« Je ne devrais pas être ici, mais en famille », glisse aux juges Audrey Boehly. Elle raconte ce qui l’a poussée à s’engager au sein du collectif Non au T4 et à enfreindre la loi, ce matin d’octobre, en compagnie de centaines d’autres. « Vous dites que vous aimez vos enfants plus que tout, mais vous détruisez leur futur devant leurs yeux » : c’est ce message, lancé par Greta Thunberg en 2018 qui l’a convaincue de passer à l’action.
Elles et ils sont architecte, illustratrice, astrophysicien… A la barre du tribunal de Bobigny, les sept activistes narrent leur prise de conscience, leurs tentatives répétées et vaines d’alerter le gouvernement — condamné pour son inaction et dont la loi « climat et résilience » n’aura qu’un effet minime sur le climat (Vert) — et la nécessité, en dernier ressort, de désobéir. « Aller occuper un tarmac c’est un acte de vérité face à un tissu de mensonges » sur l’aviation et le climat, expliquait à l’aube le philosophe suisse Dominique Bourg, invité à témoigner pendant l’audience.
Au petit matin du 3 octobre, à l’appel d’Alternatiba, ANV-COP21 et d’autres collectifs, 350 activistes investissent l’aéroport de Roissy pour dénoncer le projet de création d’un nouveau terminal. Le futur T4 doit permettre d’accueillir jusqu’à 40 millions de passagers supplémentaires par an d’ici 2037. Plus de 80 d’entre elles et eux envahissent le tarmac et se prennent en photo devant un avion avec des banderoles pour demander à l’Etat d’amorcer la décrue du secteur aérien. Une centaine de personnes sont emmenées en garde à vue par la gendarmerie. Sept d’entre elles comparaissaient ce jeudi.
Pour faire de leur procès une tribune contre l’inaction de l’Etat face au secteur aérien, les activistes ont également appelé à la barre la climatologue Elisabeth Michel, ou Florian Simatos, enseignant-chercheur à l’école d’aéronautique ISAE Supaero. Chiffres à l’appui, tous deux détaillent l’impossibilité de concilier le développement du secteur (4% de croissance par an prévus à partir de 2024) et les objectifs climatiques de la France : ‑40% d’émissions de CO2 d’ici 2030 par rapport à leur niveau de 1990 (retrouvez notre dossier sur le mirage de l’« avion vert »).
« Un grillage, c’est peut-être une peccadille… »
Représentant de l’Etat, le procureur insiste sur la destruction de la grille menant aux pistes. « Un grillage c’est peut-être une peccadille au regard du combat qu’ils entendent mener, mais c’est délictuel », renchérit l’avocat d’Aéroports de Paris, l’exploitant de Roissy qui réclame un euro symbolique de dommages et intérêts. Le procureur tente également de convaincre les juges de la volonté des activistes de bloquer le trafic, demandant que la « tentative de trouble au fonctionnement d’installations aéroportuaires » soit requalifiée en « tentative d’entrave à la circulation d’aéronefs ».
Alexis Baudelin, l’un des avocats de la défense, moque le revirement du ministère public : « Le gouvernement a créé une nouvelle infraction du simple fait de s’introduire dans un aéroport. S’ils ont fait cette infraction, c’est parce qu’ils se sont rendus compte que dans ce cas de figure, celui de militants qui vont sur le tarmac, ils ne pouvaient pas être condamnés pour entrave ».
En effet, en juillet dernier, dans une vaste loi fourre-tout, la majorité a instauré un « délit d’intrusion », qui punit de six mois d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende « le fait de s’introduire dans la zone côté piste d’un aéroport » (Vert). Une peine majorée si elle est « commise en réunion » ou si elle est « précédée, accompagnée ou suivie d’un acte de destruction, de dégradation ou de détérioration ». Un délit qui vise directement les ONG qui avaient récemment multiplié les actions de ce type, à Orly, à Roissy, ou à Bordeaux-Mérignac.
Pour plaider la relaxe de leurs client·e·s, les avocat·e·s de la défense invoquent la liberté d’expression, ainsi que l’« état de nécessité » : selon cette notion, une action illégale pourrait être justifiée si elle a été commise afin d’empêcher la réalisation d’un dommage plus grave. En l’occurrence, celle-ci légitimerait la désobéissance afin de lutter contre le péril que représente la crise climatique.
Ce motif est de plus en plus souvent plaidé par les activistes dans ce type d’affaires : en septembre 2019, le tribunal correctionnel de Lyon avait relaxé des « décrocheurs de portraits » d’Emmanuel Macron au nom de l’état de nécessité, avant que ceux-ci ne soient condamnés en appel. La Cour de cassation a finalement cassé le jugement, retenant le motif de la liberté d’expression mais pas l’état de nécessité (Reporterre). Dans la salle surchauffée par les longues heures d’audience, Alexis Baudelin appelle les juges à contribuer au « tournant historique de la justice favorable à la désobéissance civile ».
« Une autre façon de museler les militants »
En février dernier, l’exécutif a finalement abandonné le terminal 4 (Vert), un « projet obsolète, qui ne correspondait plus à la politique environnementale du gouvernement », des mots de la ministre de la transition écologique, Barbara Pompili. Mais il n’a pas abandonné les poursuites.
Le procureur requiert des peines de 400 à 600€ d’amende et un à deux mois de prison avec sursis pour chaque prévenu·e pour l’entrave à la circulation et les dégradations en réunion. Ainsi qu’un mois avec sursis pour les deux militant·e·s qui ont refusé un prélèvement biologique. Le jugement est mis en délibéré et sera annoncé le 12 novembre.
En parallèle du volet pénal de cette affaire, les militant·e·s qui ont envahi les pistes ont été condamné·e·s à des amendes individuelles de 750€. Ainsi que 135€ pour celles et ceux qui sont entré·e·s dans l’aéroport quand seuls les passagers y étaient autorisés. Ces procédures administratives pourraient coûter un total 88 500 euros, selon l’estimation d’Alternatiba. Ainsi qu’« une autre façon de museler les militant·e·s », juge Elodie Nace, porte-parole du mouvement. Si les avions continuent de décoller, l’Etat, lui, atterre.