Lundi 23 septembre tôt dans la matinée, un orage a provoqué d’impressionnantes inondations à Cannes (Alpes-Maritime). 50 mm d’eau sont tombés en une heure, et la gare a été submergée. Pas de victimes, mais des torrents de boue et des voitures emportées par les flots. Le maire Les Républicains (LR), David Lisnard a aussitôt réagi sur X, dénonçant une défaillance dans les prévisions de Météo-France : «Aucune alerte reçue, aucun modèle météo en anticipation».
Sauf qu’une alerte jaune aux précipitations avait bien été déclenchée par l’institution météorologique dès la veille à 6h. Météo-France a précisé à Nice-Matin que la prévision de cet orage avait été diffusée à tous les acteurs institutionnels.
Interrogée lundi soir dans l’émission C à vous de France 5, la nouvelle ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, est revenue sur la principale cause qui a exacerbé les inondations : «À force d’imperméabiliser et de densifier les villes, on arrive à des dégâts de cette nature. […] 50 millimètres d’eau, ce n’est pas les chutes du Niagara non plus». Une analyse qui n’a pas plu à David Lisnard dont le compte X s’est à nouveau enflammé. L’élu a regretté des «propos d’une incompétence crasse (…), irrespectueux des réalités et du travail local». «Nous sommes un des secteurs de France les plus actifs contre les crues éclair, y compris en réduction de l’artificialisation, reconnu par votre ministère», s’est-il insurgé.
Mardi, le Premier ministre Michel Barnier a décroché son téléphone pour s’excuser auprès de David Lisnard des propos tenus par Agnès Pannier-Runacher. Cocasse, alors que l’un des principaux financeurs de la prévention des inondations est le «fonds Barnier» mis en place par lui-même en 1995 lorsqu’il était ministre de l’Environnement.
L’urbanisation accentue la vulnérabilité des populations
Malheureusement pour David Lisnard et Michel Barnier, les faits scientifiques sont têtus. Comme le rappelle le climatologue Christophe Cassou, «les quantités de pluie [tombées à Cannes, NDLR] sont tout à fait classiques pour cette période de l’année et pour cette région» et «l’exposition [à ces risques] augmente, car la surface de zones habitables en zone inondable augmente». Le directeur de recherche au CNRS déplore un discours «déresponsabilisant» du maire de Cannes, alors que l’aménagement des villes est un levier efficace pour diminuer la vulnérabilité des populations face à de tels épisodes pluvieux, selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du Climat (Giec).
Dans les prochaines années, la région Provence-Alpes-Côtes d’Azur (Paca) connaîtra de plus en plus d’événements pluvieux en raison du dérèglement climatique, comme l’a montré un rapport scientifique régional paru en 2021. Celui-ci démontre «qu’imperméabiliser ou dégrader les sols revient à réduire leur potentiel de séquestration et à renforcer les risques de crues.»
Un rapport sénatorial déplore une mauvaise gestion des inondations
Si les inondations aggravées par la crise climatique sont très éprouvantes dans le bassin méditerranéen, d’autres territoires subissent le même sort. Mercredi, Agnès Pannier-Runacher s’est rendue dans la commune d’Arques (Pas-de-Calais), sinistrée par des inondations record en novembre 2023 et janvier 2024. Sur ce territoire, la vigilance est encore de mise puisque les sols sont toujours gorgés d’eau.
La ministre a assuré que le gouvernement prendrait exemple sur les Pays-Bas, habitués à gérer les risques d’inondations et de submersion alors qu’un quart de leur territoire se situe à une altitude inférieure au niveau de la mer. «Le dérèglement climatique, c’est se préparer à l’imprévisible. Nos amis Néerlandais savent le faire. Et c’est une culture que nous allons prendre ici, sur ce territoire, mais aussi dans toute la France», a dit Agnès Pannier-Runacher.
Il y a bien des défaillances dans la gestion des inondations par les pouvoirs publics. Un rapport du Sénat publié mercredi met en lumière des carences dans toutes les régions françaises. Les élus Jean-François Rapin (LR) et Jean-Yves Roux (Parti radical de gauche) préconisent vingt solutions pour y remédier, dont certaines sont fondées sur la nature, telles que des zones non aménagées pour laisser déborder les rivières lors des crues.
Le rapport plaide aussi pour une simplification de l’entretien des cours d’eau, le doublement des achats de pompes, et un meilleure sensibilisation des pouvoirs publics et des riverain·es sur leur exposition aux risques. Concernant l’artificialisation, les auteurs préconisent de ne pas nécessairement reconstruire à l’identique après une inondation, mais de «tenir compte des enseignements» de la catastrophe pour éviter de nouveaux dégâts. Il invite aussi à «mieux maîtriser l’urbanisation en zone inondable». David Lisnard a‑t-il reçu son exemplaire ?
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Photo d’illustration : David Lisnard, maire Les Républicains de Cannes, en mars 2024. © Eric Dervaux / Hans Lucas via AFP