Quand Louise a découvert un panais dans le panier bio offert par la mairie de Strasbourg (Bas-Rhin) durant sa grossesse, elle a d’abord un peu fait la mou : «J’avais des a priori sur les légumes-racines : les topinambours, les navets…», reconnaît cette mère de 21 ans. Grâce aux recettes suggérées par le maraîcher, le tubercule a trouvé sa place dans le régime du petit Marcel*, né en mars dernier : «Je le cuis en vapeur avant de le mixer, c’est devenu son légume préféré !»

2 800 autres femmes ont bénéficié du dispositif «ordonnance verte» à Strasbourg, depuis sa création en 2022 dans la cité alsacienne par la majorité écologiste. Sur la base d’une prescription établie par un·e professionnel·le de santé, la mairie prend en charge un panier bio par semaine durant 2 à 7 mois – suivant le quotient familial – et convie la bénéficiaire accompagnée ou non à deux ateliers : prévention des perturbateurs endocriniens et cuisine végétale. En trois ans, cette initiative de santé alimentaire favorable à l’agriculture bio a été reprise à travers la France et même au-delà par des municipalités ou agglomérations de toutes tailles et couleurs politiques.
«Je suis parti de la science : de plus en plus d’études montrent que les perturbateurs endocriniens et polluants nuisent aux enfants à naître, comme celle de Carole Mathelin, cheffe de service de chirurgie à l’Institut de cancérologie Strasbourg Europe, argumente Alexandre Feltz, initiateur du dispositif au Conseil municipal de Strasbourg (groupe écologiste) et médecin. Les mairies ont une “compétence générale” [la possibilité d’intervenir dans n’importe quel domaine d’action publique, NDLR], ça permet d’expérimenter.»
Au départ testées sur 100 femmes via la protection maternelle infantile (PMI), les ordonnances vertes sont désormais prescrites à 30% des femmes enceintes de la ville par 250 professionnel·les de santé agré·es : généralistes, gynécologues, sages-femmes…
Présenté lors des rencontres du réseau Ville Santé de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à Nice en 2023, le concept a immédiatement convaincu Michel Buisson, vice-président (divers gauche) délégué à la santé de l’agglomération du Grand Angoulême (Charente) : «Dès 2024, nous avons voté un budget de 65 000 euros pour six mois, se félicite l’élu. Nous comptions sur 100 bénéficiaires et nous en avons eu 120.»
«Quel soulagement d’avoir un panier tout fait !»
Côté pratique, l’ordonnance verte et ses variantes fonctionnent sur un système d’inscription via le site de la mairie ou une plateforme. Une fois inscrite, la future maman choisit un point de livraison où un panier de légumes bio l’attend chaque semaine.
«J’ai commencé le panier à sept mois et, à ce moment de la grossesse, chaque déplacement compte : quel soulagement d’avoir un panier tout fait !, s’enthousiasme Valentine, qui a été chercher six mois durant son panier sous la halle du marché Saint-Cybard à Angoulême. J’ai aussi beaucoup apprécié l’atelier de prévention sur les perturbateurs endocriniens : j’ai viré toutes mes poêles en Teflon, je regarde les ingrédients des shampooings… j’ai encore toutes les fiches.»

En amont de la livraison du premier panier, les bénéficiaires doivent assister (accompagnées ou non) à un atelier dit de «nesting» dédié à la prévention sur les perturbateurs endocriniens et à un atelier «cuisine durable», avec pour objectif d’apprendre à cuisiner les légumes proposés. «Nous présentons des recettes sans robot, ni ustensile avec des légumes de saison : c’est pas du Top chef !», prévient Charlotte Gervais, coordinatrice de l’association de projets pédagogiques alimentaires La Régalade, qui organise ces initiations pour plusieurs agglomérations en Charente.
«Ça permet de sortir du traditionnel patates-viandes !, reconnaît Florence, jeune maman infographiste installée dans la campagne charentaise. J’ai gardé les fiches recettes pour réutiliser les fanes de radis pour des pestos ou des tartelettes par exemple. Le côté atelier fait beaucoup de bien : quand on est enceinte, on a tendance à se replier sur soi. Là, nous étions entre parents, ça a duré deux heures, je n’ai pas vu le temps passer !»
Trouver l’équilibre entre un panier plein et la rémunération des paysans
En plus de réduire l’exposition des femmes enceintes et l’enfant à naître aux pesticides, le fait de proposer une alimentation plus saine pendant la grossesse favorise le changement durable des pratiques alimentaires. «Nous avions travaillé depuis le début de notre mandat sur une alimentation bio et locale : il y avait nos ainés, les écoles, la crèche… Mais il avait un trou dans la raquette avant», récapitule Christelle Cailleux, première adjointe élue d’une liste citoyenne à Mûrs-Érigné (Maine-et-Loire). Située en banlieue d’Angers, la petite commune de 6 500 habitant·es expérimente le dispositif avec cinq familles pour 60 naissances annuelles.
Pour l’agglomération Grand Cognac (Charente), l’encouragement de l’agriculture bio a fait mouche : «Nous sommes dans une zone largement viticole, nous devons aider l’installation de maraîchage bio, plaide Pascale Belle, vice-présidente (sans étiquette) adjointe au développement durable. Grand Cognac paie 10 à 60% en fonction du quotient familial. Nous ne voulions pas du 100% gratuit : le but, c’est que les familles continuent à acheter après.»

Côté producteurs, ces paniers constituent un débouché avec des prix souvent avantageux : «Nous avons négocié avec Grand Angoulême pour trouver l’équilibre entre un panier bien rempli pour les consommateurs et un revenu qui couvre l’organisation pour arriver à 22 euros, se félicite Marine Lonardi, maraîchère paysanne bio dans le Nord de la Charente. Grâce à ces livraisons garanties sur nos points de distribution habituels, certain·es ont pu arrêter un marché le week-end et s’offrir un jour de repos !» Elle partage avec cinq autres fermes les 150 paniers distribués sur six points de livraison à travers l’agglomération.
Grâce à l’ordonnance verte de Strasbourg, la ferme Saint-André a pour sa part pu sécuriser dix postes en insertion. Côté «bonnes habitudes», la plupart des programmes évaluent à 10% la part des bénéficiaires qui continuent de s’approvisionner chez le producteur après la fin des paniers. «Mais nous en voyons qui reviennent quelques mois après la naissance, le temps de reprendre leur rythme, note Marine Lonardi. Il faudrait faire des relances.»
Des bénéficiaires dans la moyenne haute des revenus
Encore jeune, cette politique n’a pas fait l’objet d’évaluation médicale. La ville de Strasbourg vient tout juste de lancer un programme d’évaluation pluridisciplinaire, avec notamment l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) concernant l’exposition aux polluants avant et après la livraison des paniers.
La principale limite du dispositif apparaît au niveau social : la plupart des mamans candidates émargent dans la moyenne haute des revenus. Sur ce volet précis, toutes les collectivités ont leur plan pour mobiliser des partenaires à même d’élargir le public : Centre communal d’action social pour le Grand Cognac, centres sociaux et épiceries solidaires dans le Grand Angoulême…

Sur le plan politique, la mesure remporte partout un quasi-consensus : «On a une agglo très hétéroclite qui va de l’extrême gauche à la droite et le sujet fait quasi-unanimité, plastronne Michel Buisson à Grand Angoulême. Pour la deuxième année du programme, nous avons proposé 120 000 euros et les élu·es ont voté 155 000.» Le tout sur fonds propres.
Un modèle d’écologie positive qui peine à convaincre le gouvernement
Car, en Charente comme ailleurs, le programme peine à trouver des partenaires hors collectivité : les Caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) donnent quelques milliers d’euros pour la communication, la Mutualité sociale agricole pour le soutien à la filière bio… mais, globalement, l’initiative repose sur les contribuables locaux.
Le 17 septembre 2024, la députée écologiste alsacienne Sandra Regol a déposé une proposition de loi pour généraliser ces paniers à l’échelle nationale. «Pour moi, c’est l’expression de l’écologie positive : quotidien, simple, qui donne du plaisir .. l’opposé de la vision qu’en donne CNews !», s’amuse la parlementaire.
Mais tandis que le dispositif continue de convaincre de l’agglomération de La Rochelle (Charente-Maritime) à la ville de Rennes (Ille-et-Vilaine) en passant par Montpellier (Hérault), la proposition de loi reste à l’état embryonnaire. «Le gouvernement ne bouge pas, les communes avancent, déplore Sandra Regol. Sauf que, à la fin, ce manque de courage politique fait tout reposer sur le local. Et ça crée des inégalités entre les territoires.»
*Le prénom a été modifié.
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