Portrait

Lorenzo Raplili, unique « guerrier » de Vanuatu à Glasgow

Ses camarades ainsi que son gouvernement ont été empêchés de se rendre à Glasgow : le jeune homme de 27 ans est seul pour porter la voix de son archipel, qui menace d'être rayé de la carte par la crise climatique.
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Le poing ser­ré sur la hampe en bam­bou, Loren­zo Raplili est « fier » de porter le dra­peau de Van­u­atu ce same­di après-midi, à tra­vers les rues de Glas­gow. Peu­plé d’habi­tants « chaleureux » qui « aiment l’en­vi­ron­nement et l’e­spèce humaine », l’archipel de qua­tre-vingt îles situé dans l’Océan Paci­fique est « classé comme étant le sec­ond endroit le plus heureux sur Terre », pré­cise-t-il. Hélas, la nation est aus­si l’une des plus vul­nérables au change­ment cli­ma­tique. « Avec la mon­tée de l’océan, les gens sont déplacés des côtes vers les collines, racon­te Loren­zo, l’œil bril­lant. Les sécher­ess­es endom­ma­gent l’a­gri­cul­ture, et nous font per­dre nos moyens de sub­sis­tance. Nous avons le droit à la nour­ri­t­ure ».

Dans le Paci­fique sud, novem­bre signe le début de la sai­son des cyclones. Des tem­pêtes trop­i­cales dont l’in­ten­sité s’est con­sid­érable­ment ren­for­cée à cause du boule­verse­ment cli­ma­tique. Sur l’île vol­canique d’Am­bae, où vit Loren­zo, « les gens s’in­quiè­tent, se pré­par­ent à subir toutes sortes de cyclones. C’est une péri­ode de souf­france qui com­mence ».

La mère de Loren­zo est femme au foy­er. Ancien agricul­teur, son père est devenu gar­di­en de prison pour sub­venir à leurs besoins. Un cou­ple « peu éduqué » qui est par­venu à pay­er des études à ses deux enfants. Loren­zo vient d’obtenir son bach­e­lor en poli­tique et his­toire. Depuis, le gail­lard de 27 ans emploie toute son énergie à faire enten­dre la « voix de ses frères et sœurs » mar­tyrs du cli­mat, comme ici à Glas­gow.

Loren­zo Raplili, same­di à Glas­gow. © Loup Espargilière / Vert

Pour­tant, il a fail­li ne jamais arriv­er. Après avoir pris un avion de « rap­a­triement » faute de vols com­mer­ci­aux, il a été coincé en Nou­velle-Zélande, où les autorités ont jugé sa vac­ci­na­tion trop tar­dive. Avant d’être réa­chem­iné vers Dubaï pour pou­voir enfin gag­n­er l’Écosse. Un périple de trois jours.

Visas, vac­ci­na­tion, coût, tests, accrédi­ta­tions : face aux trop nom­breuses dif­fi­cultés, plusieurs de ses cama­rades – ain­si que le gou­verne­ment de l’archipel – ont dû renon­cer à se déplac­er pour porter la voix des Vanuatais·es à la COP26. Hormis un envoyé de l’am­bas­sade de Van­u­atu à New York, à Glas­gow, con­state Loren­zo, amer, « il n’y a que moi ».

Mais il n’est pas seul pour autant. Same­di, lors de l’im­mense marche pour la jus­tice cli­ma­tique organ­isée à Glas­gow, son dra­peau a pris sa place par­mi ceux d’autres jeunes insu­laires, tou·te·s mem­bres des Pacif­ic cli­mate war­riors – les guer­ri­ers cli­ma­tiques du Paci­fique. Cha­peauté par l’ONG 350.org, ce réseau cherche notam­ment à faire recon­naître la respon­s­abil­ité his­torique des plus grands émet­teurs de CO2. Elles et ils ten­tent d’obtenir un avis con­sul­tatif de la Cour inter­na­tionale de jus­tice de La Haye qui con­stituerait un pas vers l’in­dem­ni­sa­tion par les nations rich­es des « pertes et dom­mages » causées aux pays les plus vul­nérables. C’est sa « pri­or­ité numéro 1 », dit Loren­zo sous son masque « Flex for 1.5°C ». La lim­ite fatidique à ne pas dépass­er, sans quoi la « survie » des îles du Paci­fique ne sera plus assurée.

Le dis­cours (en anglais) de Mia Mot­t­ley lors du som­met des lead­ers qui a mar­qué l’ou­ver­ture de la COP26 © UN Cli­mate change

Militer, c’est sa « pas­sion », s’il­lu­mine Loren­zo. Il veut à tout prix porter la voix de la société civile sur son île et au-delà. Il n’est pas intéressé par la poli­tique « pour l’in­stant », même s’il est encore ému du dis­cours mémorable pronon­cé par la pre­mière min­istre des Bar­bades, à l’ou­ver­ture de la COP26. « Nous sommes les agneaux sac­ri­fiés du réchauf­fe­ment cli­ma­tique », avait ton­né Mia Mot­t­ley devant l’ensem­ble des chefs d’État et de gou­verne­ment. Pour Loren­zo, « elle a touché le cœur, l’âme et l’e­sprit de nos sœurs et frères ».