Après plus d’une heure de marche depuis le camp situé au nord de Puylauren (Tarn), les dernier·es manifestant·es observent au loin la bande de terre vierge terrassée qui devrait accueillir le futur bitume de l’autoroute A69 et relier Toulouse à Castres sur 53 kilomètres. Perché·es sur une colline, elles et ils regardent avec attention les milliers d’autres manifestant·es, parsemé·es dans les champs de blé, qui affrontent avec violence les forces de l’ordre qui les empêchent d’accéder au chantier. Les panaches de fumée des lacrymogènes et des incendies déclarés par les cocktails Molotov, couverts par le bourdonnement des hélicoptères, les cris, les explosions des grenades de désencerclement et des feux d’artifice, transforment le paysage en véritable scène de désolation.
Les yeux rougis par les gaz, Rose, 22 ans, sort tout juste du champ : «J’ai vu que certains avaient réussi à rentrer sur la route, mais les groupes étaient trop éparpillés pour pouvoir affronter tous les flics. Moi, j’ai vite fait demi-tour quand j’ai vu les centaures (les nouveaux véhicules blindés de la gendarmerie, ndlr) arriver», explique-t-elle dans un rire jaune. Comme elle, beaucoup ont répondu à la «manif’action», organisée par Extinction Rebellion, le collectif La voie est libre, les Soulèvements de la terre et le Groupe national de surveillance des arbres (GNSA). Certain·es appréhendaient le dispositif de sécurité mis en place suite à l’interdiction de la manifestation, jeudi dernier, par la préfecture du Tarn.
À la vue des dizaines de camions et des blindés, certain·es sont resté·es loin derrière : «Je laisse la violence à ceux qui sont équipés pour ça, confie Tom, 30 ans. Je n’étais pas à Sainte-Soline, mais je sais que ça peut vite dégénérer et tourner au drame. On ne devrait pas en arriver là pour un projet complètement hors du temps.»
Benoit et Lisa sont venus de Bordeaux avec leurs deux enfants de 7 et 10 ans pour soutenir la lutte. «Un projet de ce type, qu’il soit ici ou ailleurs, est complétement absurde et va à l’envers de ce qu’il faut faire en matière de transition écologique», déplore Lisa. Chaussures de randonnées aux pieds, la famille se prépare à partir avec le cortège de derrière, le plus calme et sécurisé. «On est là aussi pour nos enfants, parce que ce projet incarne une politique qui les condamne».
Au total, les organisations ont compté une vingtaine de blessé·es, dont trois graves. Le préfet du Tarn, Michel Vilbois, a quant à lui déclaré que deux policiers avaient été légèrement blessés.
Malgré un objectif initial raté et un nombre de participantes moins élevé que prévu, la mobilisation reste un succès pour les organisations qui se félicitent d’avoir «réuni autant de personnes – 7000 selon elles – pour protéger ce territoire insoumis qui refuse de se laisser faire».
Des manifestant·es enthousiastes et déterminé·es
Plus tôt dans la journée, le camp de base monté la veille, à quelques kilomètres au nord de la commune de Puylaurens, s’est réveillé en musique. Des tables rondes, animées par les différent·es porte-paroles et membres des organisations à l’origine de la manifestation, se sont poursuivies. Les enjeux agricoles, environnementaux, économiques et sociaux autour du projet autoroutier ont été abordés.
Dès 10h, les membres du syndicat agricole de la Confédération paysanne, présent·es en soutien à la manifestation, se sont rassemblé·es pour une action symbolique. À l’aide d’un tracteur et de quelques tarières (outils pour creuser des trous), les paysan·nes ont planté des graines et des jeunes pousses d’arbres sur une parcelle agricole destinée à devenir un barreau de contournement de l’autoroute autour de Puylaurens. «L’A69 impacte des centaines d’hectares de terres agricoles. Nous on vit de ça, c’est notre outil de travail. C’est pas juste pour nous, c’est pour nourrir les gens, explique à Vert Grégoire Lecharmont, paysan du Tarn et membre du syndicat. On défend ces terres car elles servent d’un point de vue écologique mais aussi sociétal.»
Pour Laurence Marandola, porte-parole de la Confédération Paysanne, ce geste est «hautement symbolique et c’est une promesse d’avenir et un espoir pour toutes ces terres menacées par ce projet écocide».
Une autre voie est possible
Sur le campement, des dizaines de stands d’associations sont alignés pour informer les manifestant·es. Bruno Julié, élu sans étiquette de la commune de Teulat (Tarn) et Alban Nénon, éducateur scientifique, sont membres du collectif La Voie est libre. Ils défendent le projet «Une autre voie», un projet alternatif à l’autoroute A69, soutenu par de nombreux·ses scientifiques (notre article). «On n’est pas que des opposants, on est aussi des proposants», lance l’éducateur. «Notre projet prouve l’inutilité de l’autoroute et met en valeur une alternative porteuse et novatrice pour tous», ajoute l’élu.
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Pour le collectif, cette autoroute est l’occasion de réfléchir à un aménagement beaucoup plus profond du territoire, centré sur le local, le social et le vivant. En tant qu’élu, cela fait plus de quinze ans que Bruno Julié s’oppose au projet. Pour lui, sa construction, qui est presque entièrement financée par des fonds privés, relève du «déni démocratique», alors que plus de 60% de la population s’y est opposée.
Le collectif s’est aussi concentré à travailler avec les mairies pour diffuser le projet au cœur des communes. «On a créé un réseau d’acteurs locaux qui porte cette nouvelle vision», développe Karim Lahiani, l’urbaniste créateur du projet Une autre voie. Il se réjouit de voir que les personnes, au départ dubitatives devant l’opposition grandissante, se rangent de leur côté lorsque les alternatives leur sont présentées.
«Depuis septembre 2023, on a pu alimenter le projet en sondant les territoires concernés par l’autoroute et en travaillant sur la technique de liaison ferroviaire existante, décrit l’urbaniste. Ça donne encore plus de crédit au projet.» Cette nouvelle analyse devrait offrir au collectif un nouveau recours juridique, notamment en prouvant que toutes les alternatives n’ont pas été explorées par les promoteurs de l’autoroute.
Ironie du sort, Karim Lahiani a reçu le prix du Palmarès des jeunes urbanistes 2024, décerné par le ministère de la transition écologique en mai 2024, pour son travail sur l’alternative à l’A69, pourtant défendue et subventionnée par le gouvernement.
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