Décryptage

Entre productivisme et engagements environnementaux, quel est le bilan des élus Parti socialiste et Place publique au Parlement européen ?

L’Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates (S&D) a joué un rôle majeur au Parlement européen dans l’adoption des mesures environnementales du Pacte vert, et s’est progressivement défaite de son ADN productiviste tout en «restant attaché à la production». Bilan.
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En novem­bre 2019, le Par­lement européen déclare l’urgence cli­ma­tique et met sur pied le «Pacte vert pour l’Europe» qui vise à attein­dre la neu­tral­ité car­bone en 2050 — à cette date, les dernières émis­sions de gaz à effet de serre qui n’auront pas pu être réduites devront être com­pen­sées. «Le groupe social­iste et démoc­rate a été la cheville ouvrière du Pacte vert», savoure auprès de Vert Chloé Ridel, haute fonc­tion­naire et can­di­date en dix­ième posi­tion sur la liste Réveiller l’Europe du Par­ti social­iste-Place publique (PS-PP).

Avec 139 eurodéputé·es sur 705, l’Alliance pro­gres­siste des social­istes et démoc­rates (S&D) est le deux­ième groupe au Par­lement européen, der­rière les Chré­tiens-démoc­rates du Par­ti pop­u­laire européen (PPE). Regroupant le Par­ti social­iste, Place publique et Nou­velle donne — qui a présen­té sa pro­pre liste emmenée par l’eurodéputé Pierre Lar­routur­ou (notre arti­cle) -, la délé­ga­tion française compte sept mem­bres.

«La cheville ouvrière du Pacte vert»

Le groupe S&D a pro­posé nom­bre de textes majeurs sur l’environnement, comme le règle­ment con­tre la déforesta­tion importée (qui a inter­dit le maïs, le soja et les pro­duits issus de la déforesta­tion), le règle­ment con­tre l’importation de pro­duits issus du tra­vail for­cé, ou la loi sur le devoir de vig­i­lance des entre­pris­es. Il a aus­si voté les prin­ci­paux textes envi­ron­nemen­taux, comme la loi sur la restau­ra­tion de la nature ou la fin de la vente de véhicules ther­miques neufs à par­tir de 2035.

Sur la ques­tion du com­merce extérieur, au même titre que les Verts ou les Insoumis, les élu·es PS-PP ont voté con­tre les accords de libre-échange avec le Mer­co­sur (le marché sud-améri­cain), la Nou­velle-Zélande, et le CETA (avec le Cana­da). C’est ce que révèle l’institut Veblen, dans une note sur les votes majeurs de la man­da­ture 2019–2023 en matière de poli­tique com­mer­ciale européenne et dont est extrait le tableau ci-dessous.

© Insti­tut Veblen

Des échecs sur l’agriculture

«Aux vic­toires, il faut bien ajouter les com­bats que nous avons menés avec la gauche, mais per­dus face à la droite et l’extrême droite», déplore auprès de Vert Christophe Clergeau, eurodéputé social­iste en cinquième posi­tion sur la liste Réveiller l’Europe. En 2021, le groupe S&D s’est opposé à l’adoption de la nou­velle Poli­tique agri­cole com­mune (PAC) dans sa «ver­sion agrobusi­ness». Puis en 2024, «je me suis bat­tu con­tre l’abandon des volets éco­lo de la PAC suite à la crise agri­cole. Une régres­sion extra­or­di­naire due à une forme de con­vic­tion idéologique et de lâcheté, pour­suit Christophe Clergeau. Nous avons échoué à faire inter­dire le glyphosate, et l’essentiel des dis­po­si­tions qui touchaient l’agriculture ont été sor­ties de la loi sur la restau­ra­tion de la nature. Les ques­tions de bien-être ani­mal et des sys­tèmes ali­men­taires durables n’ont pas été mis à l’agenda.»

«Avec les autres groupes, dit Chloé Ridel, on va diverg­er sur des posi­tions inter­na­tionales comme la recon­nais­sance du géno­cide des Ouïghours, mais sur les ques­tions écologiques, on vote à 100% pareil».

La délégation française, une bonne élève

Le Réseau action cli­mat inter­na­tion­al (CAN) a étudié les votes indi­vidu­els de tous les eurodéputé·es entre 2019 et 2023 sur une trentaine de mesures phares sur le cli­mat, l’énergie et l’environnement. Il a attribué au S&D une note de 70/100 — les Verts ont obtenu 92/100 et The left, à laque­lle appar­tient La France insoumise, 84/100. Le groupe S&D a été rangé par­mi les «pro­tecteurs» de la planète, con­traire­ment à Renew (auquel appar­ti­en­nent les Macro­nistes) qual­i­fié de «pro­cras­ti­na­teurs» et la droite et l’extrême droite classés dans les «penseurs préhis­toriques».

En obser­vant de plus près les votes de la délé­ga­tion française, les élu·es PS-PP cara­co­lent par­mi les meilleurs élèves : le Par­ti social­iste obtient une note de 92/100 et Place publique de 90/100.

© Réseau action cli­mat inter­na­tion­al

Un poil moins que le score qua­si par­fait de 19,03/20, attribué par l’ONG Bloom, spé­cial­iste des océans, qui a analysé 100 000 votes indi­vidu­els. Le S&D est là aus­si qual­i­fié de «Bâtis­seur» et le rap­port avance qu’il «a pro­gres­sive­ment inté­gré les ques­tions envi­ron­nemen­tales au fil des années, lais­sant pro­gres­sive­ment der­rière lui les posi­tions pro­duc­tivistes et moins soucieuses de l’en­vi­ron­nement qui le car­ac­téri­saient dans le passé».

Des «marges d’amélioration», notamment sur la protection des océans

«Il reste néan­moins une marge d’amélio­ra­tion con­sid­érable [pour le groupe S&D, NDLR], notam­ment du fait de cer­taines délé­ga­tions qui ont voté générale­ment pour des posi­tions anti-envi­ron­nemen­tales lors de la dernière lég­is­la­ture, notam­ment sur la pro­tec­tion des océans», pour­suit Bloom.

Le PS-PP a la par­tic­u­lar­ité de siéger dans un groupe aux votes plus hétérogènes que d’autres. Ain­si du vote pour exclure le gaz fos­sile et le nucléaire des éner­gies «vertes» de la tax­onomie européenne : seul 25% du groupe a voté con­tre cette propo­si­tion, selon le site Howtheyvote.eu.

Raphaël Glucks­mann, tête de liste du Par­ti social­iste aux élec­tions européennes, lors d’une con­férence de presse en mai 2024. © Julien de Rosa / AFP

Sur les océans, les diver­gences de vues sont apparues au sein même de la délé­ga­tion française. En jan­vi­er 2024, Raphaël Glucks­mann a voté pour l’interdiction du cha­lu­tage de fond dans les aires marines pro­tégées, quand le par­ti social­iste l’a rejetée. «On voulait une tra­jec­toire de trans­for­ma­tion de la pêche avec un accom­pa­g­ne­ment des pêcheurs, pré­cise Christophe Clergeau. Mais nous sommes tous pour des tech­niques de pêche arti­sanales et respectueuses de l’environnement. C’est la seule nuance.»

Quid d’un pro­duc­tivisme poten­tielle­ment néfaste pour la planète ? «Beau­coup de par­tis soci­aux et démoc­rates d’Europe ont fait leur révo­lu­tion écologique pour tenir compte de l’aspect fini des ressources de la planète, explique Christophe Clergeau. Nous restons attachés à la pro­duc­tion pour répon­dre aux besoins des pop­u­la­tions. C’est une nuance par rap­port aux Verts. Nous défendons la sobriété tout en pen­sant la pro­duc­tion et la jus­tice sociale.» Restera à en faire la démon­stra­tion lors de la prochaine man­da­ture.