Décryptage

«Un cadeau fait aux énergies fossiles» : l’UE sur le point de maintenir les avantages fiscaux de l’aviation et du secteur maritime

Taxer les niches. Ce jeudi à Bruxelles, les ministres des finances européen·nes doivent se mettre d’accord sur un texte qui pourrait pérenniser les avantages fiscaux de l’aviation et du maritime, deux secteurs parmi les plus polluants. Une perspective qui fait bondir les ONG environnementales.
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Ce qu’il faut retenir :

→ Les ministres des finances des 27 pays membres de l’Union européenne se réunissent ce jeudi à Bruxelles dans le cadre d’une réunion du Conseil de l’Union européenne.

→ Elles et ils vont trancher sur un projet de révision d’une directive de 2003 qui encadre les taxes sur toutes les énergies à l’échelle européenne : l’Energy taxation directive, ou «ETD».

→ Le projet de révision, tel qu’il a été publié il y a quelques jours sur le site du Conseil de l’UE, prévoit de reconduire pendant 10 ans encore les exonérations de taxes dont ont toujours bénéficié les secteurs de l’aviation et du transport maritime.

Si le train coûte encore plus cher que l’avion aujourd’hui, c’est en partie à cause… d’une loi européenne. Plus précisément, la directive sur la taxation de l’énergie (Energy taxation directive, ou «ETD»). Ce texte, en vigueur depuis 2003, fixe des niveaux minimums de taxation pour les produits énergétiques – carburants, combustibles et électricité –, et en exempte totalement le kérosène (le carburant des avions) à l’échelle européenne.

Plus de 20 ans après son adoption, l’heure de la révision a peut-être sonné. Ce jeudi, les ministres des finances des Vingt-Sept se réunissent à Bruxelles (Belgique) dans le cadre du Conseil de l’Union européenne. L’objectif : mettre cette vieille directive «en conformité avec les politiques actuelles de l’UE en matière d’énergie et de climat», promet le projet de révision.

«Taxer l’aviation et le transport maritime permettrait d’augmenter les prix des billets de trajets les plus polluants, et de pousser les gens à choisir des modes de transport plus propres.» © Adobe stock

Une bonne nouvelle, pourrait-on penser. Sauf que le compromis actuellement sur la table, porté par la présidence danoise du Conseil et soutenu notamment par l’Allemagne, risque au contraire de prolonger pendant une décennie les avantages fiscaux dont bénéficient des secteurs polluants, notamment l’aviation.

Les objectifs climatiques menacés

Dans le détail, le projet de compromis tel qu’il sera discuté ce jeudi réorganise la hiérarchie des taxes en fonction des secteurs. S’il est adopté, les produits fossiles – essence, diesel, charbon et gaz – se verront progressivement soumis à une imposition plus lourde. Là où, à l’inverse, les énergies renouvelables et bas carbone, telles que les biocarburants avancés (produits à partir de déchets), l’hydrogène ou l’électricité «verte», bénéficieront d’un régime préférentiel avec des taux réduits ou nuls, afin d’encourager leur usage. Il s’agit de garantir que «la taxation des carburants, des combustibles de chauffage et de l’électricité reflète mieux l’impact de ces produits sur l’environnement et la santé», indique le texte.

Mais il ménage encore certaines filières, et c’est là que le bât blesse. Si ce compromis est adopté, les États devront continuer à «exonérer d’impôt» les carburants pour les vols et le commerce maritime. «S’il était adopté, cela constituerait l’un des plus grands cadeaux aux combustibles fossiles en Europe», dénonce l’association Bloom. Sa fondatrice, Claire Nouvian, prévient : «Si cette directive est adoptée, alors on accepte l’idée de ne jamais atteindre nos objectifs climatiques.»

La Commission prévoit tout de même de réévaluer la question de l’exonération en 2035, lorsque des carburants durables seront plus largement disponibles. Mais cet horizon est bien lointain, selon les défenseur·ses du climat.

Un manque à gagner de 10,7 milliards d’euros, selon plusieurs ONG

Dans un courrier adressé le 18 octobre au représentant permanent hongrois Bálint Ódor et au commissaire désigné au climat, le Néerlandais Wopke Hoekstra, plusieurs associations alertent sur le risque de distorsion de concurrence que cette directive représente, notamment vis-à-vis du rail. Aujourd’hui, le transport ferroviaire est en moyenne deux fois plus cher que le transport aérien en Europe (notre article) – un écart largement dû à l’absence de taxe sur le kérosène.

Les ONG pointent également le coût budgétaire de ces exonérations. Pour la seule année 2022, leur absence a représenté un manque à gagner de 10,7 milliards d’euros pour les États membres, selon leurs estimations. «Avec cet argent, on pourrait financer des nouvelles technologies plus propres, accélérer l’électrification de la route. Mais aussi soutenir le développement de carburants de synthèse, plus durables !», insiste auprès de Vert Jérome du Boucher, spécialiste des enjeux liés au secteur de l’aviation au sein de l’ONG Transport & Environment.

Il y a aussi la question de l’équité. «Il devient socialement intenable que les citoyens paient des taxes élevées sur le chauffage, les trajets en train ou le carburant de leur voiture, alors que les vols pris par les hommes d’affaires à destination de New York ou par les touristes à destination de Dubaï restent non taxés», dénoncent encore les ONG dans le courrier. Jérôme du Boucher renchérit : «Taxer l’aviation et le transport maritime permettrait d’augmenter les prix des billets de trajets les plus polluants, et de pousser les gens à choisir des modes de transport plus propres.»

La France émet des réserves

Ce projet de réviser la directive sur la taxation de l’énergie n’est pas nouveau. Cet objectif fait même partie du Green deal – cet accord européen très ambitieux pour l’écologie qu’a voté l’UE en 2021. Et plus précisément du paquet «Fit for 55» : un ensemble de mesures législatives destinées à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 55% d’ici à 2030. Depuis quatre ans, régulièrement, l’Europe se repenche dessus. Mais chaque tentative s’est soldée par un échec. «Car, ce qu’il faut savoir, c’est que cet accord doit être trouvé à l’unanimité des États !», explique Jérôme du Boucher.

Alors, à quoi peut-on s’attendre ce jeudi ? Selon l’ONG Bloom, pour l’heure huit États soutiennent aujourd’hui la proposition danoise : l’Allemagne, la Suède, la Lituanie, l’Irlande, le Portugal, l’Estonie, la Slovénie et la Roumanie. Quatre pays, dont la République tchèque et la Pologne, ont exprimé leurs préoccupations. Tandis que 13 autres, dont la France, l’Espagne ou l’Italie, ont émis des réserves.

Ce jeudi, les Vingt-Sept devront soit adopter le compromis, soit le rejeter. En cas de rejet, deux options s’ouvriront : la reprise des négociations ou le retrait pur et simple du texte par la Commission.

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