Charles Merlin, alias Vivre moins con sur Instagram, vit dans une passoire énergétique depuis 2018 – il y fait froid l’hiver, et extrêmement chaud l’été. Son appartement parisien est très mal isolé, il est classé G, la dernière tranche sur le diagnostic de performance énergétique (ou DPE). Une situation invivable en été : «Quand je pose la main sur le mur qui donne sur la façade, c’est comme un radiateur qui irradie la chaleur dans tout mon appartement», témoigne ce créateur de contenu qui vulgarise l’actualité sur les réseaux sociaux. Chez lui, il fait jusqu’à cinq ou dix degrés (°C) de plus qu’à l’extérieur – il a déjà connu jusqu’à 45°C dans son appartement.

Pour répondre à cet enjeu majeur et lutter contre la précarité énergétique l’été, une proposition de loi (PPL) transpartisane va être déposée à l’Assemblée nationale. «Il est temps de modifier la loi pour qu’elle prenne en compte la chaleur dans ses exigences relatives à l’adaptation des logements au changement climatique et à la protection de leurs occupants. Ceux-ci ne peuvent pas attendre», détaille la PPL, que Vert a pu consulter.
Comme Charles Merlin, nombre de citoyen·nes vivent dans ce que l’on appelle une «bouilloire énergétique» et subissent des températures insoutenables l’été. En 2024, 42% des Français·es ont souffert de la chaleur dans leur logement, d’après le rapport de la Fondation pour le logement des défavorisés (ex-Fondation Abbé-Pierre) sur la question, publié ce jeudi. C’est moins qu’en 2023 (55%) et 2022 (59%) – pour cause, il a fait moins chaud en 2024. Pire encore, seulement 21,3% des logements en France disposent d’un «confort d’été» jugé bon, selon le DPE – et ce nombre pourrait être surestimé, d’après une étude du syndicat d’industriels Ignes. Cet enjeu sanitaire et écologique est également social, puisqu’il touche plus durement les ménages modestes. En 2024, 59% des habitant·es des quartiers populaires ont subi la chaleur dans leur logement.
Un angle mort de la précarité énergétique
Une situation qui ne risque pas de s’améliorer : les vagues de chaleur liées au dérèglement du climat devraient se multiplier dans les années à venir. «Jusqu’à récemment, la précarité énergétique en France était étudiée, accompagnée et traitée uniquement du point de vue du froid dans le logement. Avec le réchauffement climatique, des millions d’habitations se transforment en véritables bouilloires et deviennent inhabitables plusieurs mois par an», avertit Christophe Robert, directeur général de la Fondation pour le logement des défavorisés, qui a travaillé avec les parlementaires pour rédiger cette PPL.
Le texte est porté par sept groupes issus de la gauche (La France insoumise, Les Écologistes, le Parti socialiste), mais aussi du centre et de la droite (Liot, Horizons, Ensemble pour la République, les Démocrates). Pour l’instant, une cinquantaine de signataires s’y sont associé·es, mais les porteur·ses du texte attendent d’autres député·es dans les semaines à venir.
Objectif : lutter contre la mal adaptation
La proposition de loi comprend quatre articles. Le premier a pour objectif d’intégrer la question de la chaleur à la définition de la précarité énergétique. «Cela revient à acter qu’un logement acceptable est un logement où on a suffisamment chaud l’hiver, mais pas excessivement chaud l’été», explicite Cyrielle Chatelain, députée les Écologistes et co-porteuse du texte. In fine, cela vise à mieux prendre en compte la question de la chaleur dans les rénovations thermiques. Dans certains cas, des logements rénovés (avec un DPE A) pour le confort d’hiver demeurent des bouilloires thermiques, car l’isolant installé n’est pas adapté aux fortes chaleurs.
«Si on fait de la mal adaptation, c’est-à-dire s’adapter à l’hiver, mais pas à l’été, c’est de l’argent public mal dépensé», souligne Nicolas Bonnet, député Les Écologistes et également porteur de la PPL. En 2024, sur 90 000 rénovations d’ampleur (des travaux réalisés pour améliorer l’efficacité énergétique) financées par l’Agence nationale de l’habitat (Anah), seules quelques dizaines ont intégré un geste de confort d’été.
«Un enjeu d’intérêt général»
Le texte propose également la fin des coupures d’électricité et instaure un «service minimum de l’électricité» : les fournisseurs ne pourront plus interrompre l’approvisionnement électrique dans les résidences principales – aujourd’hui, c’est uniquement le cas pendant la trêve hivernale, entre novembre et mars. Une autre mesure concerne l’obligation d’affichage de l’indicateur de confort d’été du DPE sur les annonces immobilières, afin que les citoyen·nes aient une idée de la qualité thermique d’un logement avant de le louer ou de l’acheter.
Enfin, les deux dernières dispositions visent à faciliter l’installation de protections solaires (volets, brise-soleils…) dans les copropriétés et au sein des zones situées en secteur de patrimoine classé par les Architectes des bâtiments de France (ABF). Ces espaces, qui concernent 32% des logements en France, sont soumis à des restrictions pour ne pas dénaturer le patrimoine. «On veut réussir à lever de nombreux cas où l’adaptation est ralentie à cause de ces freins» patrimoniaux, précise Emmanuel Grégoire, député socialiste et co-porteur du texte.
Le texte ne sera pas étudié avant l’automne
Compte tenu des vacances parlementaires qui démarrent la semaine prochaine, le texte ne sera pas étudié avant l’automne prochain. «La diversité des groupes parlementaires engagés laisse penser que le texte trouvera sa place à l’Assemblée», espère Cyrielle Chatelain. «En tant que citoyen et habitant d’un tel logement, j’espère que les groupes politiques prendront conscience de l’ampleur de cet enjeu d’intérêt général, qui dépasse le clivage gauche-droite, veut croire Charles Merlin. Cette loi, on en a vraiment besoin maintenant, et pas dans dix ou quinze ans, car c’est déjà invivable.»