De l’espace au pôle Nord, comment êtes-vous devenu parrain de la Tara Polar Station ?
J’ai l’impression que, dans la vie, les gens qui partagent une même veine aventurière sont attirés les uns par les autres. J’ai rencontré Romain [Troublé, le directeur général de la fondation Tara océans, NDLR] via des amis marins, et nous nous sommes retrouvés à parler de la Polar Station et de tous ces sujets que nous avons en commun. Il m’a proposé de devenir le parrain, et j’ai évidemment dit oui : ce projet est unique.
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Y a-t-il des points communs entre votre métier de spationaute et ce que vont vivre les équipages de la station polaire ?
Ils sont nombreux ! À bord de ce navire, tout un équipage va se rendre dans un milieu extrême pour un projet de recherche scientifique qui ne peut être mené que là-bas, et qui a un intérêt pour toute l’humanité. C’est exactement la définition de nos missions en tant qu’astronaute lorsque l’on rejoint l’ISS [la Station spatiale internationale, NDLR]. Et, au-delà de ces grandes lignes communes, le quotidien et les difficultés vont être semblables : l’isolement, l’autonomie pour survivre, la nourriture limitée, l’importance de rester en bonne forme physique, les problèmes médicaux qui peuvent survenir, etc.

Votre sensibilité écologique est de notoriété publique, depuis la sortie du documentaire «Thomas Pesquet, Objectif France». Votre prise de conscience vient-elle de votre expérience d’astronaute ?
J’avais une sensibilité à la base et elle a été démultipliée. Quand on est dans l’espace, on se met à l’échelle pour percevoir des choses qui d’habitude nous dépassent. Le réchauffement climatique, c’est ça : quelque chose dont on ne peut pas faire l’expérience directe avec nos sens. C’est pour cela que certaines personnes peinent à cerner cette idée, ou même la refusent. En prenant ce recul permis par l’espace, on voit l’ampleur des phénomènes de ses propres yeux.
Vous racontiez la semaine dernière, à la veille du baptême de la Polar Station, que la fragilité terrestre qui vous a le plus marquée en allant dans l’espace, c’était celle de notre atmosphère… Pourquoi ?
La Terre, c’est 6 378 kilomètres de rayon ; et, l’atmosphère, à peine une centaine de kilomètres d’épaisseur tout autour. C’est vraiment une espèce de très fine membrane, qui semble aussi fragile qu’une bulle de savon. Pourtant, c’est la seule chose qui nous sépare de la mort.
La crise climatique, c’est quelque chose qui vous touche, qui vous angoisse ou qui vous porte à l’action ?
C’est difficile à dire… Aujourd’hui, presque tout le monde a compris qu’il y avait un problème, mais on voit bien qu’il n’y pas de solution miracle. Dès que l’on essaie de détricoter la pelote de laine, on s’aperçoit que tout est imbriqué. Toucher aux sujets environnementaux, ça a des effets sur tout : notre mode de vie, le volet social, etc. Nous avons tous envie de sortir de cette crise. En revanche, il y a des choses auxquelles il faudra renoncer et nous ne sommes pas toujours prêts à le faire.
Par exemple, le fait que la médecine permette de soigner des gens, d’allonger l’espérance de vie : nous sommes tous d’accord pour dire que c’est incroyable. Personne ne regarde le bilan carbone d’une machine IRM, et heureusement ! Il y a tellement de choses, en tant qu’êtres humains, sur lesquelles on ne négociera pas – le fait d’avoir des enfants, par exemple – et c’est normal. Mais ça nous met aussi dans des positions fragiles. Un jour, il faudra faire l’exercice de dire : «Les activités humaines produisent du carbone. Que fait-on avec ça ? Quel tri ? Qu’accepte-t-on ou non ? Où met-on la limite ?» Les chercheurs alimentent le débat avec des données mais, à la fin, ça ne pourra pas être une décision scientifique. Ce sera un choix social, politique, philosophique… humain.

Vous avez récemment alerté sur le coût environnemental de l’intelligence artificielle. Est-ce votre rôle de prendre la parole sur ces sujets ?
Honnêtement, je ne sais pas… Quand on devient une personnalité publique, les gens attendent de vous des prises de position sur tout. Parfois, j’entends ou je lis : «Il ne se positionne pas sur la guerre en Palestine !» Je comprends que ça puisse heurter celles et ceux qui sont personnellement touchés, mais je pense que si on commence à s’exprimer sur tout, on perd en crédibilité. Certaines personnalités, à chaque événement de société, réagissent sur les réseaux sociaux : non à la guerre en Ukraine, non à la guerre à Gaza, non aux violences faites aux femmes… oui, très bien, on est tous d’accord là-dessus. Mais qu’est-ce que, moi, Thomas Pesquet, j’apporte à cela ? Je parle d’environnement parce que c’est connexe à mon expertise. Et, tout en reconnaissant que je ne suis pas non plus Jancovici [Jean-Marc Jancovici, ingénieur et spécialiste des questions climatiques, NDLR], j’en parle parce que le spatial participe largement aux découvertes scientifiques sur le climat. C’est parce qu’on est alimenté en données issues du spatial que l’on sait aujourd’hui ce qui se passe sur Terre en matière climatique.
Le tourisme spatial est en plein boom : en témoigne le vol polémique de la chanteuse Katy Perry. Comment regardez-vous ces dérives ?
En Europe, ça n’existe pas. C’est la Nasa [l’Administration nationale de l’aéronautique et de l’espace, organisme américain, NDLR] qui a voulu impliquer des entreprises privées dans le spatial. Que ce soit à l’Agence spatiale européenne ou au CNES [Centre français d’études spatiales, NDLR], nous n’avons absolument pas vocation à faire du tourisme spatial. Je doute qu’il y ait une position officielle sur le sujet mais, évidemment, nous ne pouvons pas voir cela d’un bon œil. Nous ne cessons de le dire : aller dans l’espace a un impact environnemental, mais c’est important pour l’humanité et la recherche scientifique. Sauf que, si des ultra-riches le font pour leur petit plaisir, le message ne passera plus.
Est-ce difficile, dans votre position d’astronaute, de défendre les sujets environnementaux ? J’imagine qu’on vous attaque souvent sur le bilan carbone de vos trajets en fusée…
Clairement ! Les réactions sont parfois épidermiques : «Le gars est allé dans l’espace et il nous fait la morale !» Avec cette idée sous-jacente que ce serait mon bilan carbone à moi. Alors, oui, une mission spatiale, c’est l’équivalent en émissions de CO2 d’un aller Paris-New York, avec quatre personnes à bord. C’est beaucoup, mais ce n’est pas non plus le truc de dingo que les gens s’imaginent ! Et puis, il n’y a que six missions par an.
Ce que nous faisons, c’est pour les gens, en leur nom. Donc, quand on me parle du bilan carbone de Thomas Pesquet pour aller dans l’espace, je réponds que c’est plutôt le bilan carbone de la France – ou des chercheurs impliqués dans le projet, voire de l’humanité. Et, en même temps, c’est notre débat de tout à l’heure, et je ne veux pas m’échapper. Le jour où l’on mettra tout sur la table, en se disant qu’on a telle quantité de carbone à dépenser, peut-être que l’on dira : «On ne va plus dans l’espace». Pour l’instant, ce n’est pas le cas.

Si vous deviez convaincre un sceptique de l’importance du spatial, que lui diriez-vous ?
Que parmi les nombreuses recherches scientifiques que nous effectuons là-haut – dans des conditions que nous ne pourrions pas réaliser sur Terre – il y a des applications directes pour faire avancer la médecine : sur des traitements de la myopathie Duchenne, par exemple, ou encore Alzheimer.
L’année dernière, vous avez participé à une mission du patrouilleur polaire l’Astrolabe, en Antarctique, et séjourné dans des stations polaires. Que retirez-vous de cette première plongée dans le monde glacé du pôle Sud ?
Déjà, j’ai eu l’impression que c’était plus difficile d’y aller que de rejoindre l’ISS ! L’Astrolabe, c’est une logistique hallucinante, on va vraiment au bout du monde. Je n’imagine pas comment on peut être dans un endroit plus reculé de tout… Ensuite, c’est un milieu que je trouve «lunaire». Je suis obligé de faire le jeu de mots, parce que c’est ce qui m’a choqué : il n’y a même pas un insecte, une petite araignée… rien !
Dans l’espace encore moins !
Oui mais, à la rigueur, tu t’y attends ! Et puis, là-haut, on ne sort pas à l’extérieur, alors qu’en plein cœur du continent Antarctique, tu peux rester des heures et des heures dehors et tu n’auras pas une seule forme de vie à observer. En cela, c’est très différent de l’Arctique, où Tara va se rendre : l’océan sous la banquise est très propice à la vie, il y a des ours blancs, des phoques, des oiseaux… Aussi, je n’ai pas connu la nuit polaire, car il faisait jour quand j’étais en Antarctique, mais cela doit être vraiment particulier quand il fait nuit toute la journée pendant des mois. C’est une sensation qu’on ne connaît pas quand on est à bord de l’ISS, et qu’ils vont vivre ici, dans la station polaire Tara.

Je vous ai entendu plaisanter sur votre candidature pour participer à une dérive transpolaire avec Tara, mais en vrai… vous aimeriez monter à bord lors d’une mission Polaris, non ?
Bien sûr que j’aimerais ! C’est normal : ce qui m’a amené à l’espace, c’est l’envie d’aventure, d’exploration, une forme d’adrénaline aussi. Je pense que, dans tout métier, il y a une forme d’égoïsme : on le fait pour trouver du plaisir au quotidien – et il n’y a rien de mal à ça ! En plus, ce que je fais à travers le spatial est utile aux autres. Donc, quand on peut vivre de ça, évidemment qu’une mission comme Tara en Arctique nous attire !
Mais, pour monter à bord, il faut une vraie contribution à apporter. Les places sont précieuses ! [Selon les saisons, 12 à 18 hommes et femmes se relaieront au sein de la station polaire, NDLR] Je me sens légitime dans le rôle d’ambassadeur, mais je ne suis pas scientifique, donc je ne suis pas prioritaire… Sinon, il y a bien des résidences d’artistes à bord pendant l’été, mais je ne suis pas un artiste non plus !
Il faut s’y mettre, un peu de peinture !
Oui, j’y pense, ou écrire des chansons… (rires) Les gens ne vont pas être déçus, je crois.
D’accord, donc candidature lancée…
En cours ! Je travaille encore un peu sur mon CV…
Certains vous prêtent des intentions élyséennes pour 2027. Si c’était le cas, vous le feriez sous une bannière «écolo» ?
Je n’ai pas d’intentions politiques en soi, je pense que c’est difficile de venir de la société civile et d’arriver à faire quelque chose de bien. En politique, la naïveté est de se dire qu’on peut débarquer en tant que capitaine, mettre la barre en avant toute, et que tout l’équipage va suivre ! Ça ne se passe pas comme ça. Ce qu’il faut pour avancer, c’est l’adhésion des gens. Et cette adhésion s’obtient quand on a fait tout le parcours nécessaire en interne : participer à des commissions, être exposé au mille-feuille hyper compliqué de l’État, des Régions, des associations, des organisations, de comment sont prises les décisions… C’est là qu’on devient efficace ! Sinon, on prend juste des coups. Tant que je suis plus utile ailleurs qu’en politique, dans mes domaines comme la technique, la science ; tant que je peux réellement faire les choses, au lieu de passer des heures en réunions… je continuerai comme ça.
Donc plutôt objectif Lune qu’objectif Élysée ?
Ah, c’est sûr que si on me propose la Lune ou l’Élysée, le choix sera vite fait !
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