Décryptage

En Azerbaïdjan, la COP29 démarre sous les pires auspices

Bakou et hauts risques. Malgré une année plus catastrophique que jamais, les chances de faire progresser la lutte contre le changement climatique sont au plus bas à l’ouverture de la 29ème conférence mondiale (COP29) sur le climat, à Bakou en Azerbaïdjan. Voici les ombres qui vont planer sur l’examen d’au moins trois dossiers clés.
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«On ne va pas se mentir, cette COP là est particulièrement difficile à bien des égards», lâche Gaïa Febvre*, responsable des politiques internationales au Réseau action climat. Comme la plupart des 55 000 participant·es attendu·es à Bakou, elle «refuse de céder au défaitisme». Mais quand même : les deux semaines de négociations qui s’ouvrent aujourd’hui «risquent d’être vives, difficiles, voire très difficiles», confirme Mark Tuddenham, expert au Citepa (Centre d’études de la pollution atmosphérique).

À l’ouverture de la COP29, dimanche 10 novembre 2024 à Bakou (Azerbaïdjan) © Alexander Nemenov/AFP

Il y a plus chaud que le climat

Pour commencer, «avec le monde qui est ébranlé par les guerres en Ukraine, à Gaza et maintenant au Liban, la crise climatique a baissé dans l’ordre des priorités», constate Mark Tuddenham. En témoigne le faible nombre de chef·fes d’État attendu·es (106) lors du segment de haut niveau, avec en particulier l’absence des dirigeants chinois, américains, français ou indiens. Sans compter que les tensions entre blocs risquent de s’inviter à la table des négociations : «la bulle climat, ça n’existe pas, confirme Gaïa Febvre, tout cela va avoir des conséquences sur les négociations».

Alors que la COP29 a été surnommée «la COP de la finance» (voir plus bas), la crise économique mondiale plane aussi sur les négociations. Les pays développés arrivent la main agrippée au porte-monnaie alors que les pays vulnérables attendent une hausse sensible des aides à l’atténuation et à l’adaptation. À cet égard, la France montre un exemple édifiant : pour contenir le déficit public, le gouvernement compte sabrer de 18 % (-1,3 milliard d’euros) le budget consacré à l’aide au développement en 2025, après l’avoir déjà réduit de 800 millions d’euros en 2024 et 400 millions en 2023.

Ça Trump énormément

Pour ne rien arranger, l’élection de Donald Trump à la tête des États-Unis quelques jours avant l’ouverture du sommet «jette une ombre sur son déroulement», prévient Mark Tuddenham. Le président climatosceptique (notre article) ne s’installera à la Maison Blanche qu’en janvier, «c’est donc trop tôt pour préjuger des positions que prendront les négociateurs américains», tempère Kevin Magron, l’ambassadeur climat de la France.

Mais ce n’est qu’une question de temps avant que la première puissance économique mondiale (qui est aussi la première responsable de la crise climatique avec 20% des émissions émises depuis 1850) quitte à nouveau la table des négociations, comme ce fut le cas sous le premier mandat de Trump entre 2016 et 2020.

Du reste, «cette élection est la dernière d’une série d’élections nationales qui ont vu l’extrême droite monter en promettant d’agir contre l’action climatique», ajoute Mark Tuddenham, citant l’Allemagne, l’Autriche, la France, l’Italie, les Pays-Bas ou la Suède. En clair, le pouvoir de nuisance de l’extrême droite pourrait se faire sentir ailleurs que dans les positions américaines.

Qui dit Bakou dit coups bas ?

Comme chaque année, le rôle du pays hôte est stratégique pour faire avancer – ou pas – les négociations. Or, de ce point de vue, la présidence azerbaïdjanaise peine à inspirer confiance. Le pays, qui figure parmi les dix plus gros producteurs pétrogaziers, dépend massivement des énergies fossiles, qui représentent 98% de son mix énergétique et 64% de son PIB, selon Carbon tracker.

L’année dernière, à Dubaï, la communauté internationale a certes reconnu pour la première fois le rôle des énergies fossiles dans le réchauffement climatique. Mais, depuis, «les hôtes de la COP28 (Émirats Arabes Unis), COP29 (Azerbaïdjan) et COP30 (Brésil) ont décidé d’augmenter leur production de pétrole et de gaz d’un tiers d’ici à 2035», se désole Romain Ioualalen, d’Oil change international.

Mukhtar Babayev, président de la COP29 et ministre azerbaïdjanais de l’écologie, qui a fait la majeure partie de sa carrière dans l’industrie pétrolière. © UNclimatechange/Flickr

«C’est aussi la troisième année consécutive où la COP se tient dans un pays répressif» (après l’Égypte et les Émirats Arabes Unis), souligne Myrto Tilianaki, de Human rights watch. Ces derniers mois, les autorités azerbaïdjanaises ont arrêté «des dizaines» de voix critiques.

Le pays entretient des relations particulièrement exécrables avec la France, à tel point qu’une trentaine de personnalités politiques, de Laurent Wauquiez (LR) à Anne Hidalgo (PS) et Yannick Jadot (EELV), ont demandé au gouvernement de boycotter la COP, dans une tribune parue dans le journal Le Figaro. «Nous ne ferons pas la politique de la chaise vide, parce que c’est faire la politique de nos opposants»a répondu la ministre de l’écologie Agnès Pannier-Runacher, tout en précisant que le président français séchera l’évènement pour la première fois depuis l’Accord de Paris en 2015.

Les trois dossiers chauds

Viser la thune

La COP29 a été surnommée «la COP de la finance», car il est l’heure pour les pays de s’entendre sur un nouvel objectif de financements climatiques post-2025 (New collective quantified goal on climate finance, ou NCQG en anglais). Pour rappel, en 2009, les 39 États les plus développés avaient consenti à transférer 100 milliards de dollars par an (de 2020 à 2025) aux pays en développement. Une promesse atteinte seulement depuis 2022 et qui reste bien inférieure aux besoins réels.

À l’ouverture de la COP, aucun pays développé n’a avancé de chiffres pour le nouvel objectif. En revanche, ils sont plusieurs à vouloir élargir la base des contributeurs à de nouveaux pays tels que la Chine ou les pays du Golfe. Les ONG du Climate action network militent pour un montant annuel de 1 000 milliards de dollars en subventions. «On ne veut pas des financements qui endettent», a prévenu Myrto Tilianaki, alors que 70% des financements climat sont aujourd’hui accordés sous forme de prêts, selon l’OCDE.

Efforts plus forts

Après avoir convenu l’année dernière d’une nécessaire «transition hors des énergies fossiles», les pays sont censés concrétiser cet engagement en remettant à l’ONU de nouvelles feuilles de route climatiques à horizon 2035 (National determined contribution, ou NDC en anglais).

Officiellement, les pays doivent le faire sur une période qui court entre le 10 novembre 2024 et le 10 février 2025. La soumission de NDC ambitieuses par des pays influents pourrait donner de l’élan à la COP, mais c’est plutôt l’attentisme qui domine. Ni la Chine, ni les États-Unis ou l’Union européenne n’ont prévu de présenter la leur.

Marchés carbone

Enfin, les négociateurs espèrent s’entendre sur la mise en place des marchés mondiaux du carbone prévus par l’article 6 de l’Accord de Paris. L’un, interétatique (article 6.2), permettrait aux pays les moins ambitieux d’acheter des droits à polluer à ceux qui ont outrepassé leurs objectifs climatiques. L’autre (article 6.4) serait dédié aux acteurs privés. Mais alors que 80% des pays comptent avoir recours à ce dispositif pour atteindre leurs objectifs climatiques, des règles trop souples pourraient anéantir l’efficacité du dispositif. C’est pour cette raison que les pays ne sont encore jamais parvenus à se mettre d’accord depuis l’Accord de Paris.

*tous les propos cités dans l’article ont été recueillis lors de conférences de presse organisées entre le 24 octobre et le 6 novembre.