Face aux défis environnementaux, la planification écologique est devenue une nécessité structurelle. Planifier, c’est s’assurer que nous ne prenons pas de retard dans la réalisation de nos objectifs collectifs pour faire face aux conséquences du réchauffement climatique et du recul de la biodiversité.
Il est aussi crucial de reconnaître et soutenir les acteurs audacieux qui s’engagent pour prendre de l’avance sur ces enjeux. Mais, comme on le constate trop souvent sur le terrain, sans obligation sur le plan industriel et commercial, aucune «mise à l’échelle» ne sera possible. C’est-à-dire passer d’une offre de niche à une offre de volume, organisée et conséquente, permettant aux entreprises de réduire les coûts, équilibrer leur modèle économique et rendre la consommation durable accessible à tous. Cela est vrai pour l’énergie, les nouveaux modèles de mobilité, l’alimentation et bien d’autres secteurs.
En France, il existe une filière qui n’en est plus à planifier, qui est en train de se construire et de se structurer pour atteindre ces objectifs : la filière du réemploi des emballages. Constituée de nombreux maillons permettant de collecter, trier, laver, conditionner et transporter les emballages réemployables, cette filière emploie près de 2000 personnes.
Côté produits, on peut déjà trouver près de 3000 références du quotidien – jus, sodas, eaux, vins, bière, cidre, lait, biscuits, céréales, thé, café, lessive, etc. – employant ce type de contenants dans plus de 500 magasins, sur des sites de commerce en ligne spécialisés ou dans les cafés, hôtels et restaurants. Le potentiel de création d’emplois supplémentaires est important.
En France, le déploiement de la filière pourrait permettre de créer plus de 10 000 emplois locaux directs d’ici 2040 sur le seul segment du réemploi des bouteilles de boissons, shampoings, gel douche et produits d’épiceries. Mais saura-t-on saisir cette opportunité ?
Après des années de travail au sein de la filière du réemploi des emballages et des mois d’installation et d’aménagement, l’entreprise Bout’ à Bout’ vient par exemple d’inaugurer le plus grand centre de lavage multi-contenants en verre de France. Un local de 2500 m2 à Carquefou avec une chaine automatisée pour laver, sécher, trier et ranger les bouteilles. 60 millions de contenants pourront être traités sur ce site chaque année permettant de répondre aux volumes croissants attendus dans la filière de réemploi sur des standards de qualité agroalimentaires.
D’autres entreprises pivotent. Celles qui ont compris que l’avenir de leur modèle passait par le changement. Ceux qui décident de mettre leur énergie à s’adapter plutôt qu’à soutenir un modèle du tout jetable condamné à disparaitre.
Mais ne nous y trompons pas, la jeunesse de ces entreprises et du secteur rend leur modèle fragile. Ainsi ces spécialistes du réemploi des emballages tournent souvent en sous-régime, quand ils ne stagnent pas au stade des expérimentations.
Car si ces acteurs spécialisés se sont organisés pour être prêts aux dates clés de la loi AGEC – depuis début 2023, la vaisselle jetable est interdite dans les établissements de restauration rapide servant plus de 20 couverts sur place ; au 31 décembre 2023, 5% minimum des emballages mis sur le marchés doivent être réemployés pour les entreprises réalisant plus de 20 millions d’euros de chiffres d’affaires – la grande majorité des entreprises n’ont pas joué le jeu.
Aujourd’hui, bon nombre de centres de lavage ne sont qu’à 30-50% de leur capacité. Et pour cause : en 2022, selon l’Ademe, seulement 0,15% des bouteilles de la consommation à domicile ont été réemployées. Du côté des fast-food, les start-up spécialisées dans le suivi et la gestion de vaisselles lavables peinent à trouver des clients à équiper, la plupart des restaurants concernés trainant des pieds. Des amendes et des rappels à la loi ont d’ailleurs été délivrés en avril 2023.
Pour que ces changements de modèle soient viables à long terme, il faut que l’ensemble du marché, des institutions et des citoyens évoluent de concert. Pour cela, des obligations sont nécessaires pour imposer le changement et tenir les engagements. La planification ne doit pas être un calendrier rempli de dates à oublier. Il faut, avant toute nouvelle expérimentation, se demander ce que nous avons fait des résultats des précédentes. Il faut enfin analyser, choisir et valider les modèles de mutation.
Par Célia Rennesson, directrice et cofondatrice du Réseau Vrac et Réemploi
Sources : Étude de la Fondation Ellen MacArthur sur l’économie circulaire à paraître le 22 novembre 2023 ; entretiens avec des professionnels du secteur.
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Image d’illustration : Lacey Williams / Unsplash