Décryptage

Au Parlement européen, un texte clé pour la restauration de la biodiversité mis en péril par une alliance des droites «contre-nature»

Les eurodéputé·es examinent le 12 juillet une loi cruciale du Pacte vert européen visant la restauration des écosystèmes dégradés. La droite en a fait une cible à abattre, s’associant pour l’occasion à l’extrême droite et aux eurosceptiques.
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Man­i­fes­ta­tions à l’extérieur et trac­ta­tions à l’intérieur : en début de semaine, le Par­lement européen de Stras­bourg a été gag­né par la fièvre qui entoure la loi européenne sur la restau­ra­tion de la nature depuis plusieurs mois. Présen­té en juin 2022 par la Com­mis­sion européenne, ce texte vise non seule­ment la pro­tec­tion des écosys­tèmes men­acés, mais aus­si la remise en état de ceux qui ont déjà souf­fert.

En cas d’adoption, les États devraient ain­si men­er des actions de restau­ra­tion sur 20% des super­fi­cies détéri­orées (ter­restres et marines) d’ici à 2030, et sur la total­ité d’ici à 2050. Ces objec­tifs, juridique­ment con­traig­nants, en ont fait la bête noire des droites : le par­ti pop­u­laire européen (PPE), pre­mière force de l’hémicycle, a d’abord refusé de par­ticiper aux travaux par­lemen­taires et milite désor­mais pour le rejet com­plet du texte. Les voix de l’extrême droite (ID) et des euroscep­tiques (ECR), ain­si que l’indécision d’une par­tie des cen­tristes de Renew (groupe auquel sont apparenté·es les député·es français·es de Renais­sance) pour­rait lui faire obtenir gain de cause lors du scrutin prévu ce mer­cre­di en séance plénière.

Des activistes écol­o­gistes, dont la Sué­doise Gre­ta Thun­berg (ici au micro), récla­ment une loi ambitieuse sur la restau­ra­tion de la nature devant le Par­lement européen à Stras­bourg, mar­di 11 juil­let. © Fred­er­ick Florin / AFP

L’abandon de ce texte serait lourd de con­séquences : «sans cette loi, l’Europe n’atteindra pas ses objec­tifs cli­ma­tiques», explique à Vert Sergiy Moroz du Bureau européen de l’environnement (qui réu­nit 180 asso­ci­a­tions européennes). «Des écosys­tèmes en bonne san­té sont impérat­ifs pour stock­er du CO2 mais aus­si pour amélior­er leur résilience au change­ment cli­ma­tique», rap­pelle-t-il. Or, selon l’Agence européenne pour l’environnement, plus de 80% des habi­tats naturels de l’UE sont actuelle­ment dans un état «mau­vais ou médiocre», et jusqu’à 70% des sols sont en mau­vaise san­té. En France, le Haut Con­seil pour le cli­mat alerte sur l’effondrement des puits de car­bone naturels, dont la capac­ité de stock­age a dimin­ué de 21 % sur la seule année 2021.

Mal­gré ce con­stat, la droite européenne s’oppose caté­gorique­ment à l’adoption du texte, qui men­ace, selon elle les agriculteur·rices, les pêcheur·ses et la sécu­rité ali­men­taire en générale. Par exem­ple, la cible (pure­ment indica­tive) d’atteindre 10% des ter­res agri­coles con­sacrées à des «élé­ments de haute bio­di­ver­sité» (haies, jachères, etc) est présen­tée comme une mise sous cloche des ter­rains agri­coles.

«Cela fait six mois que ce texte est l’objet d’une cam­pagne de dés­in­for­ma­tion per­ma­nente de la part du PPE et de l’extrême droite», déplore l’eurodéputé cen­triste Pas­cal Can­fin auprès de Vert. Le PPE a com­mis plusieurs tweets men­songers, qui lui ont valu d’être rap­pelé à l’ordre par la Com­mis­sion européenne. Les plus grotesques assur­aient que les objec­tifs de refor­esta­tion intro­duits dans la loi néces­sit­eraient la destruc­tion de la mai­son du Père Noël ou encore de tout un quarti­er d’Helsinki, la cap­i­tale fin­landaise.

Le mois dernier, plus de 3 000 sci­en­tifiques ont adressé un cour­ri­er aux eurodéputé·es, déplo­rant l’«argu­men­ta­tion injus­ti­fiée» con­tre le règle­ment et leur opposant aux cri­tiques des argu­ments factuels. Loin de nuire à la pêche, la mise en place d’aires marines pro­tégées aurait, au con­traire, pour effet d’augmenter la ressource en pois­sons en créant des zones de repro­duc­tion. De même, la pro­tec­tion de la bio­di­ver­sité est indis­pens­able au main­tien de la pro­duc­tion agri­cole, notam­ment pour les «50% des ter­res cul­tivées avec des cul­tures dont le ren­de­ment dépend des pollinisa­teurs et qui sont déjà con­fron­tées à un déficit».

Pour con­va­in­cre la droite de chang­er sa posi­tion, le par­ti Renew a fait une propo­si­tion inédite aux par­lemen­taires : adopter une ver­sion édul­corée du texte, telle qu’amendé par les min­istres de l’Environnement lors du Con­seil des min­istres de juin. Plusieurs min­istres européens appar­ti­en­nent à des gou­verne­ments de droite et Renew espère que les eurodéputé·es du même bord accepteront de suiv­re leur propo­si­tion.

L’accord con­clu par les min­istres com­prend d’importants reculs par rap­port à la ver­sion ini­tiale de la Com­mis­sion européenne. Par exem­ple, les objec­tifs de restau­ra­tion seraient unique­ment assor­tis d’une oblig­a­tion de moyen et non de résul­tats. Mais «ces objec­tifs, même insuff­isants sont néces­saires», insiste Marie Tou­s­saint, eurodéputée écol­o­giste. Si cette posi­tion était accep­tée par le Par­lement européen, le texte pour­rait con­tin­uer son par­cours lég­is­latif, plutôt que d’être aban­don­né. «On va avoir des réu­nions jusque tard pour voir si on peut sécuris­er des votes», con­fie Pas­cal Can­fin, qui con­cède «que cela se jouera à la voix près».