Spécialiste des chimpanzés et fondatrice du Jane Goodall Institute, une ONG de conservation environnementale, la Britannique arpente le monde pour alerter sur l’urgence de protéger le vivant. Elle vient de fêter ses 90 ans et son entrée au musée Grévin, à Paris. Dans un entretien à Vert, elle raconte les raisons d’espérer et la nécessité d’agir.
À Vert, nous avons un slogan : «Il est trop tard pour être pessimiste». Partagez-vous ce point de vue ?
Je crois fermement que nous avons une fenêtre d’opportunité pour agir face à la crise climatique et écologique. Mais il y a un grand «si». Si nous nous réunissons et agissons. Si nous parvenons à persuader les entreprises de commencer à y réfléchir. Nous devrions parler de durabilité avec les politiciens et les entreprises. Cela commence d’ailleurs à se produire.
Quels sont les principaux obstacles au changement à l’heure actuelle ?
Nous savons ce qu’il faut faire depuis au moins 50 ans ! Nous connaissons les grandes leçons de la science. Le principal problème vient des entreprises, plus intéressées par le profit, le gain à court terme, que par la protection de l’environnement pour les générations futures.
Nous avons perdu la sagesse des peuples autochtones. Lorsque vous détruisez la forêt pour tirer de l’argent du charbon de bois ou du bois d’œuvre, ou pour cultiver davantage de terres et de nourriture, vous courrez à votre perte.
Nous sommes huit milliards d’être humains sur cette planète et nous utilisons déjà trop rapidement les ressources naturelles. D’ici 2050, nous serons près de 10 milliards. Que va-t-il se passer ? Nous devons y réfléchir. Beaucoup de jeunes choisissent de ne pas avoir d’enfants, c’est triste.
Avez-vous un exemple ?
Lorsque Paul Polman était à la tête d’Unilever [multinationale dans les secteurs de l’alimentation et de l’hygiène, ndlr] entre 2009 et 2019, il a changé énormément de choses. Il a d’ailleurs tiré un livre de cette expérience. Aujourd’hui, il travaille à la protection de l’environnement et c’est devenu un bon ami. Mais une des choses dont nous n’avons jamais parlé, c’est Monsanto, dont les produits, comme ses pesticides et herbicides, permettent de défricher d’immenses portions de territoires et de produire des aliments génétiquement modifiés.
Notre agriculture industrielle, intensive, cause d’énormes dégâts avec tous ses produits chimiques et ses monocultures. Dans les fermes industrielles, la souffrance est énorme. L’effet sur l’environnement est un désastre absolu. Mais, après tout, l’agriculture, quand elle est régénérative, c’est ce qu’il y a de mieux en matière d’écologie. Il faut aussi manger moins de viande, ou pas de viande du tout. Pour ma part, je suis vegan.
Vous avez écrit un livre qui s’intitule Le livre de l’espoir. En ce moment, qu’est-ce qui vous donne de l’espoir ?
Ce sont tous ces jeunes qui, dans 70 pays où le Jane Goodall Institute est présent, donnent de leur énergie et s’engagent. J’étais à Tenerife en Espagne la semaine passée et, chaque samedi, les groupes de «Roots & Shoots» [le programme d’action jeunesse fondé par Jane Goodall, ndlr] vont à la plage où les marées charrient leurs lots de déchets plastiques, lignes de pêche et filets. Chaque samedi, ils y retournent et nettoient. Ils le font depuis des mois. Même si ça continue d’arriver, ils n’abandonnent pas. Voilà pour moi une première raison d’espérer.
La deuxième raison, c’est la force de résilience de la nature. Si elle disparaît, elle peut parfois aussi revenir dans les endroits que nous avons détruits.
Et puis, il y a notre intelligence. Nous savons ce qu’il faut faire. Les scientifiques commencent à trouver de plus en plus d’alternatives aux combustibles fossiles. Il faut juste que les gouvernements arrêtent de financer les grandes compagnies pétrolières. Il y a tellement de corruption. C’est ce qui doit changer. Et puis, souvent, sans se poser de questions, les jeunes font évoluer leurs parents et leurs grands-parents.
Un responsable d’une grande entreprise m’a confié qu’il avait décidé de passer à un fonctionnement durable pour trois raisons. D’abord, parce qu’il voit la pression de la société civile et tous ces slogans sur les murs. Ensuite, il y a la pression des consommateurs. Les gens commencent à se demander : comment ces aliments, ces vêtements ont-ils été fabriqués ? Des animaux ont-ils souffert ? Ces produits sont-ils bon marché en raison de salaires injustes ? Enfin, il y a les enfants. Sa fille de huit ans est revenue un jour de l’école en disant : «Papa, ils m’ont dit que tu nuisais à l’environnement. Est-ce que c’est vrai, papa, parce que c’est ma planète ?» Cela a touché le cœur. Et c’est le seul moyen pour que les gens changent.
C’est une chose importante pour nous, journalistes, la manière dont on raconte les histoires. Avez-vous un avis sur la façon dont les médias transmettent les informations au public ?
Les médias peuvent faire énormément de choses, en bien comme en mal. Et je pense que nous avons besoin d’être au courant des mauvaises nouvelles. Mais les gens perdent alors espoir s’ils n’entendent pas aussi parler de personnes extraordinaires qui font des choses incroyables, de projets qui changent la donne, à propos des forêts, des habitats, de ce qui peut sauver des animaux de l’extinction.
C’est particulièrement vrai lorsqu’on entend des enfants faire ce genre de choses. Plus les médias diffuseront d’histoires sur ce qu’il se passe en bien, tout en nous informant sur les mauvaises nouvelles, plus ils seront à même de nous aider à comprendre ce qui se passe. Nous avons besoin de bonnes histoires.
Pensez-vous que les femmes et les jeunes aient un rôle spécial à jouer ?
Il ne fait aucun doute que, pour un enfant qui grandit aujourd’hui, la situation est plutôt sombre. C’est pourquoi je me concentre sur notre programme pour la jeunesse qui est présent dans 70 pays.
Les jeunes peuvent choisir leurs propres projets et le groupe qu’ils souhaitent intégrer pour, au choix, protéger, aider les gens, aider les animaux, aider l’environnement. Vous savez, il y a des groupes dans les écoles, il y a des groupes dans les universités.
Et parce nous réunissons tous ces jeunes de pays différents, ils apprennent l’importance de la protection de l’environnement, le respect de la couleur de peau, de la langue et de la nationalité… Le fait que nous sommes tous des êtres humains. Nous rions tous, nous pleurons tous. Et, malheureusement, nous pouvons aussi toujours haïr. Comme les chimpanzés, exactement.
Les animaux, la biodiversité, peuvent-ils nous aider nous à lutter contre le dérèglement climatique ?
Si nous ne mettons pas un terme à la perte de biodiversité, cela ne fera qu’aggraver le changement climatique. Ces deux aspects sont liés. Si nous n’arrêtons pas de nuire à l’environnement, aux animaux, en détruisant leur habitat, alors nous sommes condamnés. N’oubliez pas que, chaque jour qui passe, chacun d’entre nous a un impact sur la planète. À nous de choisir lequel.
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Jon Palais est un activiste écologiste engagé aux côtés de l’association basque Bizi. En 2013, il a cofondé Alternatiba puis Action non-violente (ANV) COP21 en 2015. Le mois dernier, il a publié, aux éditions Les liens qui libèrent, un manuel d’action civique et politique intitulé La bataille du siècle, Stratégie d’action pour la génération climat.