Dans cet entretien à Vert, il regrette que le mouvement climat verse parfois trop dans le désespoir et raconte comment la joie, l’optimisme et les alternatives doivent être mobilisés pour construire la société décroissante et solidaire à laquelle il aspire.
Pourquoi avoir écrit ce livre ?
Nous pouvons relever le défi climatique mais il faut avoir une approche stratégique de la lutte. Le premier moteur d’engagement, c’est l’émotion, la colère, l’inquiétude. Le mouvement climat évolue très vite et nous perdons du temps à recommencer de zéro, parfois. Nous devons tirer des enseignements des luttes passées pour penser les luttes à venir. Nous avons besoin de continuité pour ne pas se reposer les mêmes questions à chaque fois.
Quelle est votre analyse du paysage de l’activisme climatique aujourd’hui ?
Entre les gens qui ne s’engagent pas et ceux qui s’engagent mais se disent c’est foutu, je sens un cri de désespoir. Ce n’est pas comme ça qu’on gagne. Certes, tout cela fait très peur mais nous avons beaucoup de ressources et nous ne gagnerons rien en partant défaitistes. J’ai écrit ce livre pour les nouveaux militants et les mouvements nés récemment.
En ce moment, le mouvement climat est beaucoup dans l’alerte et l’alarme. On voit que c’est le mode d’action le plus visible, le plus médiatique et le plus attractif pour les nouveaux militants. Pourtant, le mouvement climat est beaucoup plus diversifié que ça. Il existe tout le champ des alternatives, qui sont très dynamiques sur les territoires.
Le mouvement climat se caractérise par l’organisation de mobilisations de masse (marches, grèves scolaires, villages des alternatives). On doit construire de la cohérence entre les strates et utiliser l’ensemble des leviers qui sont à notre disposition, en même temps. Si on les utilise les uns après les autres, ça ne fonctionne pas. Par exemple, dans les années 2018–2019, nous avons eu les marches climat, beaucoup d’actions en justice, les recours et les luttes contre les grands projets inutiles. Le mouvement était puissant parce qu’il était pluriel et cohérent en même temps. En ce moment, nous faisons les choses de manière un peu moins articulée. Le temps que les liens et les échanges d’expérience se fassent, nous perdons du temps. Mais nous n’allons pas nous plaindre d’être un mouvement tellement dynamique qu’on n’arrive pas à suivre nos propres actualités !
Que pensez-vous des actions-choc de jeunes mouvements comme Dernière rénovation?
Il y a un décalage entre ce qui est décrit par les climatologues et la réaction de la société qui ne panique pas assez. Mais il faut réfléchir à ce qu’on veut générer. Est-ce qu’on veut transmettre l’anxiété ? Pour beaucoup de gens, ça suscite du déni et de la réactance car on a du mal à intégrer un problème si on pense qu’il n’y a pas de solution. Je fais une analogie : si on tire la sonnette d’alarme dans un bâtiment en flamme, il faut un plan de sortie et que les gens sachent quoi faire. Le plus important à obtenir est que des non-militants prennent un rôle actif. Je crois dans le mouvement de masse. Ce n’est pas inutile de tirer la sonnette d’alarme mais il faut rendre visibles les alternatives. Il faut faire bouger plus que les écoanxieux.
Quelle est la place de la joie dans ce mouvement ?
La joie, l’optimisme c’est fondamental. La lutte pour le climat, je la décris comme la bataille du siècle. Elle ne va pas s’arrêter, on va devoir gérer ces défis pendant des dizaines d’années. On ne peut pas être uniquement dans un militantisme sacrificiel, figé dans la peur. La boussole de notre engagement ne peut pas être le désespoir. Ne serait-ce que pour durer longtemps dans la lutte, il faut être heureux, joyeux et solidaires.
Une autre raison est qu’il faut porter un projet de société qui réduise les gaz à effet de serre et qui apporte du bonheur. Il faut militer pour construire ce type de société et il faut aussi être à l’image du type de société que l’on veut construire: véhiculer la joie, être pacifique, non-violent, respectueux des différences et inclusif. Dans la lutte non-violente, la fin est dans les moyens comme l’arbre est dans la semence. La manière dont on lutte construit déjà le type de société pour lequel on lutte.
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Il y a des raisons d’espérer. A la fin du film Don’t look up, ils arrêtent de lutter quand la comète vient. C’est logique, pourquoi lutter quand c’est foutu ? La différence, c’est qu’on peut encore agir et y arriver. L’histoire ne s’écrit pas avec des continuités mais des ruptures et des révolutions culturelles. Quand on regarde les grands bouleversements et ce qui a construit la société humaine, ils sont du même ordre que ce qu’il faut faire pour atteindre une société de décroissance matérielle, la sobriété heureuse et l’écologie populaire et solidaire.
La joie manque chez certains militants. Il faudrait valoriser mieux le travail sur les alternatives et raconter cette société plus désirable qui est atteignable. On n’est pas assez connectés à ça. Il y a eu des phases plus joyeuses. Le covid a laissé des traces profondes. Les chiffres du mal-être au travail ont explosé. Les gens ont été très impactés.
Comment construire cette joie militante ?
Il faut savoir visualiser la société alternative et être en train de la construire en même temps qu’on fait de la dénonciation de l’urgence et de la gravité du problème. Le mouvement climat doit avoir deux jambes : celle des résistances et celle des alternatives. Si on ne parle que des alternatives, on a le même problème. Notre équilibre stratégique et mental repose sur la joie ET la lucidité.
Notre théorie de changement ne repose pas les gestes individuels. On a besoin de transformation collective et d’alternatives systémiques comme les AMAP, le covoiturage, des coopératives d’énergie telle qu’Enercoop. L’enjeu est de faire passer les alternatives de la marge à la norme. Pour y arriver, il faut accélérer leur développement et donc trouver des effets leviers : les alternatives territoriales mises en place par Alternatiba avec le Réseau action climat et le collectif Pour une transition citoyenne. On s’intéresse aux leviers d’action à l’échelle des collectivités locales. Nous pourrions aller beaucoup plus loin dans les batailles sur la mobilité pour sortir la voiture des villes, redonner la place au vélo, à la marche, aux transports en commun.
Un autre exemple réussi, est l’approvisionnement à la cantine. Les menus dans la restauration collective déterminent nos chaînes d’approvisionnement et donc l’agriculture sur notre territoire. Bizi, mon collectif basque, vient de gagner une victoire sur les menus de restauration collective. La loi Egalim [qui prévoit un repas végétarien par semaine] n’était pas respectée. Bizi a formé les élus et surtout, on a remonté la chaîne d’approvisionnement et convaincu directement les fournisseurs de le faire. D’un coup, en changeant la politique des deux fournisseurs, on a modifié les menus de 52 établissements sur 30 communes, ce qui concerne 5 000 enfants.
Comment gagner la «bataille du siècle» ?
Pour que nos batailles embarquent les gens et qu’elles deviennent massives et populaires, il faut une vision du monde. Cette vision doit être lisible, crédible et désirable. Il faut arriver à la faire percevoir, c’est un premier niveau de la bataille culturelle. Nous voulons une société décroissante, basée sur les liens humains. Cela va à l’encontre de la société consumériste, de compétition et d’individualisme dominante.
Ensuite, il faut qu’elle soit crédible. En montrant que ça existe déjà dans les territoires, on prouve qu’elle peut devenir la norme. La crédibilité passe aussi par l’importance qu’on attache à la méthode scientifique.
Et désirable : il faut qu’on ait envie d’y aller. C’est une bataille culturelle car la société capitaliste consumériste nous expose à des milliers de messages publicitaires chaque jour. Le fait d’être heureux à travers la consommation reste le paradigme culturel majeur. Il faut qu’on arrive à être plus sexy que le capitalisme. Pour cela, il faut mélanger la fête à la lutte, être joyeux.
Que pensez-vous de mouvements issus des classes dites «supérieures» comme les jeunes diplômés de Pour un réveil écologique qui refusent de travailler dans des entreprises trop polluantes ?
C’est très intéressant et cela montre la force du mouvement climat. Nous avons réussi à leur faire entendre l’impasse dans laquelle nous sommes. C’est un secteur sociologique essentiel car il a des capacités de communication. Les classes sociales privilégiées sont visibles et servent de repère. Bien-sûr, il ne faut pas se limiter à une seule classe sociale.
On a reproché aux marches climat d’être relativement homogènes socialement avec des gens issus de classes moyennes et supérieures. Comment assurer une vraie diversité dans le mouvement ?
Je ne suis pas d’accord avec ce constat. Les marches climat avaient lieu partout, parfois dans des villes de 5 000 habitants. Dans le réseau Alternatiba et ANV, lors des camps climat, dans les villes de 20 ou 200 000 habitants, on a constaté que ce ne sont pas les mêmes classes sociales qui viennent. Il y a une diversité sociologique liée à la diversité des territoires. Dans les grandes villes, naturellement, les groupes sont sociologiquement plus homogènes mais pas dans les petites villes ni les territoires ruraux. Il y a un effet loupe parce que la partie du mouvement climat de centre urbain est beaucoup plus connectée aux réseaux sociaux et maîtrise les codes de communication actuels et ils sont au premier plan médiatique. On réduit le mouvement climat à sa sociologie du mouvement de centre ville mais il est beaucoup plus large que ça.
Néanmoins, le travail est loin d’être fini et il est vrai que nous n’avons pas encore assez de diversité sociologique. Si c’est un changement culturel que l’on veut, il faut qu’il soit le plus diversifié possible et cela doit passer par l’implantation dans des villes moyennes et dans les territoires ruraux. Nous devons nous inspirer des fédérations de chasse ou des fédérations sportives. Elles sont implantées partout et c’est pourquoi la chasse peut désobéir au droit européen et privatiser des espaces naturels. Il faut qu’on fasse ce travail d’autant plus que les organisations d’extrême droite, elles, le font. Et il faut valoriser notre diversité.
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