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A l’issue du One ocean summit, l’amer monte

Vendredi, le sommet sur la protection des océans s'est clôt à Brest (Finistère). Les annonces concrètes ont été peu nombreuses, et les ambitions affichées restent à confirmer lors des prochaines rencontres internationales prévues cette année.
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Le Showcéan. La mise en scène est soignée, en ce vendredi matin. Une décoration dans les bleus profonds, un accompagnement musical par le bagad de Lann Bihoué, et une succession de prises de parole pour lancer un « appel à l’action immédiate », dixit le président Macron. Aux côtés de jeunes ambassadeur·rices du European ocean’s youth network, l’académicien Erik Orsenna prévient : « je le connais pour m’être souvent promené sur son dos, et les “blablas”, il s’en moque, l’océan ». Après quatre heures d’allocutions, le bilan reste pourtant amer.

Surfer sur la vague de fond

Au menu des échanges entre chef·fes d’Etat : la réduction des émissions de gaz à effet de serre du secteur maritime, la suppression des subventions publiques encourageant la surpêche et la pêche illicite, ou la mise en place de dispositifs pour protéger les tortues et les cétacés. Tout comme le lancement de Digital twin ocean, une plateforme en ligne qui « permettra d’évaluer différents scénarios, d’améliorer la connaissance du milieu marin et de fournir des informations fondées sur la connaissance pour étayer la prise de décisions », a annoncé la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.

Cette dernière a également officialisé le lancement d’une coalition, composée des 27 États membres de l’Union européenne (UE) et de 13 autres pays, qui doit conclure un traité ambitieux destiné à protéger la haute mer. Les responsables politiques ont aussi affiché leur volonté de signer sous peu un traité contre la pollution plastique. « Nous sommes très proches mais nous devons donner de l’impulsion pour le conclure cette année », a insisté la cheffe de l’exécutif européen. 

Des protections trop faibles

Parmi les avancées concrètes obtenues à Brest : la création d’une aire marine protégée de plus de 500 000 km2 d’ici 2030 et des zones réservées à la pêche côtière sur une surface équivalente d’ici la fin d’année. Cette aire, dénommée « Rahui Nui » marque un rétrécissement de 20 % des zones de pêche professionnelle et devrait permettre de protéger une grande densité d’espèces marines. Pour Winiki Sage, président de la Fédération des associations environnementales de Polynésie française, « ces nouvelles zones de protection réservées à la pêche artisanale permettront de résoudre les conflits d’usage entre les pêcheurs artisanaux et les pêcheurs industriels polynésiens »

Par un décret publié jeudi, la réserve naturelle des Terres australes françaises a été étendue pour atteindre une superficie de 1,66 million de km² – soit 15 % de l’espace maritime français. Elle couvrira ainsi l’intégralité des mers territoriales et zones économiques exclusives (ZEE) des archipels Crozet et Kerguelen, et des îles Saint-Paul et Amsterdam.

Le taux d’aires marines protégées dans les eaux territoriales françaises est ainsi passé à 33%, dans les océans indiens et pacifiques. Problème : seules 4% des aires marines protégées bénéficient d’une protection forte, contre un objectif de 10% prévu pour 2022. « Les 29 autres pourcents sont très peu protégées, victimes de surpêche depuis 30 ans, avec des projets de parc éoliens dans ces zones », relève France nature environnement dans un communiqué.

« Blue washing »

Pour cette même fédération d’associations, la France a manqué de prendre un vrai leadership en matière de protection de l’océan : « La France demande en même temps un traité contraignant protégeant la haute mer – très bien – et refuse de signer le moratoire sur l’extraction minière des fonds marins – très inquiétant. Financer la connaissance des fonds marins – oui. Mais à une condition : que ces connaissances servent les décisions politiques. Le manque de prise en compte des données scientifiques dans tant d’autres domaines laisse mal présager les choses. » Elle dénonce aussi la décision de généraliser les pingers, dispositifs d’effarouchement sur les bateaux, pour protéger les dauphins, déjà jugée insuffisante par la Commission européenne et les scientifiques : « Il faut instaurer des fermetures limitées dans le temps et l’espace de la pêche pour permettre aux dauphins de migrer en toute sécurité ».

« Ce sommet marque en apparence une avancée dans la mobilisation internationale avec un soutien élargi au traité sur la haute mer attendu en mars à l’ONU. Mais cela ne fait que réaffirmer ce qui a déjà été dit à Marseille lors du Congrès mondial de la nature » qui s’est tenu en septembre dernier (Vert), estime François Chartier, référent Océan de Greenpeace France. « Comme l’échéance est en mars, c’est bon signe, comme pour l’objectif de protéger au moins 30 % des habitats marins du globe d’ici à 2030 », dit-il encore à Vert. Hélas, « nous attendions plus de concret sur la protection réelle des aires marines protégées, sur la surpêche et surtout sur l’exploration des fonds marins ».

Pour Claire Nouvian, fondatrice de Bloom, association de protection des fonds marins : « c’est un flop diplomatique énorme, les chefs d’État étaient peu nombreux ! », confie-t-elle à Vert. Dans une longue lettre ouverte publiée plus tôt dans la semaine, la lauréate du Prix Goldman (sorte de « Nobel pour l’environnement ») avait longuement détaillé les raisons qui l’ont poussée à boycotter ce raout : « Je crois en ce genre de sommet, mais je ne crois plus dans l’action ni dans la sincérité d’Emmanuel Macron ».

Des affiches placardées à Brest par les militant·es de Greenpeace vendredi matin. © Greenpeace

Vendredi matin, une centaine de militant·es étaient mobilisé·es pour dénoncer le double jeu du président : « Protection des océans : Macron au sommet de l’hypocrisie », pouvait-on lire sur leur banderole surplombée par une marionnette géante à son effigie. D’autres pancartes dénonçaient également le pillage des fonds marins en invitant à signer la pétition Protect the oceans de l’ONG, en faveur d’un traité ambitieux sur la haute mer, d’ores et déjà signée par près de quatre millions de personnes dans le monde. « Ce n’est pas un météore qui se dirige vers notre planète, conclut François Chartier, c’est un désastre qui pourrait se passer sous la surface des océans et nous ne pouvons pas nous permettre de détourner le regard ».

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