une ville, ça ne sert à rien – à part à impressionner les autres ou à se persuader qu’on a bien fait d’acheter une voiture. On peut se réjouir, également, de l’obligation pour un automobiliste de franchir entièrement la ligne médiane pour dépasser un cycliste. Toutefois, une véritable protection des cyclistes passe par une séparation totale des vélos et de la voiture sur les grands axes – grâce à des pistes dédiées.

Pensez-vous que ce rapport soit annonciateur d’un véritable changement ?

Le rapport présente certaines lacunes. Par exemple, aucune mesure ne prévoit d’éloigner de la route celles et ceux qui tuent. Aujourd’hui, les confiscations de véhicules sont extrêmement rares. Pourquoi tolère-t-on autant la violence lorsqu’elle est commise au volant ? Imaginez seulement une personne qui se promènerait en ville avec un couteau : elle serait immédiatement arrêtée.

Par ailleurs, il faut s’assurer que ce rapport ne restera pas dans un tiroir. Combien le gouvernement est-il prêt à investir pour l’application de ces mesures ? Sans moyens, elles ne valent rien. Et pourtant : l’insécurité routière coûte 50 milliards d’euros par an à l’État. Pacifier l’espace public, ce n’est pas une charge, c’est une économie.

Si vous pensez comme nous que pour être capable d’agir, il faut être bien informé, vous pouvez donner de l'écho à nos informations en rejoignant le Club de Vert.

Les dons réguliers garantissent la stabilité financière de votre média. C’est grâce à eux que nous pouvons grandir, imaginer de nouveaux formats et toucher un public toujours plus large. Merci !

je m'inscris à Vert

Toute l'actualité de l'écologie dans votre boîte mail à prix libre.

Je veux recevoir :
En savoir +