«En période de canicule, il fait plus chaud à l’intérieur qu’à l’extérieur. On se demande même si le chauffage n’est pas allumé.» Siradou vit à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), au nord de Paris, avec son mari et ses trois enfants. Avec l’association Locataires Ensemble, qui lutte pour de meilleures conditions de logement, elle s’est rendue mardi 22 juillet à l’Office public de l’habitat (OPH) d’Aubervilliers, son bailleur, pour demander un plan d’action contre les «bouilloires thermiques».
Il s’agit de logis plus vulnérables que les autres à la chaleur. Bien qu’ils bénéficient parfois d’un bon diagnostic énergétique – parce qu’ils sont bien isolés du froid –, ils ne protègent pas toujours les habitant·es des hautes températures. Et celles-ci sont de plus en plus récurrentes sous l’effet du réchauffement climatique.
Quelques semaines à peine après la canicule du début du mois de juillet, le vent est plus frais et le ciel est redevenu gris au-dessus de l’immeuble de l’OPH d’Aubervilliers. Les locataires membres de l’association ont apporté avec eux 16 lettres de mise en demeure afin que leur bailleur réalise des travaux d’adaptation dans les logements. Cet outil juridique est utilisé comme première étape avant la saisie d’un conciliateur si aucun terrain d’entente n’est trouvé.
Elles et ils font partie des habitant·es qui étouffent l’été dans leur appartement, soit 42% des Français·es, selon un récent rapport de la Fondation pour le logement des défavorisés. C’est cette cause que plaident Gérard et Michèle, porte-paroles de Locataires Ensemble. Cette dernière habite dans un logement sans ventilation mécanique contrôlée (VMC) ni volets, que son immeuble en béton armé transforme en étuve. Arrivé·es devant l’OPH, les deux porte-paroles sont reçu·es par le directeur général.
En attendant leur retour, devant l’accueil, les discussions vont bon train parmi les autres locataires. De simples volets, c’est aussi ce que réclame Sophie*, 72 ans, accompagnée de sa voisine du même âge. «Je dors mal, je me sens oppressée quand il fait chaud, déplore-t-elle. Ils nous ont bien proposé l’installation de volets il y a quelques années, mais on devait les payer nous-mêmes, alors on a décliné.»
La question du coût est sur toutes les lèvres : celui des travaux, des ventilateurs à acheter, et de la facture d’électricité, qui augmente lorsque ces équipements sont branchés jour et nuit. Et les plus précaires sont les plus touché·es par cette situation : 37% des ménages modestes déclarent souffrir de la chaleur dans leur logement, contre 20% chez les plus aisés, selon un rapport de l’Agence de la transition écologique (Ademe).
«On fait avec les moyens du bord»
Alors que les nuages gris s’amoncellent au-dessus des locataires, Sophie se réjouit : «Avec ce temps-là, on est très bien, on a besoin de pluie, nous.» Assise sur un muret au pied de la tour, elle liste avec sa copine les défaillances de leur résidence : étincelles dans les prises, ascenseur en panne… Naima, elle, retient «l’effet sauna qui dure pendant trois à quatre jours. C’est lourd, on a beau aérer, c’est l’horreur», déplore l’habitante du Landy, un quartier prioritaire de la ville.
Après leur discussion avec le directeur Jean-Baptiste Paturet, les porte-paroles de l’association se montrent plus ou moins satisfait·es. «Il a confirmé une volonté d’un travail commun», assure Gérard qui, avant d’être militant, a lui-même été président de l’OPH. Il a une stratégie en tête contre les bouilloires thermiques : «L’idée est de dresser un état des lieux pour identifier les logements les plus exposés, lister ceux qui sont orientés plein sud et ceux qui n’ont pas de volets pour les rénover en priorité.»
Rendez-vous a été pris en septembre pour estimer le coût des travaux, demander des subventions et obtenir un plan d’adaptation sur trois ou quatre ans. De son côté, le directeur Jean-Baptiste Paturet insiste auprès de Vert sur les efforts réalisés par l’institution pour réhabiliter les logements. «On fait avec les moyens du bord, et on se donne du mal : on va rénover la moitié du parc de logements sociaux en deux ans, alors qu’il est vieux de cent ans. Dans la résidence Gabriel-Péri [à Aubervilliers], on réhabilitera 500 logements avec des isolants et des systèmes de ventilation.» Indigné par les mises en demeure des locataires venu·es le rencontrer, il refuse d’associer bouilloires thermiques et précarité : «Dans les beaux quartiers et dans le privé aussi, il y en a plein.»
Changement de décor. À Lyon (Rhône), mercredi, une soixantaine d’autres membres de Locataires Ensemble se sont mobilisé·es pour interpeller leur bailleur – privé, cette fois. Réuni·es devant la mairie du 1er arrondissement, elles et ils ont exposé leur situation, en présence de représentant·es de la Fondation pour le logement des défavorisés, d’élu·es de la ville et de député·es.
Face aux propriétaires – et multipropriétaires – qui refusent les travaux dans les logements malgré leurs moyens, «il faut passer de la demande individuelle à l’action collective», explique à Vert Pierre-Julien, responsable communication de l’association. D’autant plus que «Lyon est l’une des villes les plus touchées par les fortes chaleurs», relève Adrien, le chargé de la campagne lyonnaise pour Locataires Ensemble. En 20 ans, le département du Rhône a battu le record de jours cumulés de canicule.
Nathalie, habitante de la métropole, a dû requérir le soutien de la mairie de Villeurbanne, banlieue proche de Lyon, pour faire reconnaître la mauvaise isolation et même l’insalubrité du logement qu’elle loue à un propriétaire privé. Dans son 17 mètres carrés au rez-de-chaussée, sans volets et avec une porte-fenêtre vitrée, la chaleur devient vite étouffante.
L’été, tous les problèmes s’accumulent : «La chaleur s’ajoute aux problèmes de moisissure. Quand je rentre chez moi, j’ai mal à la tête au bout de dix minutes, confie-t-elle à Vert. On a besoin d’une législation qui défende davantage les locataires sur ces questions-là.» Une proposition de loi portée par des député·es de gauche, du centre et de la droite pour protéger les locataires de la précarité énergétique devrait être étudiée à l’automne.
À Lyon, mercredi, après la réunion devant la mairie, les locataires ont déambulé sur les pentes du quartier de la Croix-Rousse. Ici, les anciens bâtiments de canuts – les ouvriers de la soie – ont été rénovés pour être transformés en appartements… mais pas toujours dans des configurations idéales. Géraldine vit au cinquième étage de l’un de ces immeubles historiques. Ils ne peuvent être équipés qu’avec des volets à persiennes appelés «jalousies», afin de respecter le patrimoine.
Sauf que l’installation de ces jalousies n’est pas automatique, et elles sont parfois mal entretenues, selon les locataires. «J’habite sous les toits, dans un appartement exposé plein sud, raconte à Vert Géraldine. Comme mes fenêtres ont des dimensions différentes de celles de mes voisins, on ne m’a pas posé de jalousies au moment de la rénovation. En plus, le placo a été mal installé, donc je peux à peine entrouvrir mes fenêtres pour aérer : elles sont bloquées.»
Résultat, pour l’habitante et son fils : de grosses difficultés pour dormir dès le mois de mai. Heureusement, selon elle, «la mairie et la métropole sont de bons interlocuteurs, on sent que, pour eux, ce n’est pas un enjeu secondaire».
Parmi les lueurs d’espoir des locataires, la pétition lancée par le mouvement Locataires Ensemble pour que la mairie de Lyon publie un arrêté obligeant les propriétaires privés à adapter les logements aux chaleurs. Ce serait une première en France, dont le but consisterait dans un premier temps à installer des volets et des ventilateurs de plafond. Pour le moment, la demande a récolté 4 980 signatures. L’adjointe au logement leur a dit étudier la faisabilité juridique d’une telle démarche.
Depuis octobre 2023, le Code de la santé publique stipule que les logements doivent être équipés d’un «système de régulation de chaleur fonctionnel» (volet, isolation thermique, ventilateur nocturne…). Il indique aussi que les maires ont le pouvoir de prendre des arrêtés municipaux pour faire respecter cette obligation. Ce serait un moyen, pour Géraldine, «de sortir d’une situation invivable».
*Les prénoms ont été modifiés.
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