Julia Faure a lancé la marque de vêtements éthiques Loom en 2018. Elle est également coprésidente du Mouvement Impact France, qui rassemble des entrepreneur·ses «qui mettent l’impact écologique et social au cœur de leur entreprise». Ce dimanche, elle participera à la «marche des droits humains», initiée par le député socialiste français Dominique Potier.
Dans leur viseur : la sauvegarde du devoir de vigilance, qui oblige les plus grosses entreprises à produire en évitant les atteintes au droit du travail et à l’environnement – cela s’applique aussi aux sous-traitants. Ce principe juridique risque d’être assoupli par le Parlement européen en octobre prochain.
Du 21 au 23 septembre, vous participerez à une marche entre Roubaix et Bruxelles. Pourquoi cette mobilisation ?
Nous marcherons jusqu’à Bruxelles, où se trouvent Ursula von der Leyen [la présidente de la Commission européenne, NDLR] et le Parlement européen. En octobre, les eurodéputés essayeront de faire passer la directive Omnibus [une loi européenne qui vise à simplifier plusieurs réglementations, NDLR], qui affaiblira la loi sur le devoir de vigilance des multinationales concernant leur chaîne de production.
Nous partirons de Roubaix car c’est un ancien fleuron de l’industrie textile, la ville aux mille cheminées, dont il ne reste que des miettes. Elle est le symbole de cette industrie défaite par la concurrence déloyale des grandes entreprises qui vont au moins cher, sans être tenues responsables des conséquences sociales et environnementales induites.
Cette marche rassemblera une quinzaine d’acteurs de la société civile : des entreprises, des syndicats, des ONG, des instituts d’expertise, des politiques… Ce qui est intéressant, c’est que le devoir de vigilance mélange beaucoup d’intérêts différents, notamment des intérêts économiques.
Pourquoi défendre le devoir de vigilance ?
Je suis de la génération du Rana Plaza, cet immeuble de confection textile qui s’est effondré au Bangladesh en 2013. Plus de 1 000 personnes sont mortes – essentiellement des femmes – et des milliers d’autres ont été blessées. Dans les décombres, on a retrouvé les étiquettes des marques de vêtements occidentales. Mais, quand on leur demande des comptes, ces dernières disent qu’elles n’en savaient rien et rejettent la faute sur leurs sous-traitants.
Si on ne fait rien, il y aura bientôt un autre Rana Plaza. Quand les marques n’ont pas à se soucier de ce qui est fait chez les sous-traitants, elles deviennent des tortionnaires qui s’ignorent. Les vêtements n’ont jamais été aussi peu chers, alors que tout le reste a augmenté. Ces prix baissent au détriment des humains et de l’environnement, et les marques peuvent se le permettre car elles ne sont pas tenues responsables.
Les lois sur le devoir de vigilance en France [adoptée en 2017, NDLR] et en Europe [adoptée en avril 2024] permettent d’inverser la donne. Si vous êtes président-directeur général d’une grande marque, vous risquez de devoir verser jusqu’à 5% de votre chiffre d’affaires [l’amende maximale fixée par la directive européenne sur le devoir de vigilance] en cas de problème dans votre chaîne de production. Vous avez donc tout intérêt à produire dans des pays où la loi assure la qualité sociale et environnementale de la production.
Nous avons toutes les raisons de soutenir ce devoir de vigilance, car il déplace le terrain de la compétitivité sur des critères de performance sociale et environnementale. C’est un avantage formidable pour la France comme pour l’Europe.
Comment expliquer que l’Union européenne recule sur ce sujet ?
L’Union européenne implique des rapports de force. Les lobbies gagnent au détriment des intérêts stratégiques et économiques de la France et de l’Europe.
On le voit dans les demandes des syndicats patronaux, comme le Medef. Ils plaident pour de moins en moins de mesures en faveur de l’intérêt général, et pour de plus en plus de mesures qui ne profitent qu’à quelques-uns. On en a un exemple frappant avec la proposition de taxe Zucman [qui vise à imposer le patrimoine des plus grandes fortunes, notre article] : le Medef menace de bloquer le pays, alors que cette taxe ne toucherait qu’une infime minorité de patrons.
En fait, la loi sur le devoir de vigilance est plutôt avantageuse pour les industries françaises. Quand le Medef s’y oppose, il choisit son camp : celui qui sert les intérêts de quelques entreprises, mais dessert ceux du made in France.
Peut-on encore empêcher ce recul au niveau européen ?
C’est toujours possible, et c’est pour ça qu’on organise cette marche. Si les lobbies sont les seuls à se mobiliser, pour détruire ce genre d’avancée, c’est sûr que ça passera.
Au-delà de cette directive Omnibus, nous marchons aussi pour appeler à un réveil de l’Europe sur une vraie stratégie de long terme pour son économie. Au lieu de faire porter la compétitivité sur les prix bas – ce qui avantage des pays comme la Chine – ou sur un rapport de force massif –comme le font les États-Unis avec leurs droits de douane –, nous devrions aller sur un terrain qui nous avantage : celui des bonnes conditions sociales et environnementales.
Si on ne le fait pas pour la morale, si on se moque que des enfants fabriquent nos vêtements, il faut le faire pour gagner la guerre mondiale économique qui est en train de se jouer. Nous avons des attitudes de perdants et nous nous faisons saboter de l’intérieur par des lobbies qui se moquent des intérêts du continent.
Quel est l’intérêt pour des patron·nes et des entrepreneur·ses de s’engager dans ce combat ?
C’est toujours risqué pour une entreprise de se montrer un tant soit peu politique. Mon mouvement comme ma marque sont apolitiques, mais je le fais pour l’intérêt économique de mon pays.
Ma marque va très bien, mais ce n’est pas le cas du reste du made in France. Sur le long terme, peut-être qu’il ne restera que Loom et quelques exceptions, comme Veja et Patagonia, et tout le reste sera de l’ultra-fast fashion. On s’en fout d’avoir une ou deux marques sympas, au milieu des cheminées qui ne fument plus à Roubaix.
À lire aussi
-
Pénalités, interdiction de la publicité : que contient la proposition de loi anti-fast fashion, adoptée par le Sénat ce mardi ?
Haute coup dur. Adoptée en mars 2024 à l’Assemblée nationale, la proposition de loi visant à réduire «l’impact environnemental de l’industrie textile» a été adoptée par le Sénat ce mardi. Le texte, plus ambitieux que prévu, pourrait faire de la France le premier pays à encadrer les pratiques de la fast fashion. Mais il doit encore passer en commission mixte paritaire dans les prochaines semaines. -
À Marseille, la première «slow fashion week» de France met la mode locale à l’honneur face aux dérives des vêtements jetables
En mode écolo. Depuis samedi dernier, la cité phocéenne vibre au rythme des talons aiguilles sur les podiums. Le collectif de mode éco-responsable Baga organise la toute première semaine de la mode écolo de France. Loin des défilés classiques, cette «slow fashion week» met l’accent sur les savoir-faire locaux et la mode éthique.