Reportage

Municipales 2026 : face à la désindustrialisation, Argentan se rêve en ville-modèle de la transition écologique

Dur comme vert. Autrefois fleuron industriel de l’Orne, Argentan s’est muée en pépinière de projets écologiques. Scrutée à l’échelle nationale, la ville veut être un exemple de transition verte. Mais, à l’aube des municipales, ce virage fait grincer quelques dents. Vert s’est rendu sur place.
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À l’approche d’Argentan (Orne), à la sortie de l’autoroute, le grand bloc de béton de l’entreprise Newcold (spécialisée dans l’exploitation des entrepôts frigorifiques) se détache de l’horizon, ce jeudi 13 novembre. Plus loin, quelques bâtiments rappellent le passé industriel prospère de cette ville normande de 13 000 habitant·es.

Argentan, dans l’Orne, compte 13 000 habitant·es. © Gilles Guillamot/Wikimedia

La désindustrialisation frappe la sous-préfecture de l’Orne depuis les années 2000, marquées par la fermeture progressive de poids lourds comme Moulinex (qui employait plus de 600 personnes à son apogée). Plus récemment, en 2022, Sermix (une usine d’aliments pour le bétail) a jeté l’éponge. Même chose pour le sous-traitant automobile Marelli, en 2024, entraînant des licenciements massifs et ravivant le traumatisme d’un âge d’or révolu.

En 2021, 24% des habitant·es d’Argentan vivaient sous le seuil de pauvreté, selon l’Insee. Le taux de chômage atteint 7,1 %, plus qu’à Flers (6,9 %) mais moins qu’à Alençon (7,2%), les deux autres plus grandes villes de l’Orne, selon les chiffres de France Travail pour le 3ème trimestre 2025. Et plus d’un quart des 16‑25 ans sont sans emploi ou déscolarisé·es, d’après les données de l’Insee en 2025.

Face à cet héritage industriel et à ses conséquences sociales, la ville et l’intercommunalité Terres d’Argentan ont choisi un nouvel horizon : la transition écologique. Depuis six ans, les initiatives se multiplient : école «éco-responsable», fabriquée en partie en paille, maraîchage bio pour les cantines, projets d’énergies renouvelables, corridor écologique pour protéger les rives de la rivière Orne… Argentan est devenue un véritable terrain d’expérimentation, scruté aux niveaux régional et national.

La future école du quartier prioritaire Saint-Michel-Vallée-d’Auge, à Argentan (Orne), qui ouvrira ses portes à la rentrée 2026, est notamment construite à partir de bois et de paille. © Clément Gousseau/Vert

La politique du maire sortant et président de l’intercommunalité, le socialiste Frédéric Leveillé, se veut à mi-chemin entre l’écologie et l’anticipation. En revanche, il l’assure : «Nous ne sommes pas des écolosploum-ploumqui vivent sur un nuage avec des petits oiseaux et des petites fleurs.» L’écologie n’en reste pas moins son cheval de bataille.

Donner une valeur économique à l’écologie

Cet engagement en faveur de l’environnement ne date pas d’hier dans cette place forte de la gauche. «Nous avions déjà mis des choses en place avant, avec l’installation d’un réseau de chaleur», rappelle son prédécesseur (socialiste) à la tête de l’intercommunalité, ancien président de l’ex-région Basse-Normandie, Laurent Beauvais.

La volonté politique en faveur de l’écologie s’intensifie depuis six ans, reconnaît-on tant dans l’équipe du maire que chez ses opposant·es. Des panneaux photovoltaïques ont été installés au sein de l’énergivore station d’épuration afin d’assurer une autoproduction d’électricité, via la création d’une association énergétique. «À terme, l’énergie produite localement représentera 40% du montant total de la facture d’électricité de la station», précise Frédéric Leveillé. D’autres projets de ce type sont envisagés à l’échelle de l’intercommunalité.

Tout cela avec un leitmotiv : donner une valeur économique à l’écologie. «C’est une nécessité pour embarquer les gens», confirme Josselin Sourisseau, directeur du pôle urgence climatique, aménagement et cadre de vie de Terres d’Argentan.

Le maire l’assure, les économies liées à cette politique seront bientôt visibles. Les consommateur·ices devraient notamment bénéficier d’une partie de l’électricité produite localement, même si ce n’est pas le cas pour le moment. Des projets autour des déchets sont aussi envisagés. «Nous avons mis cinq ans à construire des outils, nous sommes prêts à les utiliser», promet celui qui briguera un nouveau mandat en mars prochain.

Josselin Sourisseau (à gauche), directeur du pôle urgence climatique, aménagement et cadre de vie de l’intercommunalité Terres d’Argentan. Et Frédéric Leveillé (à droite), maire d’Argentan et président de Terres d’Argentan. © Clément Gousseau/Vert

Pour associer la population à cette dynamique, des cycles de conférences sont organisés depuis trois ans dans le cadre d’une Université populaire des transitions. Expert·es à l’échelle nationale ou locale y interviennent sur des sujets variés : progrès social, pollution des océans, systèmes de santé… L’objectif avec ces rendez-vous participatifs est de créer une conscience collective autour des transitions écologiques et sociales.

Une transformation loin de faire l’unanimité

Mais la métamorphose écologique d’Argentan ne fait pas l’unanimité. D’autant plus que la ville reste l’une des rares du département dirigées par la gauche. Karim Houllier, qui siège dans l’opposition, met en garde contre «un risque de diktat de l’écologie, comme à Lyon», dans le Rhône. Selon lui, ce virage vert pourrait «faire fuir les entreprises. Argentan peut être un modèle de transition écologique, mais cela ne résoudra pas notre problème économique.» Pour lui, les habitant·es restent avant tout préoccupé·es par le pouvoir d’achat et la sécurité.

Un constat en partie partagé par le socialiste Laurent Beauvais : «Ce qui est fait par le maire est utile mais, je l’entends, les gens attendent d’autres choses. Il n’y a pas assez de retombées sur leur quotidien.»

À Argentan, le taux d’énergies renouvelables est passé de 13% en 2015 à 30% en 2025. L’une des raisons : l’installation de nombreux panneaux solaires. © Clément Gousseau/Vert

Bien que présentées comme «redistributrices», les mesures écologiques ne permettront pas de compenser les pertes d’emplois du secteur industriel. Par ailleurs, l’entreprise RecyOuest (spécialisée dans le recyclage des déchets plastiques de l’agriculture), installée à Argentan, a été placée en liquidation judiciaire en juillet dernier, entraînant une nouvelle perte d’emplois, 16 au total.

Dans les rues de cette ville où le Rassemblement national a fait une percée lors des dernières législatives, les avis divergent. Beaucoup reconnaissent l’opiniâtreté du maire sur les sujets environnementaux.

Seul candidat déclaré face à Frédéric Leveillé, l’ancien élu local Xavier Jaglin (divers droite) n’a pas donné suite à nos sollicitations. Il avait toutefois indiqué à nos confrères du Journal de l’Orne vouloir «qu’Argentan redevienne Argentan en termes d’économie et d’emploi».

Le rêve d’un modèle pour d’autres territoires

Le maire l’assure pourtant, son projet n’est pas «une vue de l’esprit. Tous les territoires devraient en faire autant que nous.» L’Ademe (Agence de la transition écologique) et la région Normandie ont d’ailleurs octroyé à Terres d’Argentan une «carte blanche» pour financer ses projets de transition.

Ce dispositif, unique en France, qui concerne cinq intercommunalités normandes, permet d’éviter les traditionnels appels à projets et d’obtenir directement des financements. «Un sacré coup de pouce», reconnaît Frédéric Leveillé.

Une façon de plus d’être reconnu à l’échelle nationale. Terres d’Argentan est suivie de près par plusieurs intercommunalités – qui ne peuvent pas être citées publiquement pour le moment, pour des raisons de confidentialité. «Le maraîchage [Terres d’Argentan ambitionne de produire 80% des légumes de ses cantines scolaires d’ici à 2028, NDLR] va devenir un cas d’école pour les autres. Nous souhaitons avoir un véritable modèle économique, en donnant une valeur à nos légumes, ce qui n’est pas fait ailleurs», estime Frédéric Leveillé.

Terres d’Argentan ambitionne de produire 80% des légumes servis dans ses cantines d’ici à 2028, avec le concours de Baptiste Rosel, maraîcher. © Clément Gousseau/Vert

L’intercommunalité a par ailleurs réussi à passer de 13 % d’énergies renouvelables en 2015 à 30 % en 2025, grâce notamment à ses nombreux panneaux solaires. Elle ambitionne d’être totalement autonome énergétiquement à l’échelle du territoire (tous acteurs confondus) à horizon 2030 – bien plus tôt que l’objectif initial de 2048. «Moi, je préfère anticiper, plutôt qu’on se batte comme dans Mad Max», conclut le maire.

Reste à voir si cette stratégie réussira à convaincre les électeur·ices, en mars prochain.

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