Les importations de gaz naturel liquéfié (GNL) russe en France ont bondi de 81% entre 2023 et 2024, a révélé le centre de réflexion indépendant IEEFA dans un rapport publié la semaine dernière. Cela représente 2,68 milliards de dollars (environ 2,5 milliards d’euros) versés au gouvernement de Vladimir Poutine pour se procurer ce gaz acheminé par bateau.
«La France, TotalEnergies et les banques françaises entretiennent des liens étroits avec l’industrie gazière russe», explique à Vert Anna-Lena Rebaud, chargée de campagne gaz fossile & transition juste pour l’association de défense de l’environnement et des droits humains Les Amis de la Terre. Notre pays fait partie, avec la Belgique et l’Espagne, des États dotés en infrastructures capables de recevoir et de traiter le gaz russe. Ces trois pays sont en tête de ceux qui en reçoivent le plus, pour leur propre consommation et pour la réexportation, en Allemagne par exemple.
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Certes, les importations par gazoduc depuis la Russie ont diminué depuis le début de la guerre, mais «ce que nous avons perdu par gazoduc a été disproportionnellement compensé par l’arrivée de GNL» par bateau, rapporte encore Anna-Lena Rebaud.
Les Européens versent plus d’argent à la Russie qu’à l’Ukraine
L’Union européenne a réduit ses importations globales de GNL de 19% en 2024, grâce au développement des énergies renouvelables et aux politiques de réduction de la demande en gaz, détaille le rapport de l’IEEFA. Mais la part de cette ressource venue de Russie a bondi de 18%, tandis que la part de GNL qui vient des États-Unis et du Qatar a baissé.
Les achats de gaz et de pétrole russes sont tels que l’Union européenne a versé plus d’argent à la Russie pour l’importation de ces ressources qu’elle n’en a donné pour aider l’Ukraine pour se défendre. Selon des estimations du Centre d’étude de la pollution de l’air et de l’énergie (Crea), l’Europe a acheté pour 22 milliards d’euros de combustibles fossiles à la Russie en 2024, et a versé 19 milliards d’euros pour soutenir Kiev.
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La France est également gourmande en engrais russes. Depuis le début du conflit, les importations de ces fertilisants ont augmenté de 86%, de 402 000 tonnes en 2021 à 750 000 en 2023.
L’agriculture française dépend des engrais russes
Vladimir Poutine a bien compris la possibilité qu’offre cette manne financière. En 2023, il a imposé une taxe douanière sur les exportations d’engrais manufacturés russes et une autre sur les superprofits des entreprises locales qui vendent ces intrants. Le lobby européen des engrais azotés estime à 110 millions d’euros les revenus que la Russie tire de la taxe douanière. Et celle sur les profits rapporte 600 millions d’euros, selon une note des Amis de la Terre.
«Ces deux taxes ont permis de financer le gouvernement et donc l’effort de guerre vers lequel est tournée toute l’économie de la Russie en ce moment», indique à Vert Manon Castagné, chargée de campagne agriculture des Amis de la Terre.
«La France est le plus gros importateur européen d’engrais en raison de ses importantes surfaces cultivées», explique-t-elle. Parmi les cultures les plus consommatrices figurent le blé destiné à la fabrication du pain, ou les plantations de tournesols et de colza pour faire de l’huile. «Notre modèle agricole a été conçu de telle sorte qu’il est dépendant de ces intrants et ne peut pas s’en passer du jour au lendemain», précise Manon Castagné.
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L’association Les Amis de la Terre demande au gouvernement français de réduire la consommation de gaz fossile grâce à l’intensification de la rénovation énergétique des bâtiments. Elle plaide aussi pour une baisse d’utilisation d’engrais, qui pourrait être soutenue par le développement de l’agroécologie. Et elle réclame l’adoption d’une proposition de la Commission européenne de taxe sur les engrais russes, combinée à des mesures de protection pour les agriculteur·ices, afin d’éviter une hausse des prix.
Selon Svitlana Romanko, directrice exécutive ukrainienne de Razom we stand, une organisation pour la paix et la transition énergétique : «Il est choquant de constater que les importations européennes de GNL russe ont augmenté. L’Union européenne a une occasion historique de porter un coup stratégique à la Russie, si elle met en place un embargo sur les combustibles fossiles russes.»
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