Quand pensez-vous officiellement annoncer que vous êtes candidat pour la présidentielle de 2027 ?
On a des choses beaucoup plus sérieuses à traiter : que ferait une équipe de gauche quand elle arriverait au pouvoir face à l’enjeu majeur de la crise climatique qui est notre horizon, notre mur, notre soleil noir ? L’une des raisons pour lesquelles on en parle peu, c’est parce que c’est comme la mort. Si tu te réveilles le matin et que tu penses à la mort, tu ne vis plus. Je suis là pour ça.
La France est très en retard sur ses objectifs de baisse de ses émissions de gaz à effet de serre, qui deviennent encore plus ambitieux cette année. Par où on commence pour les réduire ?
Il faut commencer par le dossier du logement. Pendant cinq ans en commission des affaires économiques à l’Assemblée nationale, je n’ai cessé de répéter qu’on devait investir des dizaines de milliards d’euros dans la rénovation thermique.
Actuellement, on rénove 2 500 passoires thermiques par an. Comme il y en a cinq millions en France, il nous faudrait 2 000 ans à ce rythme pour rénover tous les logements. Il faut multiplier la vitesse par dix, par cent. Ce ne sont pas des dépenses, c’est de l’investissement. On sera gagnant sur nos factures, sur les gaz à effet de serre, sur la santé des gens, sur l’emploi qui est local et sur l’indépendance énergétique, qui est un enjeu majeur comme on l’a vu avec la guerre en Ukraine.
Ensuite, il nous faut la main‑d’œuvre. De la même manière qu’on a des campagnes pour l’armée «Engagez-vous, défendez la patrie», on devrait avoir des messages : «engagez-vous dans le bâtiment, devenez plombier, couvreur, maçon, défendez notre pays, sauvez la planète». C’est-à-dire donner une fierté à ces jeunes qui vont dans le bâtiment. Qu’ils se disent : «j’y vais parce que j’ai une vocation, pour l’avenir». C’est le volet spirituel.
Il faut aussi un volet matériel à l’engagement sur ces métiers-là. On sait qu’à 50 ans, 55 ans, on a des problèmes de genou, de dos. Comme pour les carrières militaires, il faut un régime spécial qui fait qu’on peut partir à la retraite plus tôt et qu’on peut avoir un deuxième boulot ensuite.
Si on croit au marché, on continue comme les macronistes et on en a pour 2 000 ans. Mais on sait que le marché ne marche plus. On en voit aujourd’hui les dysfonctionnements majeurs : pour les médicaments ou pour l’électricité. Il nous faut passer à une économie davantage dirigée.
Nous devons diriger les capitaux, la main d’œuvre, les savoir-faire vers l’économie de guerre climatique.
Ce samedi, vous organisez un colloque sur «l’économie de guerre climatique». De quoi s’agit-il ?
Quand Roosevelt entre en guerre, en décembre 1941, il lui manque des porte-avions, des bombardiers, des tanks. La part de l’armée dans le PIB des États-Unis, c’est moins de 2%, et les commentateurs disent : « C’est trop tard, on n’est pas prêts. ». Lui met les États-Unis en économie de guerre et il décide de canaliser tous les capitaux, toute la main‑d’œuvre, les savoir-faire du pays dans une seule direction : l’économie de guerre.
C’est pareil aujourd’hui pour le réchauffement. On nous dit : « C’est trop tard… » Eh bien non : nous devons faire pareil que Roosevelt face à ce défi climatique. Nous devons diriger les capitaux, la main d’œuvre, les savoir-faire vers l’économie de guerre climatique. Pour le logement, l’État doit diriger 10 à 20 milliards d’euros par an pour en finir avec les passoires thermiques.
Quelle est la différence avec la planification écologique, lancée par le gouvernement d’Élisabeth Borne ?
Il n’y a pas de planification écologique aujourd’hui. C’est un mot, pas une réalité. Il laisse tout au marché. Sur le logement, par exemple, c’est le marché, aménagé d’une Prim’Rénov.
Surtout le gouvernement ne construit pas de filières. Par exemple, pour le bois, comment expliquer qu’on soit un pays du tiers-monde qui exporte la matière première et importe les produits transformés sous forme de meuble ?
Pourquoi produit-on des batteries pour les voitures électriques, en laissant tomber les fonderies en aluminium ? Il faut une cohérence entre la politique industrielle et la politique commerciale.
Le Haut Commissariat au Plan produit des choses très intéressantes, mais le gouvernement n’en tient pas compte. Macron a été élu à contretemps de l’histoire. Aujourd’hui, plus personne ne veut de la pensée libérale qui repose sur le marché, la concurrence et la mondialisation. Avec la crise des Gilets jaunes, la pandémie et la guerre en Ukraine, ils opèrent pourtant des interventions de l’État, mais comme il ne renonce pas à la pensée libérale sous-jacente ça donne des interventions bricolées, bidouillées et non pas organisées et planifiées. Attention : je ne viens pas dire qu’il faut tout nationaliser. En revanche, Roosevelt, pendant la guerre a été l’organisateur, l’orchestrateur des énergies du pays.
Un récent rapport des économistes Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz estime que d’ici 2030, le supplément de dépenses publiques nécessaire pour financer la transition climatique serait compris entre 25 et 34 milliards d’euros par an. Où trouve-t-on cet argent ?
Je reprends l’exemple de Roosevelt : pendant les trois années de la Seconde guerre mondiale, l’impôt sur le revenu aux États-Unis a été multiplié par 20. L’impôt sur les sociétés par 16. La mobilisation des patrimoines, des richesses et des ressources sur le capital avait, un double objectif : d’une part, avoir les ressources pour produire des tanks et des bombardiers. Le second objectif, c’est la cohésion nationale et l’unité sociale. Si on demande des efforts et que le sentiment c’est que, nous les gens, on doit tout porter et qu’en haut, ils y échappent, ça ne va pas.
Pisani-Ferry, qui est macroniste, donc libéral, dit pourtant qu’il y a besoin d’un impôt sur la fortune climatique. Si même lui l’admet, nous sommes dans un moment d’aberration absolu : on nous parle de «crise», mais les dividendes du CAC40 n’ont jamais été aussi élevés. Je sors d’une audition sur les sociétés d’autoroute. Celles-ci ont enregistré 4,5 milliards d’euros de profits l’an dernier, dont 4 milliards vont dans la poche des actionnaires et ne sont pas utilisés pour transformer les déplacements. On peut en récupérer déjà trois milliards pour le rail.
Le rapport Pisani-Ferry suggère d’utiliser la dette comme autre pilier pour financer la transition écologique. Vous êtes d’accord avec ça ?
La dette dont on parle, pour moi, c’est de l’investissement. Si on s’endette pour rénover les logements, c’est pour moins dépenser demain. Quand on me dit : comment nos enfants vont vivre avec cette dette énorme sur le dos… Non, la question c’est : qu’est-ce qu’ils vont avoir comme flotte qui va couler du robinet ou pas. Est-ce qu’ils vont avoir à subir 45°C en permanence ? Qu’est-ce qui va encore pousser dans les champs ?
Je suis a‑croissant, comme il y a des agnostiques. J’ai viré la croissance de mon champ de croyance.
A l’inverse de Macron, qui dit qu’il n’avait pas de conscience du drame écologique, j’ai cette conscience tragique, la conscience d’une catastrophe en cours — d’abord la couche d’ozone, puis le réchauffement climatique -, depuis ma jeunesse. Je suis convaincu qu’il ne peut pas y avoir une croissance infinie sur une planète finie. Il faut poser des limites.
Vous dites qu’il faut des limites ; est-ce que la décroissance est indispensable ?
Je suis a‑croissant, comme il y a des agnostiques. J’ai viré la croissance de mon champ de croyance. Je ne vise ni la croissance, ni la décroissance. J’ai une critique de la croissance sur le volet vert et rouge. Rouge, c’est-à-dire qu’on use de la croissance pour dire aux gens : il faut d’abord faire grossir le gâteau, et chacun en aura plus.
Mon raisonnement c’est que le gâteau est déjà assez gros aujourd’hui mais il faut mieux le répartir. A cela s’ajoute : qu’est-ce qu’il y a dans le gâteau et est-ce qu’il est encore bouffable ? Sur l’eau, l’air, la terre : on produit une dégradation des conditions de vie.
Il y a une rupture dans notre histoire. Pendant un siècle, «produire plus» a signifié «vivre mieux», parce que l’électricité, l’eau courante, un logement bien isolé, un frigo… Ça a amélioré les conditions matérielles d’existence et les indices de bien-être : l’espérance de vie, le taux de mortalité infantile. A partir des années 70, le PIB continue à augmenter mais il n’y a plus aucune corrélation avec les indices de bien-être.
C’est en somme ce que disent les penseurs de la décroissance, mais peut-être voulez-vous éviter un terme qui fâche ?
Oui, être dans la bataille idéologique, c’est sans doute user de ces mots-boulets, je l’ai beaucoup fait. Dans la bataille politique, il s’agit d’entraîner, le plus largement. Donc, je n’ai pas envie de prendre le terme.. Mais j’ai réalisé un livre d’entretiens avec Jean Gadrey, un économiste, expert de la croissance. Et je suis fan des travaux de Richard Wilkinson, un épidémiologiste qui a écrit Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous.
On voit que jusqu’à 20 000 dollars par an, il y a une corrélation entre les indices de bien-être et le PIB : mieux manger, l’arrivée des soins, de l’éducation. Mais pas au-delà Au-dessus de 20 000$, démontre Wilkinson, ce sont les liens, l’égalité, la fraternité, les relations qui produisent du bien-être. Or, c’est quelque chose que l’on dégrade aujourd’hui, la détérioration des liens sociaux fait partie de la crise écologique.
En cette période d’inflation, quelles mesures rapides faut-il prendre pour concilier fin du mois et fin du monde ?
Aujourd’hui, l’une des mesures de décence et de bon sens, c’est que les citoyens puissent vivre de leur travail. Je viens de passer quatre jours en circonscription et mes oreilles ont servi de cahiers de doléances. Des travailleurs de la logistique, qui se lèvent en pleine nuit pour aller transporter les marchandises, et qui sont passés sous la ligne de flottaison. Ils ont l’habitude de se serrer la ceinture, mais là, ça y est, ils sont à découvert. ‑50 € par mois, pas de vacances cet été, pas d’extra. Je propose l’indexation des salaires sur l’inflation, quelque chose qui a existé jusqu’en 1982.
La part du budget des ménages consacrée au logement n’a cessé d’augmenter : comme le réclame le Conseil national de la refondation, il faut en partie sortir le logement du marché. Encadrer les loyers, encadrer les prix du foncier. Avec un plan destiné aux plus mal-lotis dans l’immobilier : les jeunes. En priorité, on devrait bâtir des résidences universitaires et des foyers de jeunes travailleurs.Quant à l’alimentation, l’Insee a évalué qu’environ 70% de l’augmentation des prix est liée aux profits de l’industrie agroalimentaire. Le blocage des prix sur un temps court paraît nécessaire. Sinon, on voit ce qu’il se passe : les dépenses alimentaires en bio reculent et la malbouffe explose.
Quelle est la place du travail dans une économie de guerre climatique ? Faut-il en réduire la durée, par exemple en instaurant la semaine de 4 jours ?
Notre priorité doit être de travailler mieux. Le mal-être au travail est énorme. D’après la Dares, qui dépend du ministère du travail, 12% des salariés subissaient une triple contrainte physique en 1984. On peut penser qu’avec la numérisation, la robotisation, l’automatisation, ça aurait diminué. Pas du tout : on est passés à 34% des salariés et 63% des ouvriers. Et sur le mal-être psychique, par exemple remplir plusieurs tâches en même temps, on est passés de 6 à 35%.
Alors, d’accord pour travailler moins. Mais notre but premier doit être de travailler mieux. C’est pas le paradis, le travail, c’est de l’effort, mais on doit en tirer une fierté. Il faut que le travail soit un lieu où l’on se réalise en réalisant.
Dans une société écologique, il y a beaucoup de travail : d’abord, pour rénover les cinq millions de passoires thermiques. Si on veut moins de chimie et moins de mécanique dans l’agriculture, c’est un paquet de gens qui vont avoir mal au dos. Je pense qu’il faut un atelier de réparation par quartier ou par canton, pour qu’on ne change pas nos matériaux électroniques tout le temps. C’est une société où l’on s’occupe bien des enfants, des personnes en situation de handicap, des personnes âgées, des malades et ça encore c’est beaucoup de travail. Je ne suis pas du tout convaincu de la disparition du travail.
Sans compter les industries qu’on doit rapatrier : aliments, vêtements, médicaments. Et il y a certaines choses qu’il va falloir moins consommer : les ordinateurs, les téléphones portables, qu’on ne rapatriera pas.
Si on rapatrie des activités, il faut réindustrialiser massivement la France. C’est ce que vous souhaitez ?
Oui, c’est presque la mère de mes batailles. Mais je place au cœur la question de la démocratie. Quand je dis, un État qui canalise, qui organise, ça pose la question: ce n’est pas une technocratie qui doit décider mais ça doit être débattu largement. Et sur l’industrie : que veut-on produire et ne plus produire ? Ce n’est pas au marché de décider. Je me souviens d’une discussion avec les ouvriers de Whirlpool, moi leur disant en gros : « franchement produire des sèche-linges, est-ce qu’on en a besoin ? le vent fait le boulot depuis des millénaires… » Ils étaient d’accord ! Mais comment on explique que la France n’ait plus une seule usine de lave-linge quand la petite Suisse en a encore deux ?
Il est difficile de faire admettre qu’on va à la fois sortir des énergies fossiles et du nucléaire.
Avec la transition écologique, on va devoir électrifier de plus en plus de nos usages et produire beaucoup d’électricité sur le sol français. Plusieurs de nos lecteurs nous ont demandé s’il fallait, selon vous, relancer la filière nucléaire au nom de l’indépendance énergétique et de la réindustrialisation. Que leur répondez-vous ?
Joker [sourires]? Je poserais le même préalable : la démocratie. C’est au peuple français d’en débattre, de trancher. Il est difficile de faire admettre qu’on va à la fois sortir des énergies fossiles et du nucléaire. Mais cette technologie, en même temps, comporte des risques. Alors, il faut canaliser toute la recherche, toutes les intelligences, vers les énergies renouvelables. Je vais visiter une éolienne en mer, flottante, à Saint-Nazaire vendredi prochain — les socles sur les fonds marins, c’est pas terrible, ni pour les poissons, ni pour les pêcheurs. C’est expérimental. Il ne faut pas que la place importante du nucléaire dans le mix énergétique nous empêche d’être à la pointe sur les énergies renouvelables.
Mais encore une fois : il faut construire des filières. Dans la Somme, nous avons des éoliennes partout, mais aucune n’est produite dans le Nord, ni en France.Tout est importé. Les gens doivent être respectés : quand vous vivez en zone rurale, si la gare, la Poste, le bar et l’école sont partis et qu’en échange est arrivé un parc d’éoliennes, qui, en plus, créent 0 emploi sur le territoire, ça commence à faire beaucoup.
Vous avez dit récemment que vous ne vouliez pas «diviser» mais plutôt «réparer». Les éoliennes sont un très bon exemple de ce qui divise les Français. Faut-il assumer d’y aller à fond au risque de brusquer un peu les gens ?
Encore une fois, la démocratie n’est pas un vain mot. Il doit y avoir un débat démocratique profond pour savoir quelles énergies on veut pour notre pays, compte tenu de notre savoir-faire en matière de nucléaire, mais aussi des risques qui y sont liés. Et cela peut être tranché démocratiquement, y compris par un référendum. Il ne faut pas que ce soient de nouveaux experts verts qui décident de tout en haut pour l’imposer aux gens.
Quel est notre idéal ? Le droit au bonheur, le droit à l’épanouissement personnel, l’accès aux droits. Si un genre assigné est une barrière à tout cela, alors il faut la lever.
Vous avez récemment dit que vous deviez «progresser» sur le sujet des droits des LGBTQIA+ après une intervention sur France info où, alors qu’on vous demandait s’il fallait une loi en France pour faciliter le changement de genre à l’état civil comme en Espagne, vous aviez répondu ne pas vouloir «creuser davantage» les «fractures» de la société. Une intervention qui a fait polémique. Est-ce que vous avez changé d’avis sur le sujet ?
Bon, d’abord, quand on raconte un truc nul, faut l’admettre. Quel est notre idéal ? Le droit au bonheur, le droit à l’épanouissement personnel, l’accès aux droits. Si un genre assigné est une barrière à tout cela, alors il faut la lever.
Je ne me suis pas exprimé sur le fond à France info, je me questionne sur comment on embarque toute la société. Elle a profondément changé avec le mariage pour tous. Je ne veux pas construire l’image des classes populaires réactionnaires. Elles ne le sont pas. Dans mon coin, je n’ai jamais entendu des remarques contre le mariage pour tous. Le sujet, c’est comment on les embarque, comment les ouvriers, employés renouent avec la gauche ?
Peut-on faire l’économie de mesures sociétales après dix ans de macronisme si l’on veut unir la gauche pour 2027, ou pour d’autres combats ?
Je ne dis pas qu’il ne faut pas le faire. Ma démarche, elle part du reportage. Tout ce dont je parle là, c’est des rencontres avec des artisans, des travailleurs, des apprentis, des chercheurs, etc. Sur l’autodétermination de genre, je veux rencontrer des gens pour comprendre leurs difficultés, leur volonté, leur fierté, pour que mon discours ne soit pas de principe, parce que c’est dans le programme, mais de conviction, parce que là aussi je saurai pour quelles voix, quelles vies, quels visages je parle.
Vous vous adressez beaucoup à un public rural ou périurbain, souvent dépendant de la voiture. Faut-il en finir avec la voiture individuelle ?
Le rail devrait être l’outil majeur de la transformation. Dans les Hauts-de-France, 9 habitants sur 10 sont à 5 ou 10 kilomètres d’une gare. Potentiellement, ce territoire peut être maillé par des gares. Mais ces dernières années, on a détruit des gares, les voies sont désaffectées, les trains se font rares. Pourquoi?
On a fait du déplacement un marché, en particulier sur le fret de marchandises. La route est devenue bien moins chère en apparence que ne l’est le rail. Que les grands trajets soient fait en train et les derniers kilomètres en camion, c’est vers ça qu’il faut aller. Mais la main invisible du marché ne va produire aucune renaissance des infrastructures. Il faut les vouloir, comme Roosevelt.
Le symbole de la mondialisation, c’est le porte-conteneur et le symbole de l’européanisation, c’est le camion — il devrait y avoir un camion au milieu des 12 étoiles sur le drapeau bleu. Toute la stratégie de libre-échange est de faire en sorte que le prix du transport soit le plus faible possible. Car sinon, ça n’a plus d’intérêt d’aller produire en Slovaquie ou en Inde, car ce qui est gagné sur la main-d’œuvre, la fiscalité et les normes environnementales, on va le perdre sur le transport.
Mais la voiture représente la moitié des émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports. Comment on s’en sort, alors qu’on a éloigné le domicile du travail ?
Il faut poser un principe simple, que tout le monde peut comprendre : pas de nouvelle contrainte écologique sans nouveaux droits sociaux. Qu’on parle de la voiture ou de l’avion, il faudra mettre en face un accès nouveau à des modes de transport plus écologique.
On ne va pas culpabiliser les gens qui ont une voiture et relever le coût du transport ne va pas les dissuader, juste les pénaliser. Déjà, quand je distribue mes tracts à la porte des usines, beaucoup covoiturent, pour diminuer les coûts. Mais il est certain que, à la campagne, la voiture relève de l’indispensable. Aussi, pourquoi pas la voiture électrique, pour les trajets courts, même si je me méfie de la seule réponse technologique . Et sur les trajets longs, le train, un train de qualité, aux tarifs accessibles. Dans tous les cas, non à la culpabilisation des gens dans les campagnes, pour qui ça pèse déjà très lourd pour le porte-monnaie.
L’une des mesures de la Convention citoyenne pour le climat et qui n’a que partiellement été reprise par le gouvernement, c’était de mettre en place une taxe sur les véhicules les plus lourds. Est-ce que c’est envisageable ?
Je ne suis pas d’accord pour la seule la logique des taxes, y compris pour l’avion. Si on met une taxe sur l’avion, ça ne va peser pour rien sur le porte-monnaie des plus riches, donc ça ne les fera pas renoncer à l’avion. Si on ne veut plus de véhicules lourds, on ne produit plus de véhicules lourds et on ne vend plus de véhicules lourds !
Le fait d’avoir un gros porte-monnaie n’est pas un droit à polluer.
Et en tous cas, on interdit la publicité sur ces véhicules et sur la voiture de manière générale. Il y a des besoins réels, compte tenu du fait qu’on est éloignés de l’hôpital, du travail, de l’école. Et il y a la rivalité ostentatoire, qui pousse à la consommation, pour avoir une plus grosse voiture et se dire qu’on est has been si on a encore une Clio qui date d’il y a 15 ans.
Donc comment encadre-t-on ça ? Faut-il un quota de voyages en avion, par exemple, comme l’a récemment proposé l’ingénieur Jean-Marc Jancovici ?
On l’avait déjà proposé avec Delphine Batho [députée écologiste, NDLR]. Jancovici joue son rôle de lanceur d’alerte. Il ouvre un champ, il produit quelque chose dans la société. Mais encore une fois : je serais hostile à ce que ça se fasse sans passer par la case démocratie. Et aussi, nous devons «baisser les plafonds, relever les planchers».
On interdit les jets privés ! Toujours en passant par la case démocratie.
Wilkinson raconte qu’en Angleterre, les classes populaires n’ont jamais aussi bien mangé que pendant la Seconde guerre mondiale et qu’elles ont gagné 7 ans d’espérance de vie. C’est contre-intuitif : la vie s’est allongée durant la guerre ! La logique de rationnement a été de remonter les planchers pour les uns et descendre le plafond pour les autres. Ceux qui sont des hyper consommateurs d’avion, on leur descend le plafond. Le fait d’avoir un gros porte-monnaie n’est pas un droit à polluer.
On interdit les jets privés ?
Ah oui ! Toujours en passant par la case démocratie. J’insiste, même quand ça ne me plaît pas, je suis démocrate. Cela fait 20 ans que nos dirigeants dirigent dans une direction que les gens ne veulent pas : concurrence, marché, libre-échange. C’est pas pour nous mettre à leur place demain et tirer dans une autre direction dont les gens ne veulent pas. En innovant sur la méthode : en passant par des conventions citoyennes, des RIC. Il faut échanger, les convaincre, être en adéquation avec ce que veut la société. Des tas de gens ne voyagent jamais. Peut-être qu’ils auraient droit à un voyage au moins dans leur vie et à un droit au départ en vacances sur le territoire national avec un train ou des péages gratuits pendant l’été.
De plus en plus de militants ciblent les jets privés et envahissent les tarmacs des aéroports, comme à Cannes. Est-ce que la désobéissance civile est acceptable pour ces fins-là ? Et dans l’absolu ?
Oui, la seule limite est celle de la violence. Les militants ont toujours fait évoluer la société par des actions de désobéissance. En revanche, la violence se retourne contre nous. Les activistes, les militants sont dans la locomotive et ils mettent du charbon. Mais nous devons avoir une obsession : bien vérifier qu’on raccroche des wagons derrière…
Je ne sais pas si la métaphore du charbon pour parler des écologistes est la meilleure…
Non, j’admets, mais vous voyez : il faut veiller à ce qu’il y ait des wagons pour entraîner. Il ne faut pas une avant-garde qui parte toute seule et qui s’isole de la société. C’est vrai sur tous les terrains. La désobéissance civile rend sympathique, elle alerte, elle peut entraîner la société.
La démocratie c’est du conflit organisé, verbalisé, institutionnalisé et pas du consensus.
En ce moment, on observe de plus en plus de conflits autour des usages de l’eau. Dans une économie de guerre climatique, quels usages de l’eau privilégier, lesquels bannir ?
J’ai posé la question dès l’automne dernier : a‑t-on un plan sorgho pour la France ? D’après le Monde, un litre sur quatre qui sert à irriguer le maïs. Normalement, c’est un sujet énorme pour le gouvernement de se demander comment on transforme notre agriculture, comment on l’oriente, qu’est-ce qu’on dit aux agriculteurs. Et pourtant, je me suis renseigné, dans le ministère, il n’y a aucune émulation autour de cette question.
Si l’objectif, c’est d’être compétitif par rapport à des fermes-usines au Brésil, ça n’a aucun sens.
Depuis la sécheresse de l’an dernier, on devrait avoir des colloques avec des intellectuels, des scientifiques, des groupements d’agriculteurs, des coopératives. Mais rien ne se passe.
Comment nourrir tout le monde sainement et sans détruire la biodiversité ?
Je vais choquer vos lecteurs en rendant hommage au travail effectué après-guerre. L’objectif affiché était de retrouver la souveraineté alimentaire. L’Etat, dans une économie de post-guerre, met en branle le monde agricole pour aller vers la mécanisation, la chimisation, le remembrement, etc. Avec une très grande efficacité, puisqu’en 1972, la France retrouve son autonomie alimentaire. Il y avait une émulation du monde agricole à ce moment-là. Mais à partir de 1972, il n’y a plus eu de question et de débat. On en arrive à la mission exportatrice de l’agriculture française, à laquelle je suis opposée.
On devrait retrouver la même dynamique intellectuelle aujourd’hui de mise en branle des forces sociales. Or, on n’a pas d’Etat stratège qui indique une direction. On laisse les agriculteurs se débrouiller avec la sacro-sainte «compétitivité». Si l’objectif, c’est d’être compétitif par rapport à des fermes-usines au Brésil, ça n’a aucun sens.
Mais si l’objectif c’est de nourrir la France, peut-on sortir de l’agriculture industrielle, des intrants chimiques, des pesticides?
Oui, j’en suis convaincu. Mais ça va demander davantage de main d’œuvre. Comment? Par la promotion d’autres modèles agricoles que le champ ou la ferme industrielle exportatrice. L’exploitation familiale est à préserver. La forme coopérative doit se développer, avec un modèle où les travailleurs de la terre peuvent, par exemple, prendre des vacances.
Vous n’avez pas dit que vous vouliez interdire la publicité ?
Il pourrait y en avoir pour les besoins : de la publicité choisie démocratiquement !
Bon, et comment se passe votre campagne de dons ?
Pas mal, et la vôtre ? [rires]