Escalope game. Alors que le passage à des régimes plus faibles en produits animaux est l’un des leviers les plus puissants pour lutter contre la crise climatique, ce sujet n’est encore que timidement abordé au Salon de l’agriculture. Récit.
Il aura fallu attendre la 59e édition du Salon international de l’agriculture (SIA) pour qu’un organisme dédié à la transition alimentaire vers le végétal y soit représenté. Et pour décrocher son stand, l’Observatoire national des alimentations végétales (Onav) a montré patte blanche. «Il m’a fallu expliquer qu’on n’était pas là pour critiquer l’élevage ou faire la promotion du véganisme, rapporte Florimond Peureux, son président. J’ai insisté lourdement sur le fait qu’on n’avait aucun lien avec les associations militantes, qu’on était juste là pour fournir de l’information.»
Malgré ces efforts et quelques jours après un accord tacite, «on nous a dit que notre présence avait fait grincer des dents en coulisse». D’abord envisagée au pavillon 4 (le pavillon institutionnel), la jeune organisation est finalement assignée au pavillon 2.2, dédié aux «cultures et filières végétales, jardin et potager». La directrice du SIA, Valérie Le Roy, évoque une «cohérence de nomenclature». Le stand de 50m² se retrouve donc coincé entre un vendeur de tables en mosaïque et un stand de perches télescopiques. Pas vraiment ce qu’avait imaginé l’organisation, dont l’objectif est d’accompagner la démocratisation des alimentations végétales. «Beaucoup de personnes souhaitent nous parler, et elles sont toutes au pavillon institutionnel. Là, on va les rater, regrette Florimond Peureux. C’est une opportunité gâchée.»
L’Onav conçoit sa venue au SIA comme une «case à cocher», une étape nécessaire pour gagner en respectabilité et se rapprocher des réseaux d’influence, fermés aux associations jugées trop militantes. «La question de la végétalisation s’institutionnalise, conquiert les clubs de réflexion sur l’alimentation, les groupes de travail à l’Assemblée nationale». Peu après l’annonce de sa présence au SIA, l’organisation a rejoint le groupe de travail sur l’alimentation de la SNBC (Stratégie nationale bas-carbone), feuille de route du gouvernement pour atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050.
Aujourd’hui, l’agriculture est la deuxième source d’émissions de gaz à effet de serre en France, et l’élevage – surtout bovin – est le principal responsable de ce bilan. Levier à la fois individuel et collectif, la végétalisation de l’alimentation est l’un des moyens les plus efficaces pour enrayer la crise climatique, a rappelé le Giec dans son dernier rapport.
La présence discrète de la viande végétale
À quelques stands de là, Viki Mittoo fait déguster aux visiteurs ses steaks et nuggets Promeless, conçus à partir de protéines de blé et de pois. «En 2018, c’était un véritable défi de se lancer au SIA avec de la viande végétale, se souvient-il, en vétéran. On provoquait la colère de pas mal d’éleveurs, qui venaient nous dire qu’on n’avait rien à faire ici. Ça a été la guerre quasiment tous les jours». Le jeune entrepreneur s’était à l’époque confié au Parisien : «On nous a insultés, c’était très dur».
Cinq ans plus tard, Viki Mittoo est plus serein. Et surtout, il n’est plus seul. Au pavillon «agriculture du monde», l’entreprise espagnole Heura ose présenter ses chipolatas, escalopes et burgers végétaux comme des «successeurs de la viande». Pour autant, elle ne s’est pas lancée sans appréhension : «On nous avait même conseillé de prévoir de la sécurité. Une entreprise végane là-bas, ce n’est pas super bien vu», expliquait-elle dans un tweet. Finalement, l’entreprise se réjouit d’avoir vendu cette année «plus de produits au plus grand événement de la viande en France qu’à n’importe quel autre événement, même végétalien, dans le passé». Un succès qui ferait presque oublier l’absence au SIA des deux géants français de la viande végétale, HappyVore et La Vie.
Climat végéphobe et autocensure
Sur la liste des absents figurent aussi les ONG environnementales : Greenpeace, WWF, la Fondation pour la nature et l’homme… Toutes, pourtant, sont dotées d’un pôle agriculture ou alimentation. Il faut dire que les places sont chères. L’Onav a par exemple déboursé près de 20 000 euros pour faire acte de présence. Mais pour Benoît Granier, responsable alimentation au sein du Réseau action climat (RAC), qui regroupe une trentaine d’associations, il y a aussi une forme d’autocensure : «C’est difficile de se faire une place au SIA. On se retrouve noyé dans un environnement qui n’est pas du tout orienté vers les questions écolos et de végétalisation de l’alimentation». Le RAC préconise une baisse d’au moins 50% de la production et de la consommation de produits d’origine animale d’ici à 2050 pour contenir efficacement le réchauffement climatique.
Benoît Granier dit être régulièrement confronté à des «réactions, orales et écrites, parfois insultantes» dans l’exercice de son activité professionnelle. Une crispation qui fait écho au sort qu’a connu dernièrement la présentatrice météo Tatiana Silva. À la fin de son bulletin météo du 29 janvier, elle avait encouragé les téléspectateurs de TF1 à réduire, voire à supprimer leur consommation de viande afin de lutter contre le réchauffement climatique ; de quoi provoquer une vague d’articles et de commentaires lui faisant un procès en moralisme et en infantilisation.
Dédramatiser le sujet
S’il est conscient de l’adversité, Florimond Peureux pense que les associations écologistes pèchent par excès de précaution. «Il faut dédramatiser le sujet, prendre le taureau de la réduction de viande par les cornes. L’Onav est là pour montrer qu’à la fin de la semaine, il n’y aura eu aucun blessé, aucune insulte. Il faut que les autres associations osent aussi venir».
Pour surmonter les réserves, il travaille à la création d’une fédération d’associations sur la végétalisation de l’alimentation, sur le modèle du Collectif Nourrir. «Pour l’instant, tout le monde est isolé, personne n’ose se lancer. L’année prochaine, ça serait bien d’avoir un grand stand partagé, avec la force de frappe de toutes les associations».
Pour Benoît Granier, le tabou de la végétalisation, au SIA comme ailleurs, ne sort pas de nulle part : «C’est construit et entretenu. Beaucoup d’idées fausses sont véhiculées, en particulier sur les problèmes qu’il pourrait y avoir à manger moins de viande». En tête, les prétendues carences alimentaires. Pour Florimond Peureux, il y a de quoi lever les yeux au ciel : «Si on regarde les recommandations officielles du ministère de la Santé de l’autre côté de la Manche, il est dit que les bébés véganes, ça ne pose aucun souci. Pendant ce temps, en France, on se bat pour qu’il y ait un deuxième repas végétarien dans les cantines…»
Axelle Playoust-Braure
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