Désignée lauréate à l’été 2024, après avoir ficelé son dossier en quelques mois, la France dispose désormais de délais extrêmement restreints pour mettre sur pied les 26èmes Jeux olympiques d’hiver qui se tiendront en février 2030 dans les Alpes françaises. À titre de comparaison, la candidature de Paris pour les JO 2024 avait été finalisée plus de neuf ans avant la tenue des olympiades.

Pour aller (très) vite, les organisateurs ont désormais impérativement besoin de déroger aux lois françaises. D’autant plus que «le CIO [Comité international olympique, NDLR] impose des règles de fonctionnement qui ne sont pas compatibles avec notre cadre réglementaire actuel», commente Delphine Larat, juriste et cofondatrice du Collectif citoyen JOP 2030 – un mouvement d’opposant·es.
D’où la rédaction par le gouvernement d’un projet de loi relatif à l’organisation des Jeux 2030, lequel «dérégule à tous les niveaux», explique Delphine Larat. «Il a précisément pour objet de faire sauter les lourdeurs actuelles et de créer un régime entièrement dérogatoire», confirme Judith Sébert, juriste au sein du réseau France Nature Environnement en région Provence-Alpes-Côte d’Azur (FNE PACA). «Pour l’instant, les organisateurs sont en retard. Mais, s’il y a une dérogation pour tout, ça peut aller très vite», ajoute-t-elle.
Examiné une première fois par le Sénat en mai dernier, le projet de loi est arrivé cette semaine dans sa dernière ligne droite avec son examen par l’Assemblée nationale. Il a entre-temps fait partie des dossiers bloqués par la crise politique. Les député·es devraient finir d’examiner les 37 articles du projet de loi ce vendredi, et il n’y aura pas de seconde lecture, le gouvernement ayant engagé la procédure accélérée sur le texte. Le vote solennel est prévu le 6 janvier.
De la pub dans les sites naturels ?
Une bonne partie du texte s’attarde sur les dérogations au droit de l’urbanisme et de l’environnement. Pourtant, la carte des sites n’est toujours pas finalisée et certaines infrastructures risquent de concerner des écosystèmes de montagne réputés fragiles. Ainsi, les constructions et les aménagements temporaires sont tout bonnement «dispensés de toute formalité au titre du code de l’urbanisme et […] du code du patrimoine», prévoit l’article 13.

Quant aux constructions permanentes, elles bénéficieront automatiquement de la procédure réservée aux travaux présentant un caractère d’intérêt général. Celle-ci permet notamment de rendre les constructions légales en modifiant le contenu des documents d’urbanisme locaux (article 14).
L’article 18bis prévoit que «la consommation» d’espaces agricoles, naturels et forestiers occasionnée par la construction d’infrastructures liées aux JO (y compris les parkings et voies d’accès) ne sera pas décomptée dans les objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols. En clair, même si des milliers de mètres carrés sont bétonnés pour les Jeux, ils ne seront pas comptabilisés comme tels.
La ministre des sports, Marina Ferrari, a promis aux député·es que l’artificialisation n’excéderait pas 20 hectares. «On n’y croit pas une seule seconde», rétorque auprès de Vert Marie Pochon, députée écologiste de la Drôme, en région Auvergne-Rhône-Alpes (où se dérouleront une partie des Jeux).
Absence de consultation citoyenne : l’ONU demande des comptes à l’État
Malgré l’ampleur du projet, la tenue des JO 2030 n’a jamais fait l’objet d’une consultation du public. Une carence démocratique qui a conduit le Collectif citoyen JOP 2030 et plusieurs associations environnementales à saisir le comité des Nations unies en charge du respect de la Convention d’Aarhus.
Celle-ci garantit justement que les décisions ayant un impact environnemental soient débattues publiquement et justifiées. Entendues le 18 novembre à Genève (Suisse), les associations ont vu leur recours jugé recevable. L’État français a jusqu’à fin avril pour prouver qu’il a bien organisé une mesure d’information et de participation du public sur l’ensemble du projet JOP 2030.
Enfin, l’article 3 prévoit que les organisateurs des JO et leurs «partenaires marketing» puissent déroger aux interdictions et limitations en matière d’enseignes publicitaires. Ces interdictions visent notamment à épargner de publicité les monuments naturels et sites classés, les parcs nationaux et réserves naturelles, ou tout simplement les arbres.
Un milliard d’euros de déficit, financé par le contribuable ?
Le texte comprend également un volet fiscal et financier. L’article 1 prévoit par exemple que les organisateurs des Jeux (le CIO et le Comité d’organisation des Jeux) soient presque totalement exonérés de taxes. Le CIO exige en outre que la France garantisse financièrement les olympiades. En mars 2025, l’État a ainsi débloqué une enveloppe de plus de 360 millions d’euros pour financer la préparation.

Un article du projet de loi de finances pour 2026 (qui n’a pas encore été adopté) prévoit que l’État et les régions Auvergne-Rhône-Alpes et PACA se porteront garants en cas d’annulation ou de déficit des JO à hauteur de 515 millions d’euros chacun (soit 1,03 milliard d’euros en tout). L’Inspection générale des finances a déjà alerté sur un «budget du COJOP Alpes 2030 qui s’annonce lourdement déficitaire», évaluant le déficit à couvrir par les collectivités publiques «entre 850 et 900 millions d’euros».
Surveillance algorithmique, le retour
Enfin, la loi ouvre la voie à plusieurs dérogations en matière sécuritaire. Les député·es ont notamment adopté la reprise, à partir de 2027, de l’expérimentation d’un dispositif de vidéosurveillance algorithmique (VSA), déjà testé lors des JO de Paris en 2024. Concrètement, une analyse des images réalisée par un algorithme est censée détecter certains comportements dangereux ou suspects. Le groupe La France insoumise a dénoncé un «instrument de surveillance totale», en vain.