Marchés confus. Pour certains, ils sont la clé de voûte de l’action climatique, pour d’autres ils ont le pouvoir de saper complètement l’accord de Paris. Les marchés du carbone sont sans conteste le sujet le plus controversé des négociations climat. Explications.
Signé en décembre 2015 par 195 Parties à la COP21, l’accord de Paris, « est comme une loi dont il manque les décrets d’application », expliquait en octobre l’ambassadeur climat de la France, Stéphane Crouzat, aux sénateurs français. COP après COP, les négociateur·rice·s sont parvenu·e·s à s’entendre sur la mise en œuvre de la plupart des 29 articles de l’accord, mais l’article 6 relatif aux « mécanismes de coopération internationale volontaire » résiste à tout consensus.
Concrètement, ce sixième article porte sur la création d’un marché du carbone interétatique (article 6.2) et d’un autre ouvert aux acteurs privés (6.4). Le premier offre la possibilité aux pays les moins ambitieux d’acheter des droits à polluer à ceux qui ont outrepassé leurs objectifs climatiques tandis que le second permet de générer des crédits carbone via le financement de projets peu émetteurs (énergies renouvelables) voire de captage des émissions (reforestation). Pour Stéphane Crouzat, la mise en œuvre de l’article 6 est « d’autant plus importante que 80% des pays comptent avoir recours à ce dispositif pour atteindre leurs objectifs climatiques ».
Mais « le diable est dans le détail et nous avons identifié ici bien des diablotins », concède-t-il. Un exemple, parmi d’autres, concerne le double-comptage des crédits carbone (c’est-à-dire à la fois dans le pays qui les émet et dans celui qui les achète). Certains pays émetteurs de crédits, comme le Brésil, y sont favorables tandis que d’autres s’y opposent formellement, arguant que cela saperait totalement l’efficacité du dispositif. Certains, encore, veulent réutiliser les crédits qu’ils ont accumulés sous le mécanisme de développement propre issu du protocole de Kyoto. Or, la surabondance de crédits baisserait considérablement leur prix, selon d’autres. Une frange de pays a même décidé qu’il valait mieux ne rien signer sur la mise en œuvre de ces marchés plutôt qu’un accord au rabais. Ils sont plus d’une trentaine à avoir signé les principes de San Jose actant cette décision.
Le principe même d’une marchandisation du CO2 interroge, voire suscite l’opposition. La Bolivie y est farouchement opposée, et elle peut compter sur le soutien de nombreuses associations de la société civile, dont Greenpeace. « Le risque est que des États industrialisés s’achètent à bon prix des droits à polluer sans remettre en cause leur propre fonctionnement », a expliqué à Vert Clara Alibert, chargée de plaidoyer international au Secours Catholique. Les projets financés le sont souvent dans des pays du sud, où cela coûte beaucoup moins cher que dans les pays développés, avec des risques avérés d’accaparement des terres ou de violation des droits humains. « On a constaté que des projets avaient un impact disproportionné sur les communautés », relève-t-elle, citant l’exemple de barrages hydrauliques synonymes de déplacement des populations autochtones. Depuis la COP25 à Madrid, les négociateur·rice·s ont introduit dans l’article 6.4 une mention sur le respect des droits humains mais celle-ci n’est pas encore définitivement actée, explique Clara Alibert. Et l’instauration d’un mécanisme de plaintes, en cas d’atteinte aux droits humains, n’est pas encore parvenue à trouver une place dans les textes négociés.