La quotidienne

Le climat à la rue

Chères toutes et chers tous,

Alors que s'ouvre la deuxième semaine de la COP26 qui se tient à Glasgow, Vert fête son 400ème numérow ! Des questions ? Des envies ? A l'aide de votre plus belle plume, vous pouvez nous écrire par une simple réponse à cette lettre. 

Bonne lecture !  


Le mouvement climat revient en masse à la COP26 et porte la voix de celles et ceux que le changement menace.


Après deux ans de pandémie, le mouvement mondial pour le climat retrouve des couleurs

Un long week-end de retrouvailles. Marches, rencontres et mobilisations en tous genres : après quasiment deux ans d'embolie causée par la pandémie de Covid-19, le mouvement mondial pour le climat a repris du poil de la bête ces derniers jours à Glasgow.

La pluie horizontale n’aura pas douché les ardeurs de la foule. Samedi, à Glasgow, un vaste cortège de 100 000 personnes a bravé les intempéries pour porter les multiples voix qui composent le mouvement climat au milieu de la COP26. De nombreux autres rassemblements avaient lieu ailleurs sur la planète à l'occasion de cette « journée mondiale pour l'action climatique ».

Quelques mois auparavant, le mouvement paraissait à l'arrêt : « la vague de mobilisation pour le climat que nous avons eue en 2019 a pris fin brutalement lorsque la pandémie a éclaté », expliquait le chercheur et militant Andreas Malm à Vert en juin dernier.

Dès vendredi, les jeunes activistes de Fridays for future ont mis à l'honneur de leur marche les représentant·e·s des peuples autochtones et des pays les plus meurtris par la crise climatique (notre reportage). Le lendemain, « toutes ces personnes du monde entier qui ont élevé la voix pour demander la justice climatique, c'était exactement ce dont nous avions besoin, après deux ans sans avoir été en connexion physique avec les gens », applaudit Tasneem Essop, directrice générale du Réseau action climat international (CAN), qui représente quelque 1 500 ONG. Parmi le cortège : des organisations antiracistes, religieuses, spirituelles, anticolonialistes, caritatives, en faveur de la justice sociale, économique ou climatique, de défense des peuples autochtones, des personnes LGBT+, de la démocratie, des paysans, ou des animaux, ainsi que des syndicats et des organisations politiques.

Le vaste cortège qui a bravé les intempéries samedi à Glagow. © Daniel Leal-Olivas / AFP

L'intersectionnalité – le lien entre les luttes contre toutes formes de domination –, c'est aussi le mot d'ordre de la Coalition COP26, créée pour l'occasion par des dizaines d'organisations. Chaque soir, dans l'église baptiste Adelaide du centre de Glasgow, des personnalités du monde entier – activistes, scientifiques, politiques ou encore, syndicalistes - prennent la parole pour raconter leur expérience et tenter d'inventer la mobilisation de demain. Le but : « donner des outils » aux activistes afin qu'elles et ils repartent mieux armé·e·s dans leurs combats locaux.

Point d'orgue du vaste programme de la Coalition : le « sommet du peuple », qui se tient du 7 au 10 novembre à Glasgow et en ligne. Trois jours extrêmement chargés où se succéderont tables rondes, rassemblements et activités ludiques, comme un jeu de l'oie grandeur nature sur le climat.

Dimanche encore, lors de réunions plus ou moins formelles, de nombreuses ONG ont investi l'université Strathclyde de Glasgow pour y préparer la mobilisation future. « La pandémie ne nous a pas arrêtés, elle nous a rendus plus forts, estime Tasneem Essop, qui y organisait des débats pour le compte du CAN. Elle a rendu visibles toutes les injustices dans le monde. Nous avons gardé notre élan et ensemble, samedi, nous avons montré l'étendue de notre pouvoir ».

© Ministère de la Justice, de la Communication et des Affaires étrangères de Tuvalu

Montée des eaux, pas déso. La vidéo n'a pas encore été projetée à la COP26 mais les photos du tournage ont déjà marqué les esprits. Le ministre de la Justice et des Affaires étrangères, Simon Kofé, a enregistré sa déclaration officielle installé à son pupitre, de l'eau jusqu'aux genoux. Représentant de Tuvalu, le ministre a voulu alerter sur le danger de submersion de son île, située dans le Pacifique. En effet, si l'augmentation des températures dépasse 1,5°C (par rapport à l'ère préindustrielle), la plupart des archipels du Pacifique disparaîtront d'ici la fin du siècle, en raison de la hausse du niveau de la mer. Or, selon l'Agence internationale de l'énergie, même si les promesses des États étaient intégralement tenues, celles-ci ne permettraient de contenir la température qu'à 1,8°C (Vert). En outre, la montée des eaux produit déjà des dommages redoutables dans certaines îles où l'eau salée s'infiltre dans les terres et les rend stériles.

Y'a pas photo. Vendredi, le mouvement fondé par la Suédoise Greta Thunberg a organisé l'une de ses célèbres grèves scolaires pour le climat dans les rues de Glasgow. Quelque 20 000 manifestant·e·s ont défilé sous la bannière de Fridays for future MAPA, pour « Most Affected People and Areas » – les personnes et les zones les plus affectées. Alors que FFF avait mis sur le devant de la scène des représentant·e·s des peuples autochtones, comme la Kényane Elizabeth Wathuti ou l’Equatorienne Nina Gualingua, c'est encore Greta Thunberg que les photographes occidentaux ont capturée dans la foule. - Un reportage à lire dans Vert

Champions de l'humilité. La huitième journée de la COP26 qui se déroule aujourd'hui, lundi, est dédiée aux questions d'adaptation et de financement des pertes et dommages provoqués par le changement climatique. Les pays du sud, qui subissent de plein fouet les effets du changement climatique sans en être responsables, attendent des pays industrialisés qu'ils leur transfèrent des moyens financiers suffisants. Un groupe de pays industrialisés réunissant le Royaume-Uni, le Danemark, la Finlande et l'Espagne (mais pas la France) devrait annoncer dans la journée des moyens alloués aux petits Etats insulaires et aux pays les moins développés. On ne connaît pas encore les montants qui seront mobilisés mais on sait que les membres de cette coalition ont choisi de s'autoproclamer, très sobrement, « les champions de l'adaptation et de la résilience ». Ca promet.

ça carbure. Si l’industrie fossile était un pays, sa délégation serait la plus large à circuler dans les couloirs de la COP26. Dans une étude publiée lundi, l’ONG Global Witness a calculé que sur les 21 695 délégué·e·s accrédité·e·s pour le sommet, 503 sont des lobbyistes lié·e·s à l’industrie fossile, soit 24 de plus que la délégation brésilienne - la plus grande délégation nationale. Selon l’ONG, ces « délégué·e·s » sont directement affilié·e·s à des multinationales telles que Shell, Gazprom et BP, ou bien représentent des intérêts proches de l’industrie fossile. L’analyse révèle aussi que plus de cent entreprises pétro-gazières sont représentées à la COP. Au total, le lobby des énergies fossiles est plus vaste que les délégations combinées des huit pays les plus affectés par le changement climatique (Porto Rico, Birmanie, Haïti, Philippines, Mozambique, Bahamas, Bangladesh, Pakistan).


« La pandémie nous a donné le temps de façonner notre organisation de manière durable de sorte que, au moment où nous pourrions enfin agir et faire campagne, ce serait à partir d’un mouvement plus fort et mieux organisé. »

- Tasneem Essop

Dans un entretien accordé à Vert, la directrice générale du Réseau action climat (CAN) international raconte la résurgence du mouvement climat, après un an et demi de pandémie. Pour elle, cette période a mis le doigt sur des inégalités en tous genres et a permis de renforcer l'action des Organisations non-gouvernementales (ONG). Justice sociale et environnementale seraient ainsi plus que jamais liées.

Fonds vert. N. m : A Copenhague en 2009, les pays riches avaient promis « 100 milliards de dollars par an » entre 2020 et 2025 pour aider les pays en développement à s’adapter et à réduire leurs émissions. Alors que cette somme paraît déjà très insuffisante, les Etats développés jouent les mauvais payeurs et la promesse ne sera pas tenue avant 2023, au mieux. Pire, une importante partie des sommes promises sont en fait des prêts, « qui creusent chaque jour un peu plus la dette des pays les plus vulnérables et accroissent les inégalités », pointe Oxfam. C’est le cas pour 85% des 7 milliards de dollars (6 milliards d'euros) annuels promis par la France. 

Lorenzo Raplili, unique « guerrier » de Vanuatu à Glasgow

Ses camarades ainsi que son gouvernement ont été empêchés de se rendre à Glasgow : le jeune homme de 27 ans est seul pour porter la voix de son archipel, qui menace d'être rayé de la carte par la crise climatique.

Le poing serré sur la hampe en bambou, Lorenzo Raplili est « fier » de porter le drapeau de Vanuatu ce samedi après-midi, à travers les rues de Glasgow. L’archipel de quatre-vingt îles situé dans l’Océan Pacifique est peuplé d’habitants « chaleureux » qui « aiment l’environnement et l’espèce humaine », précise-t-ilHélas, la nation est aussi l’une des plus vulnérables au changement climatique. « Avec la montée de l’océan, les gens sont déplacés des côtes vers les collines, raconte Lorenzo, l’œil brillant. Les sécheresses endommagent l’agriculture, et nous font perdre nos moyens de subsistance. »

Dans le Pacifique sud, novembre signe le début de la saison des cyclones. Des tempêtes tropicales dont l’intensité s’est considérablement renforcée à cause du bouleversement climatique. Sur l’île volcanique d’Ambae, où vit Lorenzo, « les gens s’inquiètent, se préparent à subir toutes sortes de cyclones. C’est une période de souffrance qui commence ».

Lorenzo Raplili, samedi à Glasgow. © Loup Espargilière / Vert

La mère de Lorenzo est femme au foyer. Ancien agriculteur, son père est devenu gardien de prison pour subvenir à leurs besoins. Un couple « peu éduqué » qui est parvenu à payer des études à ses deux enfants. Lorenzo vient d’obtenir son bachelor en politique et histoire. Depuis, le gaillard de 27 ans emploie toute son énergie à faire entendre la « voix de ses frères et sœurs » martyrs du climat, comme ici à Glasgow.

Pourtant, il a failli ne jamais arriver. Après avoir pris un avion de « rapatriement » faute de vols commerciaux, il a été coincé en Nouvelle-Zélande, où les autorités ont jugé sa vaccination trop tardive. Avant d’être réacheminé vers Dubaï pour pouvoir enfin gagner l’Écosse. Un périple de trois jours.

Visas, vaccination, coût, tests, accréditations : face aux trop nombreuses difficultés, plusieurs de ses camarades – ainsi que le gouvernement de l’archipel – ont dû renoncer à se déplacer pour porter la voix des Vanuatais·es à la COP26. Hormis un envoyé de l’ambassade de Vanuatu à New York, à Glasgow, constate Lorenzo, amer, « il n’y a que moi ».

Un portrait à lire en entier dans Vert.

+ Justine Prados, Loup Espargilière et Juliette Quef ont contribué à ce numéro