On vous explique

La filiale d’un géant français de la banane épinglée pour des atteintes aux droits humains et à l’environnement au Cameroun

Dans ce pays d’Afrique centrale et occidentale, les pratiques présumées de PHP, filiale du groupe Compagnie fruitière, sont dénoncées par quatre ONG : droits du travail bafoués, personnels et riverain·es intoxiqué·es… Le tout dans un contexte de corruption généralisée. Les organisations ont mis en demeure la multinationale pour manquement à son devoir de vigilance.
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La Compagnie fruitière, géant français de la production de fruits et légumes, est pointée du doigt. Sa filiale camerounaise PHP est accusée de graves atteintes au droit du travail, à l’environnement et à la santé des salarié·es et des populations voisines de ses plantations. Ces noms ne vous disent rien ? Pas étonnant, pour Chloé Rousset, de l’association de solidarité internationale ActionAid France : «En France, la Compagnie fruitière, ça ne parle à personne. Mais, au Cameroun, la PHP est une institution !»

Fondée en 1938 durant la période coloniale, la discrète multinationale, dont le siège est basé à Marseille (Bouches-du-Rhône), se revendique comme le numéro un de la distribution de fruits en Europe et la première entreprise productrice en Afrique. Avec un produit phare, la banane : 800 000 tonnes sont mises sur le marché chaque année.

Le siège de la Compagnie fruitière, à Marseille. © Capture d’écran Google street view

On ne s’étonnera donc pas qu’au Cameroun, l’un des plus gros pays producteurs du célèbre fruit jaune sur le continent, la Compagnie fruitière pèse lourd : près de 80% des exportations annuelles de bananes y sont réalisées par ses deux filiales locales, la toute jeune CDBM et surtout la PHP, pour Plantations du Haut-Penja, société leader du marché camerounais. Cette dernière emploie sur place quelque 6 000 personnes, ce qui en fait le premier employeur privé du pays.

Une réussite éclatante donc, mais à quel prix ? Quatre ONG – ActionAid France, Intérêt à agir, le secrétariat international de Transparency International (TI) et la section camerounaise de TI – ont dénoncé les agissements présumés de PHP : le 9 décembre, les quatre organisations ont mis en demeure la Compagnie fruitière pour «manquement à son devoir de vigilance sur les risques de violation des droits humains et les atteintes à l’environnement résultant de l’activité de sa filiale camerounaise», selon leur communiqué de presse commun.

Des accusations de longue date

La Compagnie fruitière et sa principale filiale camerounaise sont depuis longtemps dans le collimateur d’organisations de défense de l’environnement et des droits humains. En 2009 déjà, Oxfam France et le CCFD-Terre Solidaire portaient de lourdes accusations contre les pratiques supposées de PHP dans sa principale zone de production, les localités de Njombe-Penja et de Loum, situées dans l’ouest du pays : épandage de pesticides sans considération pour la santé des travailleur·ses et des riverain·es, salaires de misère, expropriations abusives…

Puis, en 2014, TI Cameroun publiait un rapport entièrement consacré à la société bananière, dénonçant une «multiplication d’actes de violation des droits de l’Homme». Plus de dix ans plus tard, la situation ne semble pas s’être améliorée. «Nous ne sommes pas des va-t-en-guerre, tient à préciser le président de TI Cameroun, l’avocat Henri Njoh Manga Bell, joint par téléphone. Mais lorsqu’il y a des dysfonctionnements qui se répètent, notre mission est de les dénoncer !»

Le «silence radio» de la PHP

Les ONG s’appuient sur plusieurs enquêtes de terrain, dont une dernière réalisée en septembre, qui décrivent une situation alarmante. Du côté des salarié·es de la société pour commencer : multiplication illégale des contrats courts, journées de travail interminables (de 12 à 15 heures), salaires insuffisants (90 euros pour 240 heures de travail mensuel pour un ouvrier spécialisé avec huit ans d’ancienneté), licenciements abusifs… Mais aussi l’exposition, sans mesures de protection dignes de ce nom, à des pesticides et autres produits hautement toxiques, dont certains interdits en Europe. Des produits dangereux qui empoisonnent aussi les populations locales via des épandages aériens ou le déversement dans les villages d’eaux usées non traitées, selon les ONG.

Image d’illustration. Un travailleur dans une bananeraie au Cameroun. © Jan Nimmo/Flickr

«Nous avons sollicité localement PHP à plusieurs reprises pour les inciter à se conformer aux réglementations locales et internationales, explique Njoh Manga Bell. Malheureusement, on a été confronté au silence radio de leur part. C’est ce qui nous contraint à nous retourner vers la maison mère, profitant en cela de ce que la législation française, avec la loi sur le devoir de vigilance, permet d’avoir une action plus efficiente dans ce genre de démarche qu’au Cameroun.»

Adoptée en 2017, cette loi impose aux multinationales basées en France d’identifier les risques et de prévenir les violations des droits humains qui résultent des activités de leurs filiales, et ce partout dans le monde. Des obligations transposées dans le droit européen en 2024, mais remises en cause avant même leur application par la directive Omnibus, votée le 13 novembre par le Parlement européen.

«Pas grand-chose n’a été fait»

La Compagnie fruitière a pourtant tenté de répondre aux critiques passées, dévoilant même en 2025 un tout nouveau plan de vigilance. Très insuffisant, selon le président de TI Cameroun : «Ce plan n’est pas une mauvaise chose, mais il est trop générique et son application sur le terrain pose problème. Il faudrait que la Compagnie fruitière songe de temps à autre à se rendre sur les sites pour s’assurer que toutes les mesures qui sont préconisées sont effectivement mises en œuvre. Nous considérons que pas grand-chose n’a été fait.»

La Compagnie fruitière a aussi multiplié ces dernières années partenariats et certifications censés garantir une action irréprochable dans tous les domaines : Fairtrade, WWF, Rainforest Alliance, Ecovadis… «Il est vrai que l’entreprise a mis en place une politique de verdissement de ses actions, notamment via des partenariats, reconnaît Chloé Rousset. Pour autant, on observe qu’il y a un écart entre les effets d’affiche et la réalité sur le terrain. Cela pose, entre autres, la question de la manière dont se tiennent les audits. Par exemple, la plupart des audits réalisés par Fairtrade sont prévus en avance. Ce que nous ont raconté les personnes sur place, c’est que tout est organisé pour qu’il y ait le moins de problèmes possibles qui apparaissent.»

«Un énorme sentiment d’impuissance chez les gens»

Les ONG somment également la Compagnie fruitière de prendre des mesures contre la corruption, une première dans le cadre de la loi sur le devoir de vigilance des entreprises. Il faut dire que le phénomène est omniprésent au Cameroun : dans l’indice de perception de la corruption publié par TI, le pays obtenait en 2024 la note de 26 sur 100, se classant 140ème sur 180. «Cela crée un énorme sentiment d’impuissance chez les gens, relate Chloé Rousset. En cas de souci, ils n’ont même pas idée d’aller faire appel aux maires, aux juges ou à l’inspection du travail parce qu’ils savent très bien que s’ils n’ont pas d’argent, ça ne sert à rien ! Cela favorise un climat d’impunité très, très fort.» Et d’ajouter : «La loi sur le devoir de vigilance oblige les grandes entreprises à cartographier tous les risques qui peuvent survenir dans leur filière. Or, la corruption en fait partie de manière intrinsèque.»

Sollicitée par Vert, la Compagnie fruitière indique que la mise en demeure ne lui est pas encore parvenue, mais elle réfute en bloc les accusations rapportées par les médias : un «tissu d’allégations non démontrées, fondées sur des témoignages invérifiables», selon le groupe, qui assure que lui et ses filiales «opèrent dans le cadre des réglementations en vigueur, qu’il s’agisse des pratiques agricoles ou des politiques sociales».

«Nous espérons que la Compagnie fruitière va réagir au-delà de ces simples communiqués», confie Henri Njoh Manga Bell. Si elle ne le fait pas ou si ses réponses ne sont pas jugées convaincantes, les quatre ONG entendent saisir les tribunaux. L’avocat avertit : «Nous avons documenté suffisamment notre enquête, de manière à pouvoir passer à l’étape au-dessus.»

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