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Un arrêté de protection des abeilles sème la zizanie entre les arboriculteurs et la police de l’environnement

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Phy­tosani-guerre. Des pro­duc­teurs de fruits dénon­cent des con­trôles «abusifs» de leur usage de pes­ti­cides par l’Office français de la bio­di­ver­sité (OFB), pour­tant accusé par d’autres de lax­isme sur l’application des normes. Une sit­u­a­tion emblé­ma­tique des crispa­tions gran­dis­santes autour des pro­duits phy­tosan­i­taires.

«On ne peut plus con­tin­uer avec des juges et des agents de l’OFB qui con­sid­èrent d’emblée qu’on est des méchants et qu’on va bousiller la planète», s’insurge Françoise Roch, représen­tante de la Fédéra­tion nationale des pro­duc­teurs de fruits. Le mois dernier, l’organisation pro­fes­sion­nelle a cri­tiqué le manque de for­ma­tion des agent·es de l’État et a demandé un mora­toire sur les con­trôles menés pen­dant la péri­ode de flo­rai­son.

En cause, un nou­v­el arrêté «abeilles», paru en novem­bre 2021. Celui-ci con­traint les arboriculteur·ices à utilis­er leurs pro­duits entre trois heures après le couch­er du soleil et deux heures avant son lever, afin de pro­téger les pollinisa­teurs. Cette nou­velle lég­is­la­tion étend égale­ment le droit d’inspection de l’OFB sur les pes­ti­cides inter­dits. «On a eu des con­trôles où ils arrivaient agres­sifs, armés et font arrêter tout le tra­vail d’un seul coup», relate Françoise Roch.

Pour l’Office français de la bio­di­ver­sité, ces plaintes sont le reflet d’une mau­vaise com­préhen­sion des com­pé­tences de police des agent·es. «Les agricul­teurs ont l’habitude d’être prévenus lors des con­trôles admin­is­trat­ifs», défend Char­lotte Crépon, direc­trice de la police au sein de l’établissement pub­lic — ce que ne fait pas l’OFB lors de ces con­trôles. Quant aux armes portées par les agent·es, elles ne doivent servir qu’en cas de légitime défense, pré­cise-t-elle. Enfin, sur la for­ma­tion, elle assure que tous les agent·es sont suff­isam­ment au fait des pra­tiques et régle­men­ta­tions en vigueur.

L’allègement des contrôles de l’OFB critiqué

Pour trou­ver un com­pro­mis, la représen­tante de l’OFB promet une plus grande «prise en compte du con­texte des arboricul­teurs et de com­pren­dre les éventuelles con­traintes». Une note de ser­vice interne à l’établissement du 20 avril, que Le Monde a pu se pro­cur­er, sem­ble aller dans ce sens. Elle sug­gère de dimin­uer les con­trôles en fla­grance auprès des producteur·ices de fruits, pour­tant les plus com­muns, pour véri­fi­er le respect de la régle­men­ta­tion et insiste sur une cam­pagne de «sen­si­bil­i­sa­tion-con­trôles». «La note ne dit pas que nous ne con­trôlons pas, mais parce que la lég­is­la­tion est plus com­plexe, on souhaite don­ner le temps», pré­cise Char­lotte Crépon.

Alors que le min­istre de la jus­tice demandait en 2022 qu’une atten­tion par­ti­c­ulière soit portée aux infrac­tions liées à la bio­di­ver­sité, la jus­ti­fi­ca­tion de l’OFB ne passe pas auprès des juristes spé­cial­isés. «En fonc­tion de la ten­dance du moment, si on est un arboricul­teur, on va être tran­quille, mais si on fait des céréales, on peut avoir une vis­ite de l’OFB. C’est grave, on n’a pas la même appli­ca­tion du droit pénal pour tout le monde», explique Noémie Pierre, avo­cate en droit de l’en­vi­ron­nement au cab­i­net Kaizen. Dénonçant une «instruc­tion man­i­feste­ment illé­gale», les asso­ci­a­tions France Nature Envi­ron­nement et Généra­tions Futures annon­cent dépos­er un recours devant la jus­tice admin­is­tra­tive «pour faire garan­tir le respect des mesures de bon sens prévues par la loi pour la pro­tec­tion des pollinisa­teurs».

La pression monte dans le monde agricole

«Je trou­ve étrange que depuis le 21 novem­bre 2021 [et la pub­li­ca­tion du décret sur les pollinisa­teurs] on en soit encore à la sen­si­bil­i­sa­tion», ajoute Dori­an Guinard, maître de con­férences en droit pub­lic à l’U­ni­ver­sité Greno­ble Alpes. Pour le juriste, ce cas sym­bol­ise la grande «crispa­tion entre les util­isa­teurs de pro­duits phy­tosan­i­taires et ceux qui prô­nent une meilleure util­i­sa­tion».

Du côté des arboriculteur·ices, on se sent égale­ment coincé·e entre les injonc­tions à se pass­er de pes­ti­cides et à pro­duire à bon prix. «J’ai essayé de pass­er au bio pour mes pommes, mais j’ai réduit mes ren­de­ments de 50% et je n’ai réus­si à les ven­dre qu’au prix du con­ven­tion­nel», regrette Françoise Roch qui a finale­ment fait machine arrière.

«L’encadrement se durcit pour pren­dre en compte les exi­gences envi­ron­nemen­tales et les évo­lu­tions de pra­tiques ne se font pas aux mêmes rythmes», syn­thé­tise Char­lotte Crépon, de l’OFB. En pre­mière ligne, les agent·es de l’environnement essuient de plus en plus de men­aces et pres­sions sur le ter­rain, comme l’illustre l’incendie d’un de leur bâti­ment à Brest après une man­i­fes­ta­tion de pêcheurs à la fin mars.