Fera-t-il des vagues? La santé des mers est au cœur du One Ocean Summit qui s’ouvre aujourd’hui à Brest. Les engagements que prendront les chefs d’États réunis vendredi sont politiquement déterminants pour la suite des avancées attendues en 2022, qualifiée de « super année » pour l’océan.
Resté pendant longtemps en marge des grands rendez-vous de l’agenda international et européen, l’océan profite actuellement d’une forte mobilisation. Le One ocean summit, décidé par Emmanuel Macron lors du Congrès mondial de la nature qui s’est déroulé il y a trois mois à Marseille, ouvre le bal de la deuxième décennie de l’océan (2021-2030).
Au menu de la mer
Plus de 500 expert·es et délégué·es de dizaines de pays se retrouvent à Brest à partir de ce mercredi pour deux journées de forums et d’ateliers. Vendredi, elles et ils seront rejoint·es par Emmanuel Macron et une vingtaine de chefs d’État. Objectif : élever le niveau d’ambition de la communauté internationale sur les questions marines et prendre des engagements tangibles pour protéger l’océan.
Si les sujets sur la table sont nombreux, c’est parce qu’il est rare qu’un sommet dit de « haut niveau » soit entièrement dédié à l’océan, qui occupe 70% de la surface du globe. A lui seul, il abrite 96% de la vie sur terre et génère 50% de l’oxygène que nous respirons. Son rôle est essentiel dans la lutte contre le réchauffement : les mers ont absorbé l’essentiel du surplus de chaleur accumulé au cours des dernières décennies et elles stockent d’immenses quantités de CO2. Mais l’océan est sous pression : réchauffement, acidification, surpêche, pollution plastique et chimique, extraction minière en eaux profondes sont autant de menaces sur lesquelles ses défenseur·ses attendent des engagements. « Ces dernières décennies, les progrès en matière de conservation marine n’ont pas été à la hauteur des enjeux. Alors que le changement climatique menace l’ensemble des écosystèmes, seulement 2,8 % de la surface de l’océan est à ce jour véritablement protégée des effets de la pêche », déplorent une vingtaine d’ONG dans une tribune publiée dans Le Monde lundi 7 février.
Pour la communauté maritime internationale, 2022 est perçue comme une « super année » pour l’océan : pas moins de six rendez-vous sont prévus pour limiter la pollution plastique des océans, préserver la biodiversité en haute mer, encadrer la surpêche et les pratiques illégales, etc. Pour Romain Troublé, président de la Plateforme océan climat joint par Vert, « ce sommet est une opportunité pour rehausser l’enjeu politique sur les océans. » De quoi « accélérer l’agenda avec des coalitions d’Etats », abonde la navigatrice et députée européenne Catherine Chabaud.
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Navigation en eaux troubles
Les ONG n’attendent pas de miracle : pour François Chartier, chargé de campagne Océan chez Greenpeace, « il y a beaucoup d’affichages et peu d’ambition. […] Nous craignons les déclarations de principe faisant passer les intérêts industriels devant la santé de l’océan », indique-t-il à Vert.
Parmi les sujets chauds, l’objectif de protéger au moins 30 % des habitats marins du globe d’ici à 2030 avec un accent mis sur la « protection forte ». Avec ses territoires ultramarins, la France possède la deuxième plus grande zone économique exclusive (ZEE – qui recouvre les eaux jusqu’à 200 milles nautiques au large des côtes) au monde. Elle peut donc jouer un rôle immense, mais « elle n’est pas forcément un modèle », commente Jérôme Petit de l’ONG Pew, « Avec 23% de ses eaux protégées, mais seulement 1,6% en protection stricte, elle peut mieux faire ». Pour les ONG, Paris pourrait annoncer de nouvelles zones de protection forte dans les terres australes ainsi qu’en Polynésie française. « Nous attendons également que des projets de protection forte soient lancés dans les eaux de la Manche, de l’Atlantique et de la Méditerranée, où le retard français est criant », rappellent-elles.
Cet objectif va de pair avec la volonté d’aboutir à la conclusion d’un traité ambitieux et juridiquement contraignant sur la protection de la haute mer, ces eaux qui échappent au juridiction des pays côtiers. Au niveau global, 1 % à 2 % seulement des eaux internationales sont protégées, alors qu’elles représentent 64 % de l’océan mondial. Les Nations unies se sont engagées à le finaliser lors d’une conférence organisée cet été, mais comme le rappelle le Monde, les pronostics ne sont pas bons, notamment en raison de l’opposition de la Russie et de la Chine. Cette opposition a des effets collatéraux sur l’océan Austral qui entoure l’Antarctique : le tandem s’oppose à toute création de nouvelle aire marine protégée dans cette zone.
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Ne pas noyer le poisson
De nombreuses craintes s’expriment également vis-à-vis de l’exploitation minière des eaux internationales : « les eaux profondes sont cruciales pour le climat et la préservation des espèces. Nous sommes préoccupés car l’Autorité internationale des fonds marins débat de l’ouverture de ces eaux à l’exploitation commerciale. Cela aurait des effets irréversibles, raison pour laquelle nous demandons un moratoire sur l’exploitation en eaux profondes », explique Sandrine Polti, pour la DeepSea Conservation Coalition. Contrairement à 37 pays et 500 organisations, la France n’a pas soutenu ce moratoire.
La surpêche constitue toujours une menace majeure pour l’océan. Aujourd’hui, un tiers des populations de poissons pêchées dans le monde est surexploité. Le sommet pourrait être l’occasion d’insister sur le besoin de ratifier plus largement l’accord du Cap : adopté par l’Organisation maritime internationale (OMI) en 2012, il entrera en vigueur lorsque 22 États, représentant une flotte totale de 3 600 bateaux éligibles l’auront ratifié. Il manque aujourd’hui six ratifications pour le faire entrer en application. Sa mise en œuvre renforcerait la lutte contre la pêche illégale et améliorerait la sécurité et le contrôle des navires de pêche. Hélas, « les pêcheurs ne sont pas invités à ce sommet, et les enjeux de la pêche industrielle ne seront pas abordés », s’indigne Thibaut Josse, responsable de l’association Pleine mer. Révolté de voir les ravages faits par la senne danoise (une technique de pêche pratiquée à l’aide d’un chalut pourvu de « longs bras ») dans la Manche, il n’attend rien de « ce sommet de l’économie bleue, présentée comme combustible de la croissance verte ». Présent à un contre-sommet organisé le week-end dernier à Brest (« les soulèvements de la mer »), il organise avec Greenpeace le Rassemblement public « Don’t look down » contre le déni océanique prévu vendredi matin.
Reste la question du futur traité sur les plastiques discuté à Nairobi fin février lors de l’Assemblée générale de l’ONU environnement. « La surconsommation actuelle de plastique est plus la conséquence d’une offre croissante de l’industrie pétrolière qui mise sur le développement du plastique (avec une perspective de multiplication par trois de la production mondiale de plastique en 30 ans) que d’une demande des consommateurs et des marques », note l’association No plastic in my sea, signataire de cet appel à considérer l’ensemble du cycle de vie des plastiques et incluant une réduction de la production mondiale.
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Fera-t-il des vagues ?
D’après Annick Girardin, ministre de la Mer, quatre défis seront abordés vendredi : l’édification d’un cadre international protecteur pour les marins et les ressources halieutiques, le verdissement du transport maritime, l’approfondissement de la connaissance des océans, et la préservation du vivier d’emplois maritimes. Mais pour l’heure, personne ne sait vraiment qu’espérer des « engagements de Brest » que pourraient prendre les 35 pays représentés. « La question des déchets en plastique ou celle de la surpêche pourraient faire l’objet de déclarations, mais je n’ai aucune certitude », confie Catherine Chabaud. « Certes, le One ocean summit ne va pas embrasser tous les maux du monde marin, mais il pourrait susciter « un effet d’entraînement », estime Olivier Poivre d’Arvor, ambassadeur des pôles et des enjeux maritimes sur France Inter
Pendant ces trois jours, des milliers de spectateur·rices assisteront aux nombreux événements organisés en marge du sommet. Elles et ils pourront par exemple se rendre sur la promenade du Moulin Blanc pour savourer les 31 panneaux photographiques installés par le collectif Argos, qui depuis 2001 réalise des reportages aux quatre coins du monde pour sensibiliser le public aux grands enjeux sociaux et environnementaux. Après une série documentaire sur les réfugiés climatiques en 2009 et une autre sur l’impact du carbone dans le monde, les 9 photo-reporters d’Argos ont débuté en 2018 une série de reportages sur l’accaparement des mers et sur ses ravages causés par l’homme. « Nous voulions raconter des vies en lutte contre la pollution plastique, la surpêche et l’exploitation, qu’elle soit minière, industrielle ou encore touristique. Partout, cette logique d’exploitation endommage les ressources, les poissons, les minerais, mais aussi les hommes », note la photographe Jéromine Derigny, partie suivre avec Cécile Bontron une expédition de Sea Sheperd. Leurs reportages sont à retrouver ici.