Le texte sur la restauration de la nature fait des remous et vient d’être rejeté par la droite en commission au Parlement européen. Défendez-vous ce texte et pensez-vous qu’il soit menacé ?
Je soutiens ce texte. Nous avons besoin de préserver et de réparer les écosystèmes terrestres et marins, alors que 80% d’entre eux sont endommagés. En plus de détruire les paysages auxquels nous tenons, on détruit l’habitabilité de la Terre – ainsi que l’économie, qui a besoin d’une planète vivante.
Dans le camp d’en face, tous les conservateurs. Avec une immense influence de l’extrême droite. On assiste à l’émergence de ce que ce que Jean-Baptiste Fressoz [historien, NDLR] a conceptualisé comme étant le «carbofascisme». L’expression est audacieuse, mais elle attise notre vigilance.
On voit des droites en perdition qui, sous domination intellectuelle, nouent de nouvelles alliances avec les extrêmes droites, autour de la question fossile et plus généralement contre les droits de la nature, mais aussi les droits des femmes et des migrants. Ce paysage politique européen, à un an des élections européennes de 2024, est inquiétant.
Pour sauver le climat, il faut se battre sur la décarbonation, renverser le cycle de destruction du vivant, mais aussi sortir de la civilisation des toxiques.
Mais si la bataille est rude, je pense qu’on peut encore gagner. D’abord parce qu’il y a urgence, mais aussi parce que les droites sont divisées. Au Conseil, des gouvernements de coalition pilotés par des partis de droite ont soutenu le texte. Au sein du Parlement, le président du Parti populaire européen [PPE – le parti de la droite conservatrice majoritaire au Parlement, NDLR], Manfred Weber, a déployé toutes les pratiques politiques les plus crasses pour gagner le vote en commission, en allant jusqu’au chantage sur des députés qui ont cédé leur place pour voter. Mais au sein de la plénière, l’influence de Weber pourrait être remise en cause.
Cette bataille est-elle symptomatique de plusieurs visions de l’Europe qui s’affrontent?
Veut-on une Europe obsédée par le profit ou une Europe qui protège ? L’économie est la mère de toutes les batailles : nous devons impérativement la réencastrer dans les limites planétaires si on veut enrayer la destruction du vivant. Et ces limites planétaires doivent aussi être justes, si on veut maintenir une cohésion sociale bâtie sur la solidarité. Voilà où se situent aujourd’hui les points de tension.
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Nous devons aussi sortir de la civilisation des toxiques. Par exemple, la question des PFAS – ces polluants éternels que l’on retrouve sur le plateau tibétain ou au pôle nord et qui rendent les écosystèmes et les humains malades -, qu’a portée Nicolas Thierry [député EELV de la Gironde] à l’Assemblée nationale est cruciale.
Il faut interdire la famille des PFAS mais aussi s’attaquer aux plastiques, aux métaux lourds, au bisphénol et autres polluants en révisant le règlement Reach [entré en vigueur en 2007 pour sécuriser la fabrication et l’utilisation des substances chimiques dans l’industrie européenne, NDLR], ce à quoi s’opposent tant les lobbies de la chimie que le Commissaire Thierry Breton ou… Emmanuel Macron.
Le tout-marché n’est pas l’horizon indépassable du projet européen.
La prolifération des toxiques est un problème de santé public majeur. Et quand les maladies frappent, les populations sont souvent démunies. J’ai été alertée sur un cas d’une tristesse infinie : Shiloh, 13 ans, est morte d’un cancer du sein qui n’aurait jamais dû la toucher. Elle a étudié toute sa vie dans une école polluée aux métaux lourds. Si l’on ne sait pas encore établir avec certitude de lien de causalité, ses parents se battent pour obtenir transparence et justice. Ces enjeux sont concrets pour les Européennes et les Européens. Nous devons trouver une issue.
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L’Union européenne est née pendant les Trente Glorieuses. Ce cadre politique et économique est-il encore pertinent aujourd’hui pour mettre en oeuvre la transition écologique ?
Non. Au fond, il faut sortir du productivisme et de l’hyperconsommation. Le modèle économique déployé pendant les Trente Glorieuses détruit notre planète. Il se heurte à la finitude de la planète et aux dégradations des conditions de vie. Notre oikos, notre maison-terre, est malade de son nomos, c’est-à-dire des règles édictées par un capitalisme financiarisé à outrance. Parce que le codage juridique du capitalisme, qui s’écrit au détriment des humains et de la nature, est mondialisé, il faut mener la bataille à un niveau pertinent. L’Europe est la bonne échelle pour ce faire.
Le tout-marché n’est pas l’horizon indépassable du projet européen. On peut adopter des politiques publiques conjoncturelles, mais aussi systémiques qui permettent de reprendre en main l’économie. Je veux un traité environnemental européen : il faut que la protection du vivant devienne la règle des règles.
Et il faut innover. Par exemple, on pourrait imaginer que l’Union européenne, ses Etats membres et leurs banques publiques entrent au capital des industries les plus polluantes – comme Total ou Repsol [une major pétrolière espagnole]-, pour accélérer leur transition et éviter la violation des droits humains comme en Ouganda avec le projet Eacop.
Autre exemple : l’un des gros problèmes aujourd’hui, c’est la relance de la course minière sur les terres et au fond des océans au nom de la décarbonation [une grande quantité de minerais est notamment nécessaire à la fabrication des batteries électriques, NDLR]. Dans une économie libérale et concurrentielle, on ne peut attendre des entreprises minières qu’elles recherchent autre chose que de réaliser des profits lorsqu’elles ont investi. L’exploitation privée des ressources minières est donc potentiellement dévastatrice.
Je refuse que l’on oppose les monopoles publics nationaux qui protègent, à une Europe qui serait nécessairement libérale : plutôt qu’une nouvelle relance minière privée, je propose une entreprise publique européenne susceptible de respecter les limites planétaires.
L’Union européenne a lancé son «Pacte vert européen» pour faire sa transition écologique et enrayer la crise climatique. Cela va-t-il dans le bon sens ? Une vraie planification écologique peut-elle être menée à l’échelle de l’UE ?
Les choses commencent à bouger : le débat, hier impossible, est sur la table. Mais quelle lenteur ! Il faut changer de braquet et de logique.
Le Green deal a été lancé pour réhausser les objectifs environnementaux de l’Union européenne, mais trois aspects essentiels manquaient. D’abord, les objectifs n’étaient pas assez ambitieux pour respecter les accords internationaux, comme l’Accord de Paris et les grands principes de préservation du vivant ; ensuite, le pacte faisait l’impasse sur la transformation de l’économie et ne redistribuait pas le pouvoir entre les différentes forces sociales (même si nous avons arraché une législation instaurant un devoir de vigilance pour les entreprises) ; enfin, le Green Deal faisait l’impasse sur la réforme de la Politique agricole commune qui est pourtant le premier budget de l’Union européenne, et la politique supposée garantir une alimentation saine pour toutes et tous. C’est pourquoi les Verts s’étaient abstenus lors du vote.
La question agricole est centrale et met deux modèles face à face. En Espagne, par exemple, l’agro-industrie s’accapare et assèche l’eau du parc naturel de Donana, l’une des plus grandes zones humides d’Europe, située sur la route migratoire des oiseaux. Et ce, au profit de la fraise, cultivée à grands coups de pesticides à des fins d’exportation, par des travailleurs sans papiers marocains – dont de nombreuses femmes qui peinent à dénoncer les violences sexuelles qu’elles subissent. Ce modèle-là, qui broie les humains et extermine le vivant, est le modèle aujourd’hui défendu par la droite espagnole et l’extrême droite de Vox – et leurs alliés européens. Les mêmes défendent un modèle reposant sur des réservoirs artificiels d’eau, qui font penser aux méga-bassines.
Il faut non seulement défendre la liberté et la démocratie, mais aussi refaire de la lutte contre la pauvreté et les inégalités la colonne vertébrale de l’Europe.
Il existe un autre modèle, respectueux des paysannes et des paysans, dont nous avons besoin. Réinstaller des millions de paysannes et paysans sur le territoire européen est une nécessité. Les nouvelles installations reposeraient sur une agriculture respectueuse des semences, protectrices des sols, et des espèces, et garantirait la juste rémunération des paysans. C’est la raison pour laquelle la bataille de la PAC est cruciale ; et le travail de mon collègue Benoît Biteau [eurodéputé EELV, NDLR] indispendable. Benoît est le représentant et le symbole de la possibilité d’une autre agriculture, mais aussi l’incarnation d’une bataille qui ne se joue pas contre les agriculteurs, mais avec eux.
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À moins d’un an du scrutin, comment envisagez-vous les élections européennes, alors que l’extrême droite monte en France comme dans beaucoup de pays voisins ?
La bataille va être difficile. Marine Le Pen est aux portes du pouvoir. Giorgia Meloni [première ministre italienne d’extrême droite] a déjà gagné. Emmanuel Macron a le verbe haut, le goût des sommets internationaux, mais Il est prêt à toutes les compromissions avec les nationaux populistes et les démocraties illibérales pour défendre son industrie nucléaire, défendre le gaz comme une énergie de transition, ou plus récemment la possibilité de nouvelles subventions publiques au charbon. Cette politique est une catastrophe.
Il est temps de remettre l’Europe au service des peuples : nous devons nous battre pour une Europe du vivant et de la justice, qui respecte les valeurs fondatrices de l’Union Européenne : la paix et la prospérité partagée. Je propose aussi faire de la lutte contre la pauvreté et les inégalités la colonne vertébrale de l’Europe.
On doit inventer un État providence européen, qui repose sur ces deux piliers : des droits et minimas sociaux adaptés au nouveau régime climatique et à la révolution numérique – le droit de ne pas travailler par forte chaleur, ou à vivre hors ligne -, et des services publics forts, accessibles à tous et toutes.
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