Pour lui, la décroissance «prospère», vue comme une réduction planifiée des activités économiques et une meilleure répartition des richesses, s’est faite une place dans le débat d’idées, mais elle peine encore à s’installer dans les institutions.
Quelle définition donnez-vous de la décroissance ?
Nous en avons une définition proche de celle de l’économiste Timothée Parrique. C’est une réduction planifiée de nos activités économiques, afin de les réencastrer dans les limites planétaires, avec un fort souci de la justice sociale. Parce que seule une répartition réelle des richesses permettra que la décroissance soit prospère. La décroissance invite à redéfinir ce qu’est la richesse et le bonheur.
Quel bilan tirez-vous de cette première Agora ?
Nous avons réuni des univers différents avec des acteurs et penseurs historiques de la décroissance, comme l’institut Momentum [un centre de recherche sur l’anthropocène], l’Observatoire de la post-croissance et de la décroissance (OPCD), mais aussi des Licoornes [les coopératives pour la transition] et le Centre des Jeunes Dirigeants (CJD) — deux mondes qui se parlent peu, ou pas. Cette coalition devient une alternative tangible.
L’économiste Eloi Laurent l’a bien souligné dans son introduction de l’agora : la décroissance est en train de gagner le débat des idées, mais dans un champ élitiste. La preuve : le Figaro en a fait une émission vidéo d’une heure et, le même jour, Bruno Le Maire a réagi en disant qu’il ne croyait pas du tout à la décroissance. Elle devient crédible mais elle reste loin du terrain des institutions. Nous avons voulu faire cette agora à l’école du management de Sciences Po pour s’en rapprocher un peu.
Quelles sont les propositions les plus marquantes faites lors de l’Agora, selon vous ?
Pour le groupe «décroissance et représentations», je retiens notamment la première : «alimenter les nouveaux imaginaires en réorientant la publicité vers des activités écologiquement soutenables et socialement souhaitables». Elle implique la nécessaire disparition progressive de la publicité et de la communication commerciale, de manière démocratique. Une part des activités publicitaires serait ensuite mise au service du récit décroissant et égalitaire.
Pour le groupe «décroissance et comptabilité», je retiens la quatrième : «Prélever une part substantielle de dividendes mal comptés et les redistribuer pour moitié aux travailleurs et pour moitié à une Caisse de la redirection écologique». C’est une proposition extrêmement forte : taxer à 80% les dividendes distribués en Assemblée générale des grandes entreprises pour les rediriger à 40% pour les salariés et 40% vers la Caisse de redirection écologique. Cela montre que la décroissance, c’est la juste répartition des richesses et le soutien financier à la transition des petites entreprises territoriales. Pour cela, il faut taxer les multinationales qui détruisent notre monde.
Enfin pour le groupe «décroissance et énergie», la première proposition concernant l’«introduction progressive d’une carte carbone visant à rationner de manière équitable la consommation énergétique et les émissions induites» est très représentative de l’état d’esprit d’Alter Kapitae. En cas de raréfaction des ressources, on répartit soit par le prix comme aujourd’hui, ce qui laisse de côté les plus précaires, soit par les quantités dans un esprit de justice sociale. La décroissance, c’est évidemment la seconde option.
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Quel est l’avenir de ces propositions ?
Dès le départ, l’idée était de réunir des universitaires et des entreprises pour avoir des propositions fortes. Le but n’est pas qu’elles soient reprises dans un texte mais d’ouvrir le débat. A présent s’ouvre une phase de plaidoyer politique auprès des parlementaires. Nous discutons aussi beaucoup avec d’universitaires, de femmes et d’hommes politique, des associations militantes écologistes et aussi quelques entreprises et cabinets de conseil en avance sur leur temps qui acceptent de venir sur le terrain de la décroissance. Et puis, nous réfléchissons à une deuxième édition de l’agora afin que la décroissance, tout en étant fidèle à ses valeurs, puisse prendre la place qu’elle doit occuper.
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