Entretien

Gabriel Malek : «la décroissance est en train de gagner le débat des idées»

Le 25 mai, l’association Alter Kapitae a tenu son Agora de la décroissance à Sciences Po Paris. Dans cet entretien à Vert, le cofondateur de l’association, Gabriel Malek, revient sur les conclusions de ce riche après-midi, où ont été défendues des propositions sur l’énergie, les imaginaires et la comptabilité écologique.
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Pour lui, la décrois­sance «prospère», vue comme une réduc­tion plan­i­fiée des activ­ités économiques et une meilleure répar­ti­tion des richess­es, s’est faite une place dans le débat d’idées, mais elle peine encore à s’installer dans les insti­tu­tions.

Quelle définition donnez-vous de la décroissance ?

Nous en avons une déf­i­ni­tion proche de celle de l’économiste Tim­o­th­ée Par­rique. C’est une réduc­tion plan­i­fiée de nos activ­ités économiques, afin de les réen­cas­tr­er dans les lim­ites plané­taires, avec un fort souci de la jus­tice sociale. Parce que seule une répar­ti­tion réelle des richess­es per­me­t­tra que la décrois­sance soit prospère. La décrois­sance invite à redéfinir ce qu’est la richesse et le bon­heur.

Quel bilan tirez-vous de cette première Agora ?

Nous avons réu­ni des univers dif­férents avec des acteurs et penseurs his­toriques de la décrois­sance, comme l’institut Momen­tum [un cen­tre de recherche sur l’anthropocène], l’Observatoire de la post-crois­sance et de la décrois­sance (OPCD), mais aus­si des Licoornes [les coopéra­tives pour la tran­si­tion] et le Cen­tre des Jeunes Dirigeants (CJD) — deux mon­des qui se par­lent peu, ou pas. Cette coali­tion devient une alter­na­tive tan­gi­ble.

Gabriel Malek, cofon­da­teur d’Alter Kap­i­tae lors de l’Agora de la décrois­sance prospère à Sci­ence Po, le 25 mai 2023 © Alter Kap­i­tae

L’économiste Eloi Lau­rent l’a bien souligné dans son intro­duc­tion de l’agora : la décrois­sance est en train de gag­n­er le débat des idées, mais dans un champ éli­tiste. La preuve : le Figaro en a fait une émis­sion vidéo d’une heure et, le même jour, Bruno Le Maire a réa­gi en dis­ant qu’il ne croy­ait pas du tout à la décrois­sance. Elle devient crédi­ble mais elle reste loin du ter­rain des insti­tu­tions. Nous avons voulu faire cette ago­ra à l’école du man­age­ment de Sci­ences Po pour s’en rap­procher un peu.

Quelles sont les propositions les plus marquantes faites lors de l’Agora, selon vous ?

Pour le groupe «décrois­sance et représen­ta­tions», je retiens notam­ment la pre­mière : «ali­menter les nou­veaux imag­i­naires en réori­en­tant la pub­lic­ité vers des activ­ités écologique­ment souten­ables et sociale­ment souhaita­bles». Elle implique la néces­saire dis­pari­tion pro­gres­sive de la pub­lic­ité et de la com­mu­ni­ca­tion com­mer­ciale, de manière démoc­ra­tique. Une part des activ­ités pub­lic­i­taires serait ensuite mise au ser­vice du réc­it décrois­sant et égal­i­taire.

Pour le groupe «décrois­sance et compt­abil­ité», je retiens la qua­trième : «Prélever une part sub­stantielle de div­i­den­des mal comp­tés et les redis­tribuer pour moitié aux tra­vailleurs et pour moitié à une Caisse de la redi­rec­tion écologique». C’est une propo­si­tion extrême­ment forte : tax­er à 80% les div­i­den­des dis­tribués en Assem­blée générale des grandes entre­pris­es pour les rediriger à 40% pour les salariés et 40% vers la Caisse de redi­rec­tion écologique. Cela mon­tre que la décrois­sance, c’est la juste répar­ti­tion des richess­es et le sou­tien financier à la tran­si­tion des petites entre­pris­es ter­ri­to­ri­ales. Pour cela, il faut tax­er les multi­na­tionales qui détru­isent notre monde.

Enfin pour le groupe «décrois­sance et énergie», la pre­mière propo­si­tion con­cer­nant l’«introduction pro­gres­sive d’une carte car­bone visant à rationner de manière équitable la con­som­ma­tion énergé­tique et les émis­sions induites» est très représen­ta­tive de l’état d’esprit d’Alter Kap­i­tae. En cas de raré­fac­tion des ressources, on répar­tit soit par le prix comme aujourd’hui, ce qui laisse de côté les plus pré­caires, soit par les quan­tités dans un esprit de jus­tice sociale. La décrois­sance, c’est évidem­ment la sec­onde option.

Je ne vous en cite que trois, mais les 15 propo­si­tions sont fortes et pleines d’avenir. Elles mon­trent com­ment la décrois­sance peut rem­plac­er le cap­i­tal­isme avec le con­cours des milieux mil­i­tants, uni­ver­si­taires et aus­si d’une par­tie du monde économique

Quel est l’avenir de ces propositions ?

Dès le départ, l’idée était de réu­nir des uni­ver­si­taires et des entre­pris­es pour avoir des propo­si­tions fortes. Le but n’est pas qu’elles soient repris­es dans un texte mais d’ouvrir le débat. A présent s’ouvre une phase de plaidoy­er poli­tique auprès des par­lemen­taires. Nous dis­cu­tons aus­si beau­coup avec d’universitaires, de femmes et d’hommes poli­tique, des asso­ci­a­tions mil­i­tantes écol­o­gistes et aus­si quelques entre­pris­es et cab­i­nets de con­seil en avance sur leur temps qui acceptent de venir sur le ter­rain de la décrois­sance. Et puis, nous réfléchissons à une deux­ième édi­tion de l’agora afin que la décrois­sance, tout en étant fidèle à ses valeurs, puisse pren­dre la place qu’elle doit occu­per.