L’océan est le garant de la vie sur Terre. Près de trois milliards d’humains en dépendent pour se nourrir, pour travailler, pour leur identité culturelle. L’océan est le chef d’orchestre des conditions d’habitabilité de la Terre et est notre premier allié contre la crise climatique : il a absorbé plus d’un tiers de nos émissions de dioxyde de carbone, et atténue le réchauffement climatique.
L’océan est en péril aujourd’hui. Plus d’un tiers des populations de poissons sont surpêchées, soit trois fois plus que dans les années 70. Aucun recoin de l’océan n’est à l’abri aujourd’hui des flottes de pêche industrielle, propulsées par des technologies de plus en plus performantes qui permettent de maintenir la quantité de poissons pêchés alors que les populations s’effondrent.
Ces derniers mois ont vu défiler des records de températures marines inouïes, notamment en Atlantique Nord où a sévi une canicule marine avec des températures 5 à 6 degrés plus élevées que les normales de saisons. Pourtant, pour notre espèce, l’océan représente avant tout un gigantesque puits de ressources à exploiter, et une énorme poubelle, pour nos déchets, nos pesticides ou encore nos émissions de gaz à effet de serre.
C’est un milieu peu connu, distant et lointain pour la plupart des Français. Un détachement qui rend invisible sa destruction, et compliquée la mobilisation autour de sa préservation. Pour citer le navigateur français Éric Tabarly : «La mer, c’est ce que les Français ont dans le dos quand ils sont sur la plage».
L’océan se trouve au cœur du fonctionnement de la planète, et maintient les conditions d’habitabilité de la Terre : en ce sens, sa protection est indispensable et relève de l’intérêt général de l’humanité et du vivant.
En tant que seconde puissance maritime mondiale, la France a une responsabilité majeure. Notre pays regroupe 10% de la surface mondiale des récifs coralliens ; il borde la Méditerranée, l’une des zones marines les plus diversifiées et menacées de la planète, abritant 11% de la biodiversité marine. Le gouvernement français n’est pas à la hauteur de cette responsabilité.
Dans un récent éditorial publié dans Nature, la communauté scientifique épingle l’hypocrisie de certaines nations – dont la France – qui s’autoproclament championnes de la défense de l’océan tout en le détruisant. Une hypocrisie d’autant plus affligeante qu’elle se cache derrière de grandes annonces, comme à Brest, en 2022, lors du One Ocean Summit. Ce 7 septembre, Olivier Véran, porte-parole du gouvernement, affirmait sur la matinale de France Inter que la France n’avait rien à se reprocher en matière de protection de l’océan, mettant en avant l’organisation de telles conférences.
La réalité est tout autre. Lors de ce One Ocean Summit, Emmanuel Macron annonçait fièrement que la France protégeait plus de 30% de ses eaux territoriales. Rappelons que les aires marines protégées (AMPs) constituent l’un des outils les plus efficaces pour protéger les zones océaniques : les plus strictes interdisent toute forme de pêche et permettent à la vie marine de se régénérer, tandis que les aires dites «partielles» protègent la pêche artisanale tout en interdisant les méthodes de pêche industrielle.
Sur le terrain, la politique française de protection de l’océan s’avère largement inefficace. En France, les aires marines protégées (AMPs) sont très inégalement réparties : 97% se situent dans les territoires d’outre-mer, avec un maigre 3% en France métropolitaine, où les pressions humaines sont pourtant plus importantes. Parmi ces AMPs, seulement 1,6% sont sous protection stricte. En Méditerranée, ce chiffre descend à 0,1%, et à 0,008% pour la zone de l’océan Atlantique et de la Mer du Nord. La majorité des AMPs en France ne confère ainsi pas, ou très peu, de protection.
Il faut aussi préciser que la France utilise sa propre définition d’une «protection stricte». Une définition bien moins efficace que les standards internationaux, définis par les scientifiques. Pour que ses AMPs soient efficaces, la France devrait protéger chacun de ses bassins océaniques de façon égale, créer des aires marines protégées à protection stricte et allouer les moyens humains et financiers destinés à la gestion et à la surveillance de ces espaces.
C’est loin d’être la direction que prend le gouvernement. Dans l’éditorial de Nature, les auteurs citent l’opposition de la France à une mesure européenne visant à interdire le chalutage de fond dans les AMPs. Dans plus de la moitié des aires marines protégées européennes, le chalutage de fond est plus élevé à l’intérieur qu’à l’extérieur de la zone protégée.
Pourtant, le Secrétaire d’État chargé de la Mer, Hervé Berville, clamait en mars 2023 que la France est «totalement, clairement et fermement opposée à l’interdiction des engins de fond dans les aires marines protégées». Son discours teinté de fausses affirmations, à contre-courant de toute forme de réalité scientifique, a alimenté un climat explosif qui s’est soldé par la mise à feu des bureaux de l’Office français de la biodiversité à Brest.
L’interdiction progressive du chalutage de fond dans les aires marines protégées – pratique dont nombre de pêcheurs artisanaux dépendent encore – est une mesure indispensable pour espérer disposer de zones protégées, et donc de populations de poissons en bonne santé pour maintenir une pêche raisonnée dans les décennies à venir.
L’hypocrisie française s’étend au-delà de nos frontières, puisque nos flottes de pêche, aux côtés de l’Espagne, remontent jusqu’à un tiers des thons dans l’océan Indien, où une espèce en particulier, le thon albacore, est gravement surexploitée. Pour pêcher le thon, les flottes européennes utilisent surtout des dispositifs de concentrations de poissons (DCP), structures flottantes de bois ou de plastique qui attirent les poissons. Cette méthode est loin d’être durable puisqu’elle capture énormément de juvéniles (des poissons qui n’ont pas eu le temps de se reproduire), de nombreuses espèces non ciblées (comme des thons et des requins) et représente une source importante de pollution marine.
L’Europe s’oppose aujourd’hui à des mesures de conservation qui permettraient de lutter contre cette méthode de pêche. La France joue un rôle prédominant dans ce combat, puisqu’elle fait partie des États qui ont obtenu l’annulation d’une mesure qui visait à interdire les DCPs 72 jours par an. Une mesure minimaliste, nécessaire et loin d’être suffisante, mais déjà de trop pour le gouvernement français et le lobby de la pêche thonière. Ces choix permettent l’accaparement des ressources marines par une poignée d’acteurs privés aux dépends des pêcheries locales de l’océan Indien.
Pourtant, la France s’est déjà illustrée par sa capacité à mener de tels combats. En 1988, aux côtés de l’Australie, Paris s’est ainsi opposé à la Convention de Wellington, qui aurait permis l’exploitation minière de l’Antarctique. Notre pays est aussi le premier à s’être positionné en faveur d’une interdiction totale de l’exploitation minière des fonds marins, industrie émergente qui menace l’océan profond.
Espérons que la France se saisisse de l’organisation de la prochaine Conférence des Nations unies sur l’océan, qui se tiendra à Nice en juin 2025, pour aligner sa rhétorique sur des engagements concrets.
Une tribune de Raphaël Seguin, chercheur en écologie marine et vulgarisateur scientifique, doctorant chez Bloom association et Université de Montpellier
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