Tour en arrière ? La population de Teahupoo, à Tahiti, dénonce le projet d’une nouvelle tour d’arbitrage en aluminium pour l’épreuve de surf des Jeux olympiques de 2024, là où une tour en bois existe déjà. En cause, la construction de ses fondations qui détruirait l’écosystème corallien.
«Installer une tour de 14 mètres de hauteur sur 12 nouveaux plots en béton au milieu du lagon, ça ne se fera pas sans sacrifier le corail et sa biodiversité, dont vit la population locale. La tour doit être connectée à la terre par une canalisation de plusieurs centaines de mètres. Pour la poser, il faudra naviguer entre les coraux», explique Astrid Drollet, secrétaire de Vai Ara O Teahupoo, association locale à la tête du mouvement contre la nouvelle tour d’arbitrage, qui a lancé une pétition signée plus de 120 000 fois. La nouvelle tour prévue présente des caractéristiques similaires à celle, en bois, actuellement utilisée pour les compétitions annuelles de la World Surf League (WSL), mais elle nécessite la mise en place de nouvelles fondations et d’une canalisation.
Afin d’estimer et limiter l’impact sur l’écosystème, une note environnementale (la synthèse) a été réalisée par un bureau d’études à la demande du gouvernement polynésien. Elle établit une liste de zones sensibles sur le tracé de la canalisation et autour de la tour qui pourraient être affectées, avec une liste de recommandations pour éviter les dégradations écologiques.
Vai Ara O Teahupoo déplore qu’une étude d’impact, prévue par le Code de l’environnement pour des projets de plus grande envergure, n’ait pas été réalisée.
Un retour en arrière possible ?
Le 24 octobre, le président du comité d’organisation de Paris 2024, Tony Estanguet, a affirmé à la presse : «Le sujet de la tour des juges de Tahiti, c’est d’abord un sujet de sécurité. Si on est aujourd’hui avec un projet d’une nouvelle tour, c’est parce que la tour actuelle des juges n’est pas conforme, ne respecte pas la règlementation en matière de sécurité pour l’organisation d’une compétition de surf pour les Jeux Olympiques selon la règlementation de Polynésie française».
Astrid Drollet énumère à Vert les suggestions faites par son association au gouvernement polynésien et au comité d’organisation : «Nous avons proposé que la tour de bois soit utilisée en y apportant des améliorations ; de changer de spot de surf et aller à Papara – ce qui a été refusé ; puis d’installer la tour en aluminium à terre sur une pointe sablonneuse, ce qui a aussi été refusé, car estimé trop loin pour les juges.»
Alors que la tour en aluminium est déjà prête à être installée, un retour à la tour en bois n’est pourtant pas exclu. Le président polynésien Moetai Brotherson a affirmé au micro de l’Équipe le 30 octobre : «Je suis prêt à m’asseoir sur le fait que de l’argent a été dépensé pour cette nouvelle tour si on nous prouve que l’ancienne tour peut être plus conforme et donc utilisée par le Comité olympique». Il ajoute : «La question qui se pose est : “peut-on, avec le temps qui nous est imparti, rendre conforme cette tour ?” On connaîtra les résultats de la task force dans quelques jours».
Du côté du comité d’organisation des Jeux, Tony Estanguet affirmait la semaine dernière : «Ce projet est encore amendable pour faire en sorte de répondre encore mieux aux préoccupations – qu’on entend et partage – de la population locale».
La vague impactée ?
Selon l’association, le projet pourrait également modifier la vague mythique de Teahupoo. «Un possible impact sur la faille à l’origine de la vague nous a été dévoilé par le biais d’une affiche réalisée par l’Initiative française pour les récifs coraliens (Ifrecor) il y a quelques années, qu’on a découvert il y a un mois posée sur le mur de la mairie de Teahupoo. Elle dit : “Toute dégradation du récif peut perturber la formation de la vague”, raconte Astrid Drollet. Cette affiche a pour objectif de sensibiliser les visiteurs à la fragilité de la zone». Selon Agnès Bellet, représentante de l’Ifrecor Polynésie depuis 2020, «l’affiche en question a été réalisée dans les années 2000-2005».
Dans une étude géotechnique transmise aux associations, la question de la vague n’est pas étudiée. «En guise de réponse, le 16 octobre, ce document nous a été transmis, mais il ne répond en rien à notre inquiétude, car aucun organisme ne peut assurer qu’il n’y aura pas d’impact à court, moyen et long terme sur la vague», témoigne la secrétaire de Vai Ara O Teahupoo.
Agnès Bellet, qui n’a pas eu accès à l’étude dont provient cette phrase, affirme : «Une étude d’impact est en cours ; cette réponse sera certainement apportée».
Contacté par Vert, le gouvernement polynésien n’a pas répondu à nos questions.
Photo d’illustration : Teahupoo par Chris Hoare / Flickr en 2019.
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