Julien Lefèvre est chercheur au Centre international de recherche sur l’environnement et le développement (Cired) d’AgroParisTech et contributeur du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), dont les travaux portant sur l’atténuation du bouleversement climatique seront publiés ce lundi. Pour Vert, il explique l’approche scientifique utilisée dans ce troisième volet, dédié aux scénarios de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
En quoi consistent les travaux menés par le groupe 3 du Giec, dont vous êtes l’un des auteurs ?
Là où le premier groupe se penche sur les sciences du climat et l’étude des changements climatiques passés et à venir, le groupe 2 se concentre sur les effets de ces changements et sur les manières de s’y adapter. Le groupe 3, quant à lui, s’intéresse à l’atténuation – la façon dont on peut baisser les émissions de gaz à effet de serre à venir pour limiter le changement climatique. Nous utilisons la littérature existante [c’est-à-dire l’ensemble des recherches publiées sur ces sujets, NDLR] pour explorer les enjeux humains, techniques et sociaux associés à cette réduction et pour élaborer différents scénarios d’atténuation des changements climatiques.

À quoi correspondent ces différents scénarios ?
Ils sont conditionnés à l’atteinte de différentes cibles climatiques : nous estimons ce qu’il faut faire pour rester dans la limite des 1,5 °C de réchauffement [objectif contenu dans l’Accord de Paris sur le climat, qui sera très probablement dépassé dans les toutes prochaines années selon l’ONU, NDLR], sachant que si nous ne faisons pas plus, nous risquons d’atteindre les 3 ou 4 °C degrés de réchauffement. Le message général est simple : nous avons de moins en moins de temps, c’est de plus en plus difficile et les contraintes induites sont de plus en plus fortes.

Quelle est la nouveauté de cette synthèse par rapport à la précédente ?
C’est une nouveauté d’ordre politique : l’Accord de Paris, conclu [en 2016, NDLR] après la publication du 5ème rapport du Giec, vise à maintenir l’augmentation de la température mondiale « bien en dessous de 2°C » et à mener des efforts encore plus poussés pour limiter l’augmentation de la température à 1,5 °C au-dessus des niveaux préindustriels. Le Giec a publié en 2018 un rapport intermédiaire sur cet objectif spécifique de 1,5 °C.
L’accord de Paris valide également une participation universelle au changement climatique : l’article 4 stipule que chaque Partie doit établir, communiquer et actualiser ses Contributions déterminées au niveau national [CDN, ou NDCs en anglais – il s’agit des objectifs climatiques que se fixe chaque État] et les efforts déployés pour réaliser cette atténuation. Le Giec a donc travaillé de manière différente sur ces enjeux de transition à moyen terme, selon les CDN à l’horizon 2030-2035 : les modèles utilisés ont une approche plus fine du temps et de l’espace afin de saisir les transformations induites en termes de développement, de choix énergétique et de conditions de faisabilité.
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La synthèse qui sort ce lundi est donc construite sur une double contrainte : un objectif plus ambitieux qu’avant, et des efforts à fournir encore plus importants. Il faut ainsi s’attaquer plus tôt que prévu à des éléments structurels de réduction de la consommation d’énergie.
Quels genres d’outils utilisez-vous pour faire vos prévisions ?
Nous utilisons des modèles mathématiques qui simulent les interactions entre le système énergétique et l’économie. C’est comme un laboratoire d’analyse des futurs possibles : nous effectuons des simulations pour explorer la compatibilité de différents scénarios avec les trajectoires d’émissions de gaz à effet de serre. On essaye donc d’objectiver les transitions possibles pour atteindre tel ou tel objectif climatique. Il s’agit non pas de prédiction, mais de prospective – sachant que le Giec ne se prononce pas sur la désidérabilité des différentes trajectoires.
Les aléas récents comme le Covid ou la guerre en Ukraine influencent-ils vos modélisations ?
À long terme, les effets de la Covid ne sont pas importants pour nos modèles, mais la pandémie a mis en lumière des changements dans nos modes de vie (tel le télétravail) qui peuvent être des leviers sous-estimés jusqu’alors. Cela nourrit aussi l’analyse, et des travaux ont donc été lancés en ce sens. La guerre entre, pour sa part, dans la catégorie des contraintes géopolitiques. En termes de faisabilité justement, elle était peut-être sous-estimée, et cet aspect doit être mieux pris en compte – même s’il est impossible pour l’instant de savoir si cela va accélérer ou décélérer la transition. Plus on est autonome du point de vue énergétique, mieux on se porte, mais certains risquent de rouvrir leurs centrales à charbon pour y arriver…
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