Reportage

À Marseille, la première «slow fashion week» de France met la mode locale à l’honneur face aux dérives des vêtements jetables

En mode écolo. Depuis samedi dernier, la cité phocéenne vibre au rythme des talons aiguilles sur les podiums. Le collectif de mode éco-responsable Baga organise la toute première semaine de la mode écolo de France. Loin des défilés classiques, cette «slow fashion week» met l’accent sur les savoir-faire locaux et la mode éthique.
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Sous un soleil provençal radieux, les mannequins défilent dans les allées d’un jardin public d’ordinaire fréquenté par les coureurs, dans le 6ème arrondissement de Marseille (Bouches-du-Rhône). Une petite centaine de personnes est venue assister à ce défilé de la marque Frankie and Friends. Musique, tenues colorées et audacieuses, décor fleuri, rien ne diffère, à première vue, d’un podium classique. Pourtant, les vêtements et bijoux présentés par les douze créateur·ices sont issus de matières réutilisées ou recyclées et «personne n’est venu en jet privé», plaisante Frankie, créatrice de mode.

Depuis samedi 7 juin, et jusqu’au 14, le collectif Baga, une association marseillaise née en 2023 et réunissant créateur·ices et acteur·ices d’une mode «durable et locale», organise la toute première slow fashion week de France, partout dans Marseille. Au programme plus de cinquante événements : des défilés de créateur·ices membres de Baga, des ateliers pour apprendre à réparer ou transformer des vêtements, des conférences autour d’acteur·ices défendant une mode plus durable et des portes ouvertes d’ateliers pour sensibiliser le public à la réutilisation de tissus et habits. «Nous avons voulu mettre en avant des talents marseillais qui sont dans une démarche éco-responsable», raconte Frankie.

Une mannequin défile avec des vêtements créés par AMK à partir d’autres habits recyclés, lors de la «slow fashion week» à Marseille, le 9 juin 2025. © Eliza Amouret/Vert

Avec cette semaine de la mode durable, le collectif Baga veut offrir une alternative aux fashion week parisiennes, et plus largement à l’industrie de la mode, responsable, selon l’Agence de la transition écologique (Ademe), de 8% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. «On peut créer de nouveaux chemins pour la mode, on a des savoirs-faire de dingue, assure Chloé Roques, membre de Baga et fripière marseillaise. C’est la première fashion week que nous organisons, et c’est loin d’être la dernière !»

«L’idée, c’est de montrer une mode plus juste, plus représentative de nos valeurs», complète Frankie. Dans son atelier marseillais, elle brode en «revalorisant les canevas de nos grands-mères» et fait de l’upcycling, une méthode qui consiste à réutiliser des vêtements ou des matières déjà existantes. «On a suffisamment à faire avec ce qu’on a comme trésors, comme tissus qui ont des histoires», rappelle la créatrice de 39 ans dans un large sourire, soulagée après son défilé. En Europe, seulement 1% des vêtements usagés sont recyclés en vêtement neuf.

Caroline Nasica, dessinatrice de BD, défile avec un corset en bijoux upcyclés de la créatrice Loe Bijoux, lors de la «slow fashion week» à Marseille, le 9 juin 2025. © Eliza Amouret/Vert

Pour son défilé, Frankie a présenté deux créations et a invité une dizaine de créateur·ices du coin à partager le podium. «Je voulais mettre en lumière tous ces talents incroyables, raconte-t-elle. Au départ, nous étions dix dans le collectif Baga ; aujourd’hui, nous sommes plus de 80 !»

Les demandes pour rejoindre la structure sont étudiées avec attention : «On examine la marque, la façon de vendre», détaille Chloé Roques, en charge de la communication dans le collectif. Baga privilégie les petites marques indépendantes et les savoir-faire artisanaux.

Un événement éco-responsable 100% local

Le défilé est suivi d’un marché, où les créateur·ices vendent leurs vêtements et leurs bijoux au rythme des concerts live. L’occasion de rencontrer un public déjà convaincu par la mode éthique. «J’achète très peu de vêtements», expose Jon, venu avec son ami Félix pour qui c’était le premier défilé de mode.

À l’ombre des arbres, les membres de l’atelier d’artistes Mesure Club s’occupent de la musique et de la buvette. Avec Frankie, elles et ils ont travaillé pendant des mois pour organiser cet événement écolo et «100% local», raconte Robin de Haro, de Mesure Club. Outre les créateur·ices, les groupes de musique sont marseillais : «Il y a suffisamment de talents émergents pour ne pas avoir à aller chercher des artistes qui habitent à Paris», affirme-t-il. Le système son est également 100% marseillais, et fonctionne à l’énergie solaire. La nourriture et la bière sont aussi locales.

Un mannequin défile avec des vêtements créés par Frankie Collections, lors de la «slow fashion week» à Marseille, le 9 juin 2025. © Eliza Amouret/Vert

«Les maquilleur·ses, les coiffeur·ses, les photographes, les vidéastes sont tous et toutes des gens du coin, ajoute Chloé Roques. La seule marque qui n’est pas d’ici vient de Lille.»

L’équipe de Baga a réfléchi à son impact environnemental bien au-delà des créations. «Pour la scénographie, nous avons accès à la réserve des Arts du Sud», une association qui vend à prix solidaire des matériaux mis au rebut (comme le tapis rouge du festival de Cannes), raconte encore la membre du collectif. En outre, des vélos cargos sont à disposition des créateur·ices pour transporter leurs collections. Et les organisateur·ices promettent qu’un bilan carbone sera établi à la fin de la slow fashion week.

Marseille, capitale de la mode éthique ?

Le collectif Baga veut faire de Marseille la capitale de la mode éthique. Une vocation qui se justifie, selon Chloé Roques, par la présence dans le secteur «d’un grand nombre d’ateliers d’upcycling» et même d’une école de mode éco-responsable, le Studio Lausié, qui clôturera cette semaine de défilés.

La créatrice de vêtements upcyclés Frankie, au centre de l’image, pose avec les mannequins après le défilé à Marseille, le 9 juin 2025. © Eliza Amouret/Vert

Samedi, la slow fashion week a débuté à la Vieille Charité, musée emblématique du très touristique quartier du Panier. Désormais, l’événement rayonne dans tous les coins de la ville, avec des défilés dans des lieux iconiques comme le quartier du Pharo. Là où les fashion week traditionnelles nécessitent le montage et démontage des podiums, pendant celle de Marseille chaque créateur·ice s’approprie un lieu pour défiler. On utilise l’existant : les escaliers du palais Longchamp, les chemins sinueux de l’île Degaby, ou l’esplanade bitumée du J4, en face du Mucem – le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée.

Une initiative novtarice, saluée par la Ville de Marseille, qui a autorisé l’accès à certains lieux. «Je suis très heureuse que nous puissions faire évoluer les consciences grâce à ce genre d’événements», se félicite Olivia Fortin, maire des 6ème et 8ème arrondissements de Marseille, venue assister à un défilé.

Face aux grandes entreprises hyper polluantes de la fast fashion – comme Shein –, de plus en plus de collectifs de petits créateurs éco-responsables émergent. Si la slow fashion week est une première en France, au Royaume-Uni la sustainable fashion week fêtera bientôt son cinquième anniversaire.