Reportage

«Un espoir pour toutes les terres menacées par ce projet écocide»: des milliers de manifestants à nouveau mobilisés contre l’autoroute A69

Pas ta caisse. Entre 2 000 (selon la préfecture) et 7 000 (selon les organisations) manifestants ont tenté d’investir le chantier de l’autoroute A69 près de Puylaurens (Tarn), entre Toulouse et Castres, samedi. Malgré trois blessés graves lors des affrontements avec les forces de l’ordre, les militant·es sont reparti·es avec un espoir tenace de faire annuler le projet autoroutier. Reportage.
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Après plus d’une heure de marche depuis le camp situé au nord de Puy­lau­ren (Tarn), les dernier·es manifestant·es obser­vent au loin la bande de terre vierge ter­rassée qui devrait accueil­lir le futur bitume de l’autoroute A69 et reli­er Toulouse à Cas­tres sur 53 kilo­mètres. Perché·es sur une colline, elles et ils regar­dent avec atten­tion les mil­liers d’autres manifestant·es, parsemé·es dans les champs de blé, qui affron­tent avec vio­lence les forces de l’ordre qui les empêchent d’accéder au chantier. Les panach­es de fumée des lacry­mogènes et des incendies déclarés par les cock­tails Molo­tov, cou­verts par le bour­don­nement des héli­cop­tères, les cris, les explo­sions des grenades de désencer­clement et des feux d’artifice, trans­for­ment le paysage en véri­ta­ble scène de déso­la­tion.

Les yeux rougis par les gaz, Rose, 22 ans, sort tout juste du champ : «J’ai vu que cer­tains avaient réus­si à ren­tr­er sur la route, mais les groupes étaient trop éparpil­lés pour pou­voir affron­ter tous les flics. Moi, j’ai vite fait demi-tour quand j’ai vu les cen­tau­res (les nou­veaux véhicules blind­és de la gen­darmerie, ndlr) arriv­er», explique-t-elle dans un rire jaune. Comme elle, beau­coup ont répon­du à la «manif’action», organ­isée par Extinc­tion Rebel­lion, le col­lec­tif La voie est libre, les Soulève­ments de la terre et le Groupe nation­al de sur­veil­lance des arbres (GNSA). Certain·es appréhendaient le dis­posi­tif de sécu­rité mis en place suite à l’interdiction de la man­i­fes­ta­tion, jeu­di dernier, par la pré­fec­ture du Tarn.

Certain·es manifestant·es ont réussi à accéder à la route avant d’être expulsé·es par les blindés. ©Alexandre Carré/Vert

À la vue des dizaines de camions et des blind­és, certain·es sont resté·es loin der­rière : «Je laisse la vio­lence à ceux qui sont équipés pour ça, con­fie Tom, 30 ans. Je n’étais pas à Sainte-Soline, mais je sais que ça peut vite dégénér­er et tourn­er au drame. On ne devrait pas en arriv­er là pour un pro­jet com­plète­ment hors du temps.»

Benoit et Lisa sont venus de Bor­deaux avec leurs deux enfants de 7 et 10 ans pour soutenir la lutte. «Un pro­jet de ce type, qu’il soit ici ou ailleurs, est com­pléte­ment absurde et va à l’envers de ce qu’il faut faire en matière de tran­si­tion écologique», déplore Lisa. Chaus­sures de ran­don­nées aux pieds, la famille se pré­pare à par­tir avec le cortège de der­rière, le plus calme et sécurisé. «On est là aus­si pour nos enfants, parce que ce pro­jet incar­ne une poli­tique qui les con­damne».

Au total, les organ­i­sa­tions ont comp­té une ving­taine de blessé·es, dont trois graves. Le préfet du Tarn, Michel Vil­bois, a quant à lui déclaré que deux policiers avaient été légère­ment blessés.

Mal­gré un objec­tif ini­tial raté et un nom­bre de par­tic­i­pantes moins élevé que prévu, la mobil­i­sa­tion reste un suc­cès pour les organ­i­sa­tions qui se félici­tent d’avoir «réu­ni autant de per­son­nes — 7000 selon elles — pour pro­téger ce ter­ri­toire insoumis qui refuse de se laiss­er faire».

Des manifestant·es enthousiastes et déterminé·es

Plus tôt dans la journée, le camp de base mon­té la veille, à quelques kilo­mètres au nord de la com­mune de Puy­lau­rens, s’est réveil­lé en musique. Des tables ron­des, ani­mées par les différent·es porte-paroles et mem­bres des organ­i­sa­tions à l’origine de la man­i­fes­ta­tion, se sont pour­suiv­ies. Les enjeux agri­coles, envi­ron­nemen­taux, économiques et soci­aux autour du pro­jet autorouti­er ont été abor­dés.

Dès 10h, les mem­bres du syn­di­cat agri­cole de la Con­fédéra­tion paysanne, présent·es en sou­tien à la man­i­fes­ta­tion, se sont rassemblé·es pour une action sym­bol­ique. À l’aide d’un tracteur et de quelques tar­ières (out­ils pour creuser des trous), les paysan·nes ont plan­té des graines et des jeunes pouss­es d’arbres sur une par­celle agri­cole des­tinée à devenir un bar­reau de con­tourne­ment de l’autoroute autour de Puy­lau­rens. «L’A69 impacte des cen­taines d’hectares de ter­res agri­coles. Nous on vit de ça, c’est notre out­il de tra­vail. C’est pas juste pour nous, c’est pour nour­rir les gens, explique à Vert Gré­goire Lechar­mont, paysan du Tarn et mem­bre du syn­di­cat. On défend ces ter­res car elles ser­vent d’un point de vue écologique mais aus­si socié­tal.»

Pour Lau­rence Maran­dola, porte-parole de la Con­fédéra­tion Paysanne, ce geste est «haute­ment sym­bol­ique et c’est une promesse d’avenir et un espoir pour toutes ces ter­res men­acées par ce pro­jet éco­cide».

Les paysan·nes ont planté des dizaines de variétés d’arbre et de plantes différentes sur le tracé de l’A69. ©Alexandre Carré/Vert

Une autre voie est possible

Sur le campe­ment, des dizaines de stands d’associations sont alignés pour informer les manifestant·es. Bruno Julié, élu sans éti­quette de la com­mune de Teu­lat (Tarn) et Alban Nénon, édu­ca­teur sci­en­tifique, sont mem­bres du col­lec­tif La Voie est libre. Ils défend­ent le pro­jet «Une autre voie», un pro­jet alter­natif à l’autoroute A69, soutenu par de nombreux·ses sci­en­tifiques (notre arti­cle). «On n’est pas que des opposants, on est aus­si des pro­posants», lance l’éducateur. «Notre pro­jet prou­ve l’inutilité de l’autoroute et met en valeur une alter­na­tive por­teuse et nova­trice pour tous», ajoute l’élu.

Pour le col­lec­tif, cette autoroute est l’occasion de réfléchir à un amé­nage­ment beau­coup plus pro­fond du ter­ri­toire, cen­tré sur le local, le social et le vivant. En tant qu’élu, cela fait plus de quinze ans que Bruno Julié s’oppose au pro­jet. Pour lui, sa con­struc­tion, qui est presque entière­ment financée par des fonds privés, relève du «déni démoc­ra­tique», alors que plus de 60% de la pop­u­la­tion s’y est opposée.

Le collectif Une Autre Voie a participé de manière pacifiste à la manifestation avec le chantier au fond. ©Alexandre Carré/Vert

Le col­lec­tif s’est aus­si con­cen­tré à tra­vailler avec les mairies pour dif­fuser le pro­jet au cœur des com­munes. «On a créé un réseau d’acteurs locaux qui porte cette nou­velle vision», développe Karim Lahi­ani, l’urbaniste créa­teur du pro­jet Une autre voie. Il se réjouit de voir que les per­son­nes, au départ dubi­ta­tives devant l’opposition gran­dis­sante, se rangent de leur côté lorsque les alter­na­tives leur sont présen­tées.

«Depuis sep­tem­bre 2023, on a pu ali­menter le pro­jet en son­dant les ter­ri­toires con­cernés par l’autoroute et en tra­vail­lant sur la tech­nique de liai­son fer­rovi­aire exis­tante, décrit l’urbaniste. Ça donne encore plus de crédit au pro­jet.» Cette nou­velle analyse devrait offrir au col­lec­tif un nou­veau recours juridique, notam­ment en prou­vant que toutes les alter­na­tives n’ont pas été explorées par les pro­mo­teurs de l’autoroute.

Ironie du sort, Karim Lahi­ani a reçu le prix du Pal­marès des jeunes urban­istes 2024, décerné par le min­istère de la tran­si­tion écologique en mai 2024, pour son tra­vail sur l’alternative à l’A69, pour­tant défendue et sub­ven­tion­née par le gou­verne­ment.