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«Une faillite morale absolue» : le Parlement européen vote la loi Omnibus et acte plusieurs reculs sociaux et environnementaux

Prendre l’omnibus. Ce jeudi, le Parlement européen a voté la directive Omnibus, qui vise à «simplifier» plusieurs mesures du Pacte vert européen de 2021. Ce texte assouplit notamment les obligations des entreprises en matière de devoir de vigilance et de transparence, au risque de freiner la transition écologique.
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Ce qu’il faut retenir :

→ Ce jeudi, le Parlement européen a adopté par 382 voix contre 249 le paquet législatif dit «Omnibus I».

Cette directive vise à «simplifier» plusieurs mesures du Pacte vert européen mais, en réalité, elle le vide de sa substance, dénoncent les associations écologistes.

Parmi les textes affaiblis, il y a la directive sur le devoir de vigilance. Cette loi européenne oblige les grandes entreprises à prévenir les atteintes aux droits humains et à l’environnement sur toute leur chaîne de production (y compris chez leurs sous-traitants).

→ Les eurodéputé·es ont également acté la suppression de l’obligation pour les entreprises de mettre en œuvre des plans de transition climatique d’ici à 2050.

Le Green deal européen, ce très ambitieux plan de transition écologique adopté par l’Union européenne en 2021, vacille. Ce jeudi, le Parlement européen a adopté par 382 voix contre 249 le paquet législatif dit «Omnibus I», grâce à une alliance de la droite et de l’extrême droite. Présenté en février dernier par le commissaire européen Stéphane Séjourné et officiellement conçu pour «simplifier» certaines mesures du Green deal (ou Pacte vert, en français), il le vide en réalité de sa substance.

Parmi les textes du Pacte vert ainsi affaiblis, il y a la directive sur le devoir de vigilance. Cette loi européenne oblige les grandes entreprises à prévenir les atteintes aux droits humains et à l’environnement sur toute leur chaîne de production (y compris chez leurs sous-traitants). Elle doit prendre effet dans quelques mois, après avoir été adoptée en 2024.

Le commissaire européen Stéphane Séjourné en 2022. © Wikimedia

Concrètement, le texte adopté par le Parlement ce jeudi réduit drastiquement son champ d’application. Cette loi devait imposer aux entreprises de plus de 1 000 salarié·es qui réalisent un chiffre d’affaires mondial supérieur à 450 millions d’euros de prévenir les violations graves des droits humains et les dégâts environnementaux – travail forcé, exploitation des enfants, érosion de la biodiversité, pollution, destruction du patrimoine naturel – sur l’ensemble de leur chaîne de valeur.

Avec cette révision, seules les entreprises de plus de 5 000 employé·es et plus d’1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires annuels seront concernées. «Globalement, on augmente la maille du filet», résumait il y a quelques semaines Dominique Potier, député socialiste français et rapporteur de la loi française sur le devoir de vigilance.

Un texte «vidé de sa substance»

Surtout, les eurodéputé·es ont aussi supprimé le régime de responsabilité civile européenne – ce cadre juridique qui devait initialement permettre aux victimes d’attaquer les entreprises en justice en cas d’atteinte aux droits humains ou à leur environnement. Désormais, le choix d’appliquer ou non ce cadre dépendra de la seule volonté des États européens. «Si la notion de responsabilité civile devient facultative, on peut dire que c’est la fin du devoir de vigilance», estimait encore Dominique Potier.

Autre texte largement démantelé : la Corporate sustainability reporting directive (CSRD), cette loi européenne qui impose aux entreprises de publier chaque année des rapports sur leurs impacts sociaux et environnementaux. De la même manière, son seuil d’application a été rehaussé pour ne s’appliquer qu’aux entreprises de plus de 1 750 salarié·es et 450 millions d’euros de chiffre d’affaires – celles de plus de 250 salarié·es étaient concernées auparavant.

Surtout, les député·es ont décidé de supprimer l’obligation pour les entreprises de mettre en œuvre un plan de transition climatique et de se conformer aux obligations imposées aux États dans le cadre de l’Accord de Paris. «En clair : les multinationales les plus polluantes – dont évidemment TotalEnergies, mais aussi Shell, Exxon ou encore Amazon et Shein – pourront tout simplement se soustraire à quelconque obligation climatique», a réagi l’eurodéputée écologiste Marie Toussaint ce jeudi.

La directive Omnibus bénéficiait d’ailleurs du soutien de Patrick Pouyanné, président-directeur général de TotalEnergies, et de celui de Roland Busch, président de Siemens AG. Début octobre, ces deux patrons, au nom de 46 grandes entreprises, avaient appelé le président français Emmanuel Macron à soutenir cette directive qui, selon eux, permettrait de «réduire la régulation excessive» et «la bureaucratie».

«Sauver nos entreprises de l’asphyxie normative»

Pour les organisations environnementales, le Green deal est désormais «vidé de sa substance». «En supprimant le régime de responsabilité civile européen, les droites permettent aux multinationales d’échapper aux poursuites en justice, laissant les victimes à l’abandon, sans réparation», poursuit Marie Toussaint, faisant référence au devoir de vigilance.

Le processus «déraille complètement», fustige Swann Bommier, de l’ONG Bloom : «Cette alliance de la droite et de l’extrême droite ouvre l’Union européenne aux pires vents de la mondialisation et permettra à TotalEnergies, ExxonMobil, Shein, Zara et consorts d’opérer en toute impunité.» Il rappelle le scandale du Rana Plaza, cet immeuble où étaient fabriqués des vêtements de marques occidentales et qui s’est effondré en 2013, faisant plusieurs milliers de victimes. «Pour tous les défenseurs des droits humains et de l’environnement, ce vote, en pleine COP30, constitue une faillite morale absolue», tance Swann Bommier.

De son côté, la droite se félicite. Cette simplification permet de «sauver nos entreprises de l’asphyxie normative», revendique l’eurodéputé de droite François-Xavier Bellamy. Le groupe des Patriotes, présidé par le leader du Rassemblement national Jordan Bardella, abonde : «Nous avons prouvé qu’une autre majorité – et une autre politique pour l’Europe – est possible». Et d’assurer : «Ce n’est qu’un début».

Les discussions ont été très difficiles entre les député·es du centre et les sociaux-démocrates. Mercredi soir, ces groupes dits «proeuropéens» avaient renoncé à trouver un compromis, laissant la porte ouverte à la droite et à l’extrême droite. Une alliance jusqu’ici très rare à l’échelon européen.

Après ce vote, les négociations vont s’engager avec les États membres, en vue d’une adoption définitive de la directive.

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