Au milieu des anciennes maisons de briques rouges qui parsèment le centre-ville de Fourmies (Nord), un bâtiment tout de bois et de matériaux recyclés détonne. Inauguré à l’été 2023 dans cette commune d’un peu plus de 10 000 âmes, le «Central» fourmille de projets. Ici, des habitant·es viennent réparer des appareils ménagers ou de vieux vêtements ; là, certain·es viennent avec leur ordinateur pour recevoir des conseils informatiques. Et, dans d’autres salles, des entreprises ou des associations peuvent tenir des réunions.

L’été, des «ateliers de la débrouillardise» sont même organisés pour apprendre à fabriquer un lombricomposteur ou un séchoir solaire. En partie alimenté en électricité par des panneaux photovoltaïques sur le toit, ce tiers-lieu se veut un des symboles de la nouvelle politique écologique impulsée par le maire, Mickaël Hiraux (divers droite). «Pour moi, l’écologie n’est ni de droite ni de gauche, tout le monde doit y participer», défend auprès de Vert celui qui a été élu en 2014 – contre toute attente – face à son prédécesseur communiste Alain Berteaux.
De l’effondrement économique à la «troisième révolution industrielle»
Peu de temps après son arrivée au pouvoir, ce chef d’entreprise – qui se dit «de centre-droit» – apprend l’existence d’un vaste projet régional de «troisième révolution industrielle» (aussi appelé «Rev3»). Il décide de faire de Fourmies une commune pionnière en la matière. «L’objectif de la ville est d’être autonome en énergie renouvelable à horizon 2050, par une diminution forte de nos consommations et par une production de chaleur et d’électricité», expose Marie Henneron, qui dirige le programme Rev3 à la mairie de Fourmies depuis 2015.

Après le développement du charbon et de la machine à vapeur à la fin du 18ème siècle, puis celui de l’électricité et du pétrole, «la région [Nord-Pas-de-Calais, puis Hauts-de-France depuis 2016, NDLR] souhaitait anticiper une troisième révolution industrielle basée sur les énergies renouvelables et l’arrivée d’Internet», se souvient Jean-François Caron, ancien élu (Europe Écologie Les Verts, aujourd’hui Les Écologistes) au conseil régional et animateur du projet à ses débuts. Il reconnaît en Fourmies un cas «intéressant» : «Plus la ville réduit sa dépendance aux énergies fossiles, économise de l’énergie dans la construction et développe le numérique, plus elle construit son avenir, il n’y a pas l’ombre d’un doute.»
L’idée d’une nouvelle «révolution» rencontre un écho particulier dans cette ancienne ville ouvrière, marquée au fer rouge par la désindustrialisation. Restée célèbre pour la fusillade du 1er mai 1891, durant laquelle neuf grévistes sont tombé·es sous les balles de l’armée française, Fourmies rayonnait autrefois par ses nombreuses usines de textile. Longtemps capitale mondiale de la laine peignée, la commune a subi de plein fouet la concurrence des productions étrangères après 1945. Elle est aujourd’hui l’une des villes les plus pauvres de France. Son taux de chômage avoisine les 30% et plus du tiers des habitant·es vivent en situation de précarité énergétique.

«Dès l’instant où l’on réhabilite le patrimoine et où l’on massifie la production d’électricité à un prix stable, vous rendez du pouvoir d’achat à vos habitants», défend Mickaël Hiraux. Ce basculement politique fait grincer des dents chez ses opposant·es. Fils de l’ancien maire communiste et candidat (divers gauche) aux dernières élections municipales, Franck Berteaux dénonce un «champion de la communication», très présent sur les réseaux sociaux : «On a l’impression que ce sont des effets de communication pour se faire réélire.» En 2020, Mickaël Hiraux a été réinvesti dès le premier tour avec 67% des voix – mais avec une forte abstention.
Panneaux solaires sur les toits et chaufferie à bois
Dans les rues grisonnantes de Fourmies, la révolution énergétique est difficilement visible au premier coup d’œil. Depuis 2015, cinq centrales solaires ont été installées sur des toitures pour alimenter en électricité une partie des bâtiments publics : gymnases, hôtel de ville, cinéma, salles des fêtes, ou encore le fameux «Central». Autre pilier de cette transition : le réseau de chaleur renouvelable, inauguré fin 2022. Alimentée avec du bois de haies local, une chaufferie envoie de l’eau à 85°C dans d’imposants tuyaux pour assurer les besoins en chauffage de neuf des principaux bâtiments publics de la ville.

«Ces chaufferies de petite ou moyenne taille alimentent les bâtiments avec une combustion efficace et une ressource locale, pas chère et renouvelable, car on émet le carbone qui a été absorbé», éclaire Charlotte Tardieu, responsable du pôle territoires au réseau Cler, qui aide de nombreuses collectivités locales à développer les énergies renouvelables.
Dix ans après avoir lancé sa «troisième révolution industrielle», Fourmies reste loin de son objectif d’autonomie énergétique. Pour l’instant, la commune produit seulement 2% de ce qu’elle consomme en matière d’électricité, et 4% pour ses besoins en chaleur. «Cela peut sembler insignifiant, mais nous sommes partis de rien, rappelle Marie Henneron. C’est énorme pour décoincer tout le reste, donner de la confiance à un élu pour continuer, embarquer les habitants dans cette dynamique.»

L’heure est maintenant à la «massification de la production d’énergie renouvelable», aime à répéter la cheffe d’orchestre du projet. Un deuxième réseau de chaleur doit voir le jour d’ici à l’hiver 2029. Avec dix fois plus de capacité que l’actuelle chaufferie, il devra assurer entre 30 et 40% des besoins de la ville – y compris pour certains logements privés. Dans les prochaines années, la mairie rêve aussi de créer de nouvelles centrales photovoltaïques sous forme de «communauté énergétique». Ce système permettrait à la ville, aux entreprises locales et aux habitant·es de gérer collectivement leur production et leur consommation d’énergie.
Investissements à foison
Produire plus d’énergie renouvelable ne suffira pas pour couvrir les besoins d’une commune, rappelle Charlotte Tardieu : «Il faut aussi réduire drastiquement les consommations en isolant les logements et en jouant sur les usages, ce qui touche à la sobriété.» Depuis huit ans, la ville rénove ses bâtiments publics pour les rendre moins gourmands en énergie. Elle a également remplacé l’intégralité de l’éclairage public.
Pour atteindre ses objectifs, la ville a calculé qu’elle devait réduire ses consommations d’énergie de 63% par rapport à 2017, ce qui passe aussi par le secteur privé. «Nous avons embarqué les bailleurs sociaux et les habitants dans cette dynamique», se réjouit Marie Henneron. L’office public de la ville s’est par exemple engagé à rénover la moitié de ses logements d’ici à 2026. Une soixantaine de nouveaux habitats à basse consommation d’énergie sont également sortis de terre sur une ancienne friche.

«Fourmies change, évolue, mais c’était déjà le cas sous les précédentes majorités», tance l’ancien opposant Franck Berteaux, qui ne se représentera pas aux élections de 2026. Ce dernier indique qu’il avait investi 23 millions d’euros pour la rénovation des bâtiments lorsqu’il était élu en charge du logement social sous l’ancien mandat communiste. Il s’inquiète aujourd’hui des investissements tous azimuts du nouveau maire, avec «une dette par habitant qui est aujourd’hui quatre fois supérieure à la moyenne nationale», et craint même une «mise sous tutelle» de la ville.
«Même si le maire n’est pas de ma couleur politique, je dis bravo !»
«Les banques ont confiance en nous, elles regardent nos investissements et notre vision politique», répond Mickaël Hiraux. Il met en avant les économies permises par ses différents projets sur le temps long, et rappelle que ces derniers bénéficient en partie d’aides européennes et nationales. «L’action de Fourmies a créé des effets d’entrainement dans le monde économique, reconnaît l’écologiste Jean-François Caron, qui a lui-même mis en place une transition écologique précurseure lorsqu’il était maire de Loos-en-Gohelle (Pas-de-Calais). Même si le maire n’est pas de ma couleur politique, je dis bravo !»

Pour ce dernier, l’exemple de Fourmies est même une «épine dans le pied» de la droite française, qui multiplie les reculs écologiques ces derniers temps – certains membres des Républicains réclamant par exemple un moratoire sur les énergies renouvelables. «Des postures politiques», estime Mickaël Hiraux, qui a quitté ce parti en 2017 après l’élection de Laurent Wauquiez, «plutôt d’extrême droite», d’après lui. Désormais sans étiquette, le maire de Fourmies compte bien continuer son bonhomme de chemin, et planche désormais sur un plan d’adaptation de la ville au changement climatique. Il sera «évidemment» candidat à un troisième mandat lors des élections municipales de 2026.