Reportage

«Une catastrophe environnementale» : dans les Landes, le projet franco-espagnol de ligne à très haute tension met le feu aux poudres

Landes de bois. Présenté par l’État comme «essentiel» à la transition énergétique, le projet d’interconnexion électrique entre la France et l’Espagne se heurte à la colère d’habitant·es des Landes. La situation est tendue entre RTE, à l’initiative du chantier, et Stop THT 40, un collectif local qui y est opposé. Vert s’est rendu sur place.
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Mardi 14 octobre, à Capbreton (Landes). Agacé par leur présence, un ouvrier photographie les plaques d’immatriculation de deux voitures stationnées près du chantier de l’interconnexion électrique France-Espagne, porté par RTE (Réseau de transport d’électricité). Dans cette commune en bordure de l’océan Atlantique, la confrontation entre le géant du transport électrique français et les militant·es du collectif environnemental local Stop THT 40 prend des airs de bras de fer.

Des membres de Stop THT 40 près du chantier de RTE à Soorts-Hossegor (Landes). © Clément Gousseau/Vert

C’est ici, entre dunes et forêts, qu’est en train d’être installée une ligne à très haute tension, destinée à relier les infrastructures énergétiques espagnoles et françaises via un tracé majoritairement sous-marin. Déclarée d’«utilité publique» par le ministère de la transition énergétique, l’interconnexion doit, selon RTE, «doubler les capacités d’échange entre les deux pays», sans qu’une date précise ne soit annoncée. La mise en service devrait toutefois intervenir en «2028». Montant total du projet, mené conjointement avec Red Eléctrica, l’équivalent espagnol de RTE : 3,1 milliards d’euros, d’après l’enquête publique réalisée en 2023.

Pour les membres de Stop THT 40, un «écocide» est en marche, avec des «conséquences environnementales majeures». Un terme que rejette fermement Jérôme Rieu, délégué régional Sud-Ouest de RTE. «C’est totalement excessif. RTE est un aménageur durable et responsable», assure-t-il à Vert.

Le sujet est épineux. Contacté, Gilles Clavreul, le préfet des Landes, n’a pas voulu répondre à nos questions.

Aux origines du conflit, un passage maritime impossible

Le projet franco-espagnol d’interconnexion électrique doit relier Cubnezais (près de Bordeaux) à Gatika (près de Bilbao, en Espagne). À l’origine, et à l’exception des deux tronçons d’arrivée et de sortie, il devait être exclusivement sous-marin.

Carte du tracé de la ligne à très haute tension. © RTE

Il y a un hic. RTE, gestionnaire du chantier, a dû revoir ses plans devant l’impossibilité de traverser le gouf de Capbreton, un canyon sous-marin. «C’est un canyon actif, qui subit en moyenne une avalanche sous-marine par an», explique un chercheur spécialiste du suivi morphologique du canyon. Il a requis l’anonymat, par peur des répercussions de cet article sur ses relations à Capbreton.

«Il a été démontré, sans surprise, qu’il était impossible de faire passer des câbles de ligne à haute tension à cet endroit, en raison de la mouvance du fond du canyon», poursuit cette même source.

À terme, des câbles passeront sous la forêt, comme ici, à proximité d’un supermarché de Soorts-Hossegor (Landes). © Clément Gousseau/Vert

Une situation qui a forcé RTE à contourner le gouf par voie terrestre, entre Seignosse (Landes) et Capbreton. Le tracé, qui parcourt cinq communes, a suscité l’ire du collectif environnemental Stop THT 40. Plus globalement, l’enquête publique, menée en 2023, démontre une forte opposition à ce projet. 260 avis défavorables ont été émis, contre deux avis favorables et 10 neutres.

Un contournement terrestre controversé

Le contournement terrestre, long de 27 kilomètres entre Seignosse et Capbreton, implique plusieurs forages souterrains et la création de chambres de jonctions (des ouvrages en béton permettant de tirer et d’assembler plusieurs tronçons de câbles). À terme, des câbles de lignes à haute tension passeront sous les dunes, forêts, et pistes cyclables, à «15 mètres au moins des habitations», selon RTE.

«Les incidences environnementales du projet [sont] minimes par rapport à la longueur du tracé, [et] font l’objet de mesures de réduction et de compensation», affirme Jérôme Rieu, le délégué régional Sud-Ouest de RTE.

Le 22 août 2022, le Conseil national de la protection de la nature (CNPN) a pourtant émis un avis défavorable au projet d’interconnexion électrique, soulignant notamment «une sous-évaluation globale des enjeux, des impacts bruts et des impacts résiduels en milieu terrestre» et «des mesures de réduction et de compensation très insuffisantes, qui ne permettent pas de répondre à l’objectif d’absence de perte nette de biodiversité.»

Cette instance d’expertise scientifique et technique de l’État pointe du doigt un «impact écologique fort [des travaux terrestres] avec une destruction d’habitats naturels et semi-naturels, une destruction d’individus, une altération biochimique des milieux et une détérioration des continuités écologiques pour un grand nombre d’espèces.»

Une affiche installée par le collectif Stop THT 40 à proximité du chantier, à Capbreton (Landes). © Clément Gousseau/Vert

C’est sur cette décision que s’appuie le collectif Stop THT 40 pour dénoncer «une catastrophe environnementale» dans les Landes. Constat d’huissier à l’appui, que Vert a pu consulter, les militant·es dénoncent des «défrichages non autorisés» sur certaines passerelles. Pourtant, «un avis favorable conforme» a été émis par le ministère de la transition écologique, rappelle RTE, et toutes les autorisations relatives au projet ont été signées.

Pourquoi l’avis du CNPN n’a-t-il pas été suivi ? Impossible de le savoir : la préfecture des Landes a refusé de répondre à nos questions, tandis que le ministère reconnaît être «incapable d’y répondre dans l’immédiat».

Une alternative «moins destructrice»… non étudiée par RTE

Une alternative était-elle possible ? Oui, selon le Conseil national de la protection de la nature, qui fait part dans son avis d’«une incompréhension vis-à-vis du tracé, qui ne répond pas à l’absence de solutions alternatives satisfaisantes.»

Selon le collectif Stop THT 40, un tracé «moins destructeur pour l’environnement» est envisageable, en longeant les axes autoroutiers et ferroviaires existants. «Ils ne veulent pas en entendre parler», s’insurge Marie Darzacq, l’une des militantes.

«Cela aurait été un tout autre projet», répond Jérôme Rieu, pour RTE, évoquant «un défi technique». Une justification qui ne convainc pas le collectif. «Nous appelons RTE à suspendre les travaux et à étudier cette proposition», plaide Marie Darzacq.

Des inquiétudes sur la santé humaine

L’un des points de tension majeurs réside dans les conséquences potentielles des lignes à haute tension sur la santé humaine. «Aucune étude n’a été menée sur le sujet, pourquoi ?, s’interroge Leyla Labescat, secrétaire de l’association Landes Aquitaine Environnement, qui soutient juridiquement le collectif Stop THT 40. On ne veut pas être des cobayes.»

Marie Darzacq, à proximité du chantier. © Clément Gousseau/Vert

Sans expliquer pourquoi aucune étude n’a été lancée à ce sujet, RTE indique que «le projet ne présente aucun risque sanitaire pour les populations». Le géant français du transport d’électricité précise que «le champ magnétique statique émis par ces lignes est extrêmement faible, identique au champ magnétique naturel terrestre auquel nous sommes tous naturellement exposés».

Invités à réagir, les services de l’État n’ont pas répondu à nos questions.

Des travaux jusqu’en 2027

L’interconnexion électrique franco-espagnole devrait entrer en phase de test en 2028, selon RTE, après les différentes phases de travaux, terrestres et sous-marins.

D’ici là, le collectif Stop THT 40 espère faire cesser le chantier. En 2024, une lettre ouverte a été adressée au premier ministre d’alors, François Bayrou, pour demander un «moratoire» (un accord sur la suspension d’une activité) sur le projet. Les militant·es comptent désormais sur la nouvelle ministre de la transition écologique, Monique Barbut, pour accéder à leur demande. En outre, un recours contre les travaux, à l’initiative de l’association Landes Aquitaine Environnement, a été porté devant le Conseil d’État.

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