«N’oubliez pas que, chaque jour qui passe, chacun d’entre nous a un impact sur la planète. À nous de choisir lequel.» Tels étaient les derniers mots que Jane Goodall avait glissés à Vert, lorsque nous l’avions interviewée en décembre 2023. La célèbre primatologue avait fait son choix depuis longtemps.

La scientifique mondialement reconnue est «décédée paisiblement dans son sommeil» à Los Angeles (États-Unis), a annoncé mercredi l’institut qui porte son nom, dans un communiqué publié sur les réseaux sociaux. Âgée de 91 ans, Jane Goodall laisse derrière elle le souvenir d’une vie au service de la protection de la nature, et notamment des grands singes.
Voyage en forêt inconnue
Au départ, rien ne présageait pourtant une telle carrière pour cette femme née en 1934 dans une famille modeste de Londres (Angleterre). Secrétaire de formation, elle rejoint le paléontologue et anthropologue kényan-britannique Louis Leakey en 1957. Comme le raconte Le Monde, ce dernier avait pour projet d’étudier le comportement des chimpanzés sauvages pour mieux comprendre les hommes préhistoriques. Et comme il voulait être accompagné d’une personne ayant un regard neuf, il a proposé à son assistante de partir à la découverte de ces animaux dans la forêt tanzanienne.
L’arrivée de Jane Goodall au début des années 1960 dans la réserve de Gombe, en Tanzanie (à l’est de l’Afrique), bouleverse sa vie. Avec patience et méthode, elle approche au plus près des chimpanzés sauvages et apprend à étudier leurs habitudes. Dès les mois suivant son arrivée, elle révolutionne la connaissance de ces grands singes en démontrant qu’ils utilisent des outils, en l’occurrence une tige pour attraper des termites – une spécificité que l’on pensait alors réservée aux humains.
Elle documente aussi leur recours à la violence et leur deuil après la mort de l’un des leurs. Ses découvertes chamboulent la compréhension des comportements des animaux et redéfinissent la frontière entre l’humain et les autres espèces. Elle construit également une nouvelle discipline : la primatologie, soit la science des primates. À sa suite, d’autres femmes célèbres partiront à la rencontre des grands singes sauvages pour étudier leurs comportements, à l’image de Dian Fossey et ses gorilles des montagnes de Virunga, au Rwanda.
«Les filles ne veulent pas seulement être des stars de cinéma»
Jane Goodall impose son style dans un domaine largement dominé par les hommes : elle ne cache pas son amour pour les singes, auxquels elle donne des noms plutôt que des sigles ou des numéros. «Je suggère depuis longtemps que les filles ne veulent pas seulement être des stars de cinéma. Beaucoup d’entre elles, comme moi, veulent être dans la nature à étudier les animaux», confiait-elle en 2022.
Dans les années 1970, elle milite plus largement pour la défense de la nature. Elle créé en 1977 l’Institut Jane Goodall pour gérer en Afrique des centres d’accueil de chimpanzés issus de la chasse illégale, puis des programmes destinés à améliorer les conditions de vie des primates captifs et à sensibiliser les jeunes. Son image – une jeune femme blonde en tenue kaki au plus près des grands singes – devient mondialement connue. Les fabricants Lego et Mattel ont même créé des figurines à son effigie.
«Si nous n’arrêtons pas de nuire à l’environnement, aux animaux, en détruisant leur habitat, alors nous sommes condamnés.»
Icône de la protection du vivant, elle multiplie les conférences à travers le monde pour alerter sur l’urgence écologique. Toujours accompagnée d’une peluche de singe, Jane Goodall ne cesse de vouloir sensibiliser le grand public aux atteintes contre la biodiversité et l’inciter à agir contre le changement climatique. Elle ponctue souvent ses interventions de «salutations chimpanzés», soit des imitations de cris de chimpanzés. Ils «retentiront encore longtemps», a assuré Audrey Azoulay, directrice générale de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco).
«Jane Goodall avait su partager avec tous, notamment les plus jeunes, le fruit de ses recherches et faire changer notre regard sur les grands singes», a complété cette dernière. «Si nous n’arrêtons pas de nuire à l’environnement, aux animaux, en détruisant leur habitat, alors nous sommes condamnés», martelait encore la primatologue à l’âge de 89 ans, lorsque Vert l’avait rencontrée. Ce combat, elle le mène jusqu’à son dernier souffle : lorsqu’elle s’est éteinte à 91 ans, la scientifique était encore en tournée de conférences aux États-Unis.
Une pluie d’hommages
«Elle laisse derrière elle un héritage extraordinaire pour l’humanité et notre planète», a réagi le secrétaire général de l’Organisation des nations unies (ONU), Antonio Guterres. Il s’est dit «profondément attristé» par la mort de celle qui avait été nommée Messager de la paix par les Nations unies en 2002. «Jane Goodall avait une capacité remarquable à nous inspirer à communiquer avec les merveilles naturelles de notre monde, et son travail révolutionnaire sur les primates et l’importance de la conservation ont ouvert des portes pour des générations de femmes dans la science», a tweeté l’ancien président étasunien Barack Obama.
En France, la ministre démissionnaire de la transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, a salué une «inlassable défenseure de la vie sauvage», qui «a transformé pour toujours notre regard sur les chimpanzés et notre lien avec le vivant». La secrétaire nationale des Écologistes, Marine Tondelier, a elle aussi loué une «pionnière de l’éthologie et défenseuse inlassable de la faune sauvage» : «Elle laisse un héritage inestimable. Et elle inspirera des générations de petites filles.»
Ses travaux «ont transformé la gestion de la faune sauvage et placé notre pays au cœur des efforts mondiaux pour protéger les chimpanzés et la nature», s’est également ému Samia Suluhu Hassan, présidente de la Tanzanie – où Jane Goodall avait commencé sa carrière. Grâce ses travaux, on peut aujourd’hui savoir que les chimpanzés de la réserve de Gombe auront, peut-être, une larme à l’œil en apprenant sa disparition.
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