Le vert du faux

Peut-on être écolo et pro-européen ?

Flou de Bruxelles. À l’approche des élections européennes, le 9 juin prochain, certain·es doutent encore du projet européen, et en particulier de son bilan écologique. Si la dernière mandature a indéniablement produit des avancées, l’Union européenne souffre toujours de profondes contradictions, tout comme les pays qui la composent.
  • Par

En mai 2019, lors du précédent scrutin européen, une «vague verte» avait déferlé sur le Parlement européen. «Une bonne nouvelle pour la planète et pour le renouveau de la politique», pressentait alors Le Monde. Cinq ans plus tard, «ce mandat a été celui du Green deal», confirme Neil Makaroff, directeur du think tank pro-européen Strategic Perspectives. Le Pacte vert, ce vaste plan de transition écologique, a été annoncé par la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, dès sa prise de fonction : «elle a forcé la droite [dont elle est issue, NDLR] à s’en saisir et il a ensuite été porté par la quasi-totalité du spectre politique», se souvient Neil Makaroff.

La France est «tirée vers le haut» par l’Europe

Grâce à cet élan, «pas moins de 75 textes ont été révisés dans presque tous les secteurs, dont 12 grandes lois structurantes sur le climat et l’énergie», résume l’expert. La fin des voitures thermiques neuves en 2035, l’interdiction du greenwashing dans la publicité, la réforme des droits à polluer ou encore le durcissement des règles sur la qualité de l’air ne sont que quelques mesures phares parmi des centaines, sans compter le renforcement sensible de la plupart des objectifs climatiques.

«Il y a eu beaucoup plus de grandes réformes au niveau européen qu’en France», compare Neil Makaroff, qui estime que «l’Europe est plus que jamais l’espace où ça bouge». Pour l’eurodéputée Marie Toussaint, tête de liste écologiste aux européennes, «la France est très clairement tirée vers le haut par la dynamique à Bruxelles, même si elle continue de bafouer certaines règles européennes, sur la pollution de l’air ou le déploiement des énergies renouvelables par exemple».

«Faire plus de social»

Malgré cette inflexion verte, «l’Europe n’a pas fait la mue idéologique nécessaire», regrette Manon Aubry, qui mènera la liste de la France insoumise à Bruxelles. En clair, «elle fixe un cap écologique, mais elle laisse payer la note à ceux qui sont les moins responsables». L’eurodéputée pointe par exemple «la taxation du gasoil non routier utilisé par les agriculteurs, mais pas celle du kérosène des avions». «À force, on risque de retourner une partie de l’opinion contre nous», s’inquiète-t-elle.

«Faire plus de social reste le plus gros enjeu», confirme Neil Makaroff. «On ne peut pas se contenter d’interdire les voitures thermiques, alors que seuls les plus riches peuvent s’acheter des électriques», prévient-il. Un fonds social européen censé aider les Européen·nes les plus précaires a été doté de 86 milliards d’euros jusqu’en 2027, «ce qui, divisé par 27 États membres, est assez ridicule», selon Neil Makaroff.

«On est passé des petits pas aux grands reculs»

Surtout, force est de constater que la fin de la mandature est marquée par de sévères renoncements, y compris en matière écologique. «Il y a eu un renversement politique total», constate Marie Toussaint. «La droite s’est mise à pactiser avec l’extrême droite et on est passé des petits pas aux grands reculs», analyse-t-elle. Cette alliance «contre-nature» s’est nouée en particulier sur les sujets agricoles, entraînant notamment le rejet de la loi sur la réduction des pesticides et un fort affaiblissement de la loi sur la restauration de la nature. «Au final, l’agriculture a été le secteur le moins réformé, avec le commerce international», constate Neil Makaroff.

Des agriculteur·rices bloquent l’autoroute M35 à proximité de Strasbourg, le 30 janvier 2024. © Mathilde Cybulski / Hans Lucas via AFP

Car s’il y a bien «un gros point noir» dans le virage vert de l’Union européenne, ce sont les nombreux accords de libre-échange que la Commission européenne continue de négocier avec des pays tiers, confirme Neil Makaroff. «La doxa européenne en la matière est restée presque totalement imperméable aux enjeux écologiques et même sociaux», confirme l’économiste Maxime Combes. «La stratégie revendiquée est d’insérer le maximum d’activités européennes dans la mondialisation afin de bénéficier de la croissance mondiale», explique-t-il.

«La colère des agriculteurs est totalement liée au libre-échange»

Cette stratégie, qui peut s’avérer payante pour l’exportation de certains services à haute valeur ajoutée, est dévastatrice pour les agriculteur·rices, dont les matières premières sont soumises à une concurrence mondialisée. L’accord entre l’UE et les pays du Mercosur (Amérique du Sud), risque par exemple de mettre l’agriculture européenne en concurrence directe avec les deux géants de l’élevage intensif que sont le Brésil et l’Argentine.

L’accord UE-Nouvelle-Zélande, tout juste ratifié par le Parlement européen, prévoit la suppression des droits de douanes sur de nombreux produits agricoles dont les kiwis, les pommes, le miel et des quotas de produits laitiers et de viande. «C’est le pays le plus éloigné possible de l’Europe. Quel est le sens de faire venir du lait de là-bas ?», bouillonne Manon Aubry.

Les conséquences délétères de ces accords sont déjà visibles tant à l’intérieur de l’Europe que dans les pays tiers. S’il est difficile d’estimer les émissions de gaz à effet de serre induites par le transport accru de marchandises, un rapport commandé par le gouvernement français juge par exemple que l’entrée en vigueur de l’accord UE-Mercosur accroîtrait la déforestation dans les pays du marché sud-américain.

Renforcer le bataillon qui se battra contre ces accords

En France, les importations de produits alimentaires ont doublé (en valeur) depuis 2000 et représentent déjà 46% des émissions liées à notre alimentation pour «seulement» 20% de notre assiette, souligne le Haut Conseil pour le climat. Pour Maxime Combes, «la colère des agriculteurs contre les normes environnementales est totalement connectée au fait de les avoir mis en concurrence internationale avec des producteurs qui n’ont pas ces normes».

Mais, souligne-t-il, «il n’y a pas de coup d’État de la part de la Commission européenne, ces accords sont systématiquement validés par les États membres et le Parlement européen». Pour Manon Aubry, la conclusion est donc claire : «aux prochaines élections européennes, il faut renforcer le bataillon d’eurodéputés qui se battra contre ces accords».

Cet article est issu de notre rubrique Le vert du faux. Idées reçues, questions d’actualité, ordres de grandeur, vérification de chiffres : chaque jeudi, nous répondrons à une question choisie par les lecteur·rices de Vert. Si vous souhaitez voter pour la question de la semaine ou suggérer vos propres idées, vous pouvez vous abonner à la newsletter juste ici.