Reportage

La transition agroécologique tente de se frayer un chemin à travers le Salon de l’agriculture

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Les champs des pos­si­bles. Les tenant·es d’une trans­for­ma­tion de l’agriculture essayent de se faire une place au cœur d’un événe­ment mar­qué par le mod­èle agro-indus­triel dom­i­nant. Reportage.

Dans les allées du Salon de l’agriculture, cer­tains stands se démar­quent plus que d’autres. Il y a d’abord la Fédéra­tion nationale des syn­di­cats d’ex­ploitants agri­coles (FNSEA) et son vaste emplace­ment aux écri­t­ures fluo sur deux étages, sur­plom­bé d’un faux tracteur orange. Pas loin, se dis­tinguent aus­si les stands du pro­duc­teur d’engrais Yara, avec son usine en mod­èle réduit entourée d’herbe arti­fi­cielle et de faux mou­tons, et du lob­by des pes­ti­cides Phyteis — de grands murs végé­taux et de fauss­es plantes à foi­son qui rap­pel­lent son slo­gan «Pro­téger les cul­tures, pro­téger le futur». Au parc des expo­si­tions de Paris, les géants de l’agro-industrie tien­nent salon.

À deux pas, des acteurs plus petits ten­tent de faire enten­dre un autre son de cloche à tra­vers le brouha­ha inces­sant. C’est le cas de la Con­fédéra­tion paysanne, dont il faut un peu chercher le stand. «On n’attire pas autant de gens que les vach­es et les cochons, mais il y a du monde qui passe nous voir pour par­ler du mes­sage qu’on porte, à savoir la pro­duc­tion de matières pre­mières ali­men­taires de qual­ité pour toutes et tous, en respec­tant la terre, l’eau, le sol et les per­son­nes, et en refu­sant le sys­tème général­isé de l’agro-industrie», explique Marie-Pierre Répé­caud, secré­taire nationale du syn­di­cat et agricul­trice en Isère. «Nous ne sommes pas les seuls à porter ce dis­cours au Salon, il y a aus­si l’Agence du bio, le mou­ve­ment Ter­res de liens, etc. On ne peut pas nier la présence de ces expres­sions et on a tout à fait notre place ici.»

Non loin, les mem­bres du col­lec­tif Nour­rir — com­posé de 52 organ­i­sa­tions agri­coles, de pro­tec­tion de l’environnement ou du bien-être ani­mal, de sol­i­dar­ité inter­na­tionale, de con­som­ma­tion et de san­té — présen­tent un nou­veau man­i­feste pour enclencher la tran­si­tion agroé­cologique. Un change­ment rad­i­cal de mod­èle qui passe par un objec­tif cen­tral : un mil­lion de paysan·nes en 2050, soit 40 000 de plus chaque année. Un défi colos­sal alors que 50% des 496 000 agriculteur·es français·es seront en âge de par­tir en retraite dans les dix prochaines années.

Il s’agit d’un moment charnière pour amorcer la tran­si­tion. «C’est juste­ment au moment de la trans­mis­sion des fer­mes entre agricul­teurs que peut se jouer une évo­lu­tion des pra­tiques vers l’agroécologie, à tra­vers des restruc­tura­tions d’exploitations ou des divi­sions de fer­mes», explique Cyrielle Den­har­tigh, respon­s­able agri­cul­ture et ali­men­ta­tion au Réseau action cli­mat (RAC). Aujourd’hui, les deux tiers des ter­res libérées par des agriculteur·rices ser­vent à agrandir des fer­mes exis­tantes plutôt qu’à installer de nouvelles·eaux arrivant·es, ce qui favorise les grandes exploita­tions.

Au Salon de l’agriculture et ailleurs, le col­lec­tif porte qua­tre mesures pour attein­dre ce mil­lion de paysan·nes. D’abord, attir­er de nou­veaux pro­fils en renou­ve­lant l’image des agriculteur·rices, puis pro­pos­er un accom­pa­g­ne­ment poussé à l’installation ain­si qu’une aide pour la trans­mis­sion pour s’assurer qu’aucune ferme ne dis­paraisse — aujourd’hui, c’est le cas de 200 fer­mes par semaine. Enfin, le col­lec­tif promeut une agri­cul­ture durable et vivante à tra­vers des poli­tiques publiques fortes qui favorisent les exploita­tions à taille humaine, les poly­cul­tures, la sor­tie des pes­ti­cides et la fin de l’élevage indus­triel. «On entend sou­vent dire qu’il fau­dra pari­er sur une troisième révo­lu­tion agri­cole avec le numérique et la robo­t­ique, mais on pense que ça nous emmèn­era droit dans le mur», détaille Clotide Bato, co-prési­dente du col­lec­tif Nour­rir.

Face au change­ment cli­ma­tique qui frappe de plus en plus le secteur agri­cole, la résilience de la fil­ière passera par l’agroécologie, abonde Math­ieu Courgeau, paysan en Vendée et co-prési­dent de Nour­rir. «Et sans plus de paysans, on n’y arrivera pas.»