L’annonce a fait grand bruit. Dimanche, à Turnberry (Écosse), la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et le président étasunien Donald Trump ont conclu un accord commercial imposant 15% de taxes sur la plupart des produits européens importés aux États-Unis. «C’est un jour sombre que celui où une alliance de peuples libres, rassemblés pour affirmer leurs valeurs et défendre leurs intérêts, se résout à la soumission», a commenté le premier ministre français François Bayrou.
«Un jour sombre», peut-être aussi pour le climat. Dans le cadre de cet accord dit de «Turnberry», l’Europe s’est aussi engagée à importer pour 750 milliards de dollars (environ 640 milliards d’euros) d’énergie américaine sur trois ans – surtout du pétrole et du gaz naturel liquéfié (GNL), mais aussi du charbon.
Bruxelles l’assure, ce montant massif n’a pas été affiché pour faire plaisir au milliardaire d’extrême droite. L’Union européenne (UE) dit avoir «évalué» ses besoins, au moment où elle compte renoncer à toutes ses importations d’énergie russe d’ici fin 2027, en raison de la guerre déclenchée par Vladimir Poutine en Ukraine.
Des chiffres jugés peu crédibles
Ces sommes font tiquer certain·es spécialistes. Pourquoi ? Parce que l’UE n’achète pas directement l’énergie en question – ce sont des entreprises privées qui le font. Tout dépendra donc des carnets de commandes de ces dernières et de leur capacité à développer des «infrastructures» appropriées pour recevoir de telles quantités d’énergie, concède un fonctionnaire de la Commission européenne.
Autre raison de douter : l’Europe table sur des achats d’énergie américaine à hauteur de 250 milliards de dollars (216,8 milliards d’euros) chaque année pendant trois ans, soit plus de trois fois supérieurs aux importations actuelles en provenance des États-Unis – environ 70 milliards de dollars (60,7 milliards d’euros) en 2024. Plus encore : cela représenterait davantage que la moitié de tout ce que l’UE a dépensé pour importer de l’énergie en 2024 – 375,9 milliards d’euros, selon Eurostat.
Trois ans ne suffiraient pas aux États-Unis pour développer de telles capacités d’exportation, ajoute Simone Tagliapietra, analyste au centre de réflexion européen Bruegel. Côté demande, ce «sont les dynamiques du marché qui déterminent les choix des entreprises énergétiques» et pas des annonces de la Commission européenne, rappelle cet expert, alors que les importations ont baissé en 2024.
«Remplacer une dépendance désastreuse par une autre»
Au-delà des réserves concernant les montants annoncés, la perspective d’une augmentation des importations d’énergies fossiles étasuniennes fait grincer des dents. «Le chiffre avancé de 250 milliards de dollars […] est sans fondement et ne saurait être tenu qu’au prix d’une explosion du prix de l’énergie, ou des importations fossiles de l’Europe, c’est-à-dire non seulement l’abandon de la transition écologique, mais aussi une hausse drastique de la consommation et donc de l’impact climatique du continent», a réagi dans un communiqué le Réseau action climat (RAC), qui fédère 27 ONG environnementales.
Parmi les points de crispation, le GNL. Une grande partie des milliards promis aux États-Unis serait consacrée à ce gaz naturel liquéfié – aujourd’hui, le pays de l’Oncle Sam représente déjà la moitié du GNL importé dans l’UE (devant la Russie, 20% des importations).
Or, cette énergie fossile non renouvelable est en partie produite à partir du procédé controversé de la fracturation hydraulique. Aussi appelée fracking, cette technique d’extraction par fracturation du sol est délétère pour les nappes phréatiques et l’environnement.
Le GNL est composé essentiellement de méthane qui a été refroidi et mis sous pression pour passer de la forme gazeuse à une forme liquide – que l’on peut alors transporter par bateau. À la réception, ce gaz doit être décompressé. «Toutes ces étapes consomment de l’énergie, dépendent d’infrastructures onéreuses et occasionnent des fuites de méthane hautement polluantes», précise le RAC.
«La Commission risque de remplacer une dépendance désastreuse par une autre – débrancher le gaz de Poutine et brancher celui de Trump», fulminait de son côté l’ONG Greenpeace dès le mois de mai. François Gemenne, chercheur belge en politique du climat et coauteur du 6ème rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), dénonce quant à lui une «soumission à la politique fossile de Donald Trump».
Un accord contraire aux objectifs climatiques ? «En aucun cas», répond l’UE
Le deal conclu avec Donald Trump «met en péril» les objectifs de décarbonation de l’UE, abonde Aymeric Kouam, de Strategic Perspectives, un autre centre de réflexion sur la transition énergétique. Selon lui, cela «compromet la stratégie de sécurité énergétique» de l’Europe «qui repose sur la diversification des approvisionnements, le développement des renouvelables et l’amélioration de l’efficacité énergétique».
Réponse de la Commission européenne : les importations ne concernent que les trois ans à venir, et ce pour pallier la fin du gaz russe. «Cela ne contredit en aucun cas nos objectifs climatiques» de long terme, assure Anna-Kaisa Itkonen, une porte-parole de l’institution.
«Comble de l’ironie», fustige le RAC, l’accord de Turnberry intervient alors que l’Union européenne débat de sa trajectoire climatique pour 2040. La Commission a récemment proposé de maintenir son objectif de réduction de 90% des émissions de gaz à effet de serre en 2040 par rapport à 1990… mais en introduisant des «flexibilités» dans le mode de calcul, pour tenter de rallier les États les plus réticents.
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