Manifestations à l’extérieur et tractations à l’intérieur : en début de semaine, le Parlement européen de Strasbourg a été gagné par la fièvre qui entoure la loi européenne sur la restauration de la nature depuis plusieurs mois. Présenté en juin 2022 par la Commission européenne, ce texte vise non seulement la protection des écosystèmes menacés, mais aussi la remise en état de ceux qui ont déjà souffert.
En cas d’adoption, les États devraient ainsi mener des actions de restauration sur 20% des superficies détériorées (terrestres et marines) d’ici à 2030, et sur la totalité d’ici à 2050. Ces objectifs, juridiquement contraignants, en ont fait la bête noire des droites : le parti populaire européen (PPE), première force de l’hémicycle, a d’abord refusé de participer aux travaux parlementaires et milite désormais pour le rejet complet du texte. Les voix de l’extrême droite (ID) et des eurosceptiques (ECR), ainsi que l’indécision d’une partie des centristes de Renew (groupe auquel sont apparenté·es les député·es français·es de Renaissance) pourrait lui faire obtenir gain de cause lors du scrutin prévu ce mercredi en séance plénière.
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L’abandon de ce texte serait lourd de conséquences : «sans cette loi, l’Europe n’atteindra pas ses objectifs climatiques», explique à Vert Sergiy Moroz du Bureau européen de l’environnement (qui réunit 180 associations européennes). «Des écosystèmes en bonne santé sont impératifs pour stocker du CO2 mais aussi pour améliorer leur résilience au changement climatique», rappelle-t-il. Or, selon l’Agence européenne pour l’environnement, plus de 80% des habitats naturels de l’UE sont actuellement dans un état «mauvais ou médiocre», et jusqu’à 70% des sols sont en mauvaise santé. En France, le Haut Conseil pour le climat alerte sur l’effondrement des puits de carbone naturels, dont la capacité de stockage a diminué de 21 % sur la seule année 2021.
Malgré ce constat, la droite européenne s’oppose catégoriquement à l’adoption du texte, qui menace, selon elle les agriculteur·rices, les pêcheur·ses et la sécurité alimentaire en générale. Par exemple, la cible (purement indicative) d’atteindre 10% des terres agricoles consacrées à des «éléments de haute biodiversité» (haies, jachères, etc) est présentée comme une mise sous cloche des terrains agricoles.
«Cela fait six mois que ce texte est l’objet d’une campagne de désinformation permanente de la part du PPE et de l’extrême droite», déplore l’eurodéputé centriste Pascal Canfin auprès de Vert. Le PPE a commis plusieurs tweets mensongers, qui lui ont valu d’être rappelé à l’ordre par la Commission européenne. Les plus grotesques assuraient que les objectifs de reforestation introduits dans la loi nécessiteraient la destruction de la maison du Père Noël ou encore de tout un quartier d’Helsinki, la capitale finlandaise.
Le mois dernier, plus de 3 000 scientifiques ont adressé un courrier aux eurodéputé·es, déplorant l’«argumentation injustifiée» contre le règlement et leur opposant aux critiques des arguments factuels. Loin de nuire à la pêche, la mise en place d’aires marines protégées aurait, au contraire, pour effet d’augmenter la ressource en poissons en créant des zones de reproduction. De même, la protection de la biodiversité est indispensable au maintien de la production agricole, notamment pour les «50% des terres cultivées avec des cultures dont le rendement dépend des pollinisateurs et qui sont déjà confrontées à un déficit».
Pour convaincre la droite de changer sa position, le parti Renew a fait une proposition inédite aux parlementaires : adopter une version édulcorée du texte, telle qu’amendé par les ministres de l’Environnement lors du Conseil des ministres de juin. Plusieurs ministres européens appartiennent à des gouvernements de droite et Renew espère que les eurodéputé·es du même bord accepteront de suivre leur proposition.
L’accord conclu par les ministres comprend d’importants reculs par rapport à la version initiale de la Commission européenne. Par exemple, les objectifs de restauration seraient uniquement assortis d’une obligation de moyen et non de résultats. Mais «ces objectifs, même insuffisants sont nécessaires», insiste Marie Toussaint, eurodéputée écologiste. Si cette position était acceptée par le Parlement européen, le texte pourrait continuer son parcours législatif, plutôt que d’être abandonné. «On va avoir des réunions jusque tard pour voir si on peut sécuriser des votes», confie Pascal Canfin, qui concède «que cela se jouera à la voix près».
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