Eurodépités. Puissante voix des peuples au cœur du système européen, l’Europarlement a souvent pesé dans l’adoption de législations environnementales ambitieuses. Mais un vent conservateur souffle désormais sur l’hémicycle. Et s’il se confirme lors des élections le 9 juin prochain, l’UE perdra son moteur dans la lutte contre le changement climatique.
Seule institution européenne dont les membres sont désigné·es au suffrage universel direct, le Parlement européen – actuellement 705 eurodéputé·es dont 79 Français·es – a rendez-vous tous les cinq ans avec ses 447 millions d’électeur·ices. Un rendez-vous généralement manqué, puisque le taux de participation dépasse à peine 50% lors des bonnes années, et que la médiatisation du scrutin reste largement indigente.
20% des lois sont d’origine européenne
Pourtant, «l’importance de l’Europe et des décisions qui y sont prises sur le quotidien des gens est colossale», regrette l’eurodéputé Damien Carême, élu pour la première fois en 2019, sur la liste des Écologistes (qu’il a depuis quitté pour la France Insoumise). Après avoir été maire de Grande-Synthe (Nord) pendant 18 ans, il estime aujourd’hui qu’«énormément de problèmes se règlent au niveau européen», à commencer par celui du climat.
En France, environ 20% des lois adoptées ont une origine européenne, estime la Commission européenne. Une part qui grimpe à 40% dans certains secteurs comme l’agriculture, la pêche ou l’environnement. En général, l’Europe fixe des objectifs cardinaux – comme la fin de vente des véhicules thermiques neufs en 2035 ou le doublement de la part des énergies renouvelables en 2030 – que les États étoffent ensuite librement. «De ce fait, le cadre européen irrigue en réalité toutes nos législations», résume Camille Defard, cheffe du Centre Énergie à l’Institut Jacques Delors.
Les positions «maximalistes» du Parlement européen
L’Europarlement est un maillon incontournable dans l’élaboration des politiques européennes. En effet, si la préparation des lois (et du budget) revient exclusivement à la Commission européenne, c’est ensuite au Conseil de l’UE (qui représente les États) et aux eurodéputé·es de s’entendre sur des amendements communs. «Or, sur les sujets environnementaux, le Parlement a souvent démontré plus d’ambition que le Conseil», analyse auprès de Vert Camille Defard. En particulier au début du mandat actuel, lorsque la plupart des partis ont verdi leur position suite à la vague verte électorale.
Les élu·es de Strasbourg ont ainsi défendu la baisse de 60% d’émissions de gaz à effet de serre en 2030 (par rapport à 1990), avant de s’entendre avec le Conseil sur -55 %. Sur la part des énergies renouvelables dans la consommation, ils et elles ont défendu l’objectif de 45% à 2030 tandis que le Conseil prônait 40 %, ce qui a permis d’aboutir à un entredeux de 42,5 %.
«Le fait que les positions de départ du Parlement européen soient maximalistes a souvent tiré le Conseil en avant», assure Camille Defard. «Sur la performance énergétique du bâtiment, il s’est battu pour avoir des garanties sur la précarité énergétique», illustre-t-elle encore.
Inversement, le Parlement a aussi vidé certains textes de leur substance, sans que le Conseil trouve à y redire. C’est le cas notamment de la loi sur la restauration de la nature qui a été méthodiquement liquidé par la droite du Parti populaire européen (PPE, le premier parti au Parlement), comme Vert vous le racontait.
Si le Parlement devenait un frein
D’abord ouvert sur ces questions, «le PPE a ensuite changé de position sur l’agenda environnemental», explique Peggy Corlin, de la fondation Robert Schuman. S’en est suivie une longue série de renoncements, tels que le rejet de la loi sur la réduction des pesticides, ou la sévère perte d’ambition sur la réduction des déchets d’emballages. «On voit que quand le Parlement n’est pas moteur, il n’y a pas d’ambition», insiste Camille Defard.
Dès lors, les sondages qui annoncent une vague conservatrice en juin n’augurent rien de bon. «Si on perd le Parlement, qui était une des forces les plus vocales dans les négociations climat, ça risque d’être beaucoup plus compliqué», prédit Camille Defard. «Il pourrait même devenir un frein en cas de percée importante de la droite eurosceptique».
Peggy Corlin rappelle que le ou la président·e de la Commission européenne devra d’abord obtenir la majorité absolue au Parlement pour pouvoir gouverner : «si elle doit aller chercher des voix à l’extrême droite pour y arriver, on peut craindre que cela se fasse au détriment des enjeux écologiques», prévient-elle. De quoi convaincre tout le mouvement climat de se presser dans l’isoloir ?
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