Entretien

Thomas Brail : «On ne s’interdit pas de recommencer d’autres grèves de la soif»

Las des routes. Dans le Tarn, le chantier de l’autoroute A69 se poursuit malgré la mobilisation citoyenne sur place, où des grimpeur·ses tentent d’empêcher l’abattage d’arbres. On fait le point sur la situation avec Thomas Brail, fondateur du Groupe national de surveillance des arbres.
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Où en sont les travaux de l’A69 en ce moment ?

Le chantier con­tin­ue, ils avan­cent bien. Ils ont abat­tu pas mal d’arbres, notam­ment dans la forêt de Sher­wood [à Cuq-Toulza dans le Tarn, rebap­tisée ain­si par les anti-A69 en hon­neur à la légende de Robin des bois, NDLR]. On a encore trois écureuils [le surnom que se don­nent les militant·es, ndlr] qui blo­quent les travaux en occu­pant des arbres. En atten­dant, les entre­pris­es sont en train de grat­ter avec des pelles mécaniques au pied de ces arbres, qui sont désor­mais au milieu de rien. C’est devenu super dan­gereux pour les grimpeurs à cause de l’énorme prise au vent. On a l’impression que les acteurs du chantier en ont telle­ment ras-le-bol que la sécu­rité n’est plus une pri­or­ité pour eux. Là, ils met­tent claire­ment les écureuils en dan­ger.

[Depuis la réal­i­sa­tion de cette inter­view, les écureuils ont décidé de descen­dre des arbres en rai­son des risques que posaient les rafales de vent et les racines coupées, ndlr]

En octo­bre 2023 à Cas­tres, Thomas Brail par­ticipe à une man­i­fes­ta­tion con­tre l’A69. © Antoine Berlioz / Hans Lucas / AFP

La situation est-elle toujours aussi tendue sur place ?

Les écureuils ont été pas mal assiégés ces derniers jours, avec des gen­darmes qui empêchaient les rav­i­taille­ments, donc pas d’eau, pas de nour­ri­t­ure, pas de cou­ver­tures pen­dant quelques temps. Ils ont dénon­cé le har­cèle­ment des forces de l’ordre, qui les empêchaient de dormir avec des bruits et des lumières en con­tinu. C’est inad­mis­si­ble ! J’ai fini par faire une vidéo sur les réseaux soci­aux qui visait le préfet du Tarn et Clé­ment Beaune [le min­istre des trans­ports, ndlr] pour leur rap­pel­er qu’on n’est pas en Russie et qu’il est illé­gal de traiter les gens comme ça. Vis­i­ble­ment, ça s’est un peu calmé depuis.

On a l’impression que les don­neurs d’ordre resser­rent la vis ces derniers temps, car ça leur coûte de l’argent, ces arbres blo­qués. Ce sont des arbres dif­fi­ciles à grimper, dans un endroit où les gen­darmes ne peu­vent pas arriv­er avec une nacelle et récupér­er les écureuils, comme cela avait été le cas pour moi devant le min­istère de l’écologie.

Les abattages doivent normalement s’arrêter le 15 novembre pour une trêve hivernale de plusieurs mois. Qu’est-ce que ça veut dire pour l’avancée des travaux ?

Il est stip­ulé dans le con­trat d’Atosca [le con­ces­sion­naire de l’autoroute A69] qu’à par­tir du 15 novem­bre ils n’ont plus le droit de couper les arbres. Ils doivent sûre­ment être embêtés, car ils n’ont pas pu tout couper. Théorique­ment, on est tran­quilles, mais on ne fait plus con­fi­ance à per­son­ne.

Le collectif La Voie est libre vient de lancer une pétition sur le site de l’Assemblée nationale. À quoi doit-elle servir ?

La pétition a atteint 25 000 sig­na­tures en quelques jours. Notre objec­tif, c’est de rou­vrir un débat autour de l’A69 pour revoir l’utilité de ce pro­jet. Je ne sais pas si ça pour­ra faire bouger les choses, mais il faut qu’on con­tin­ue à en par­ler.

Il y a un mois, vous avez mis fin à votre grève de la faim et de la soif. Avec du recul, est-ce que vous avez l’impression que ça a servi à quelque chose ?

Ça a grande­ment servi la lutte, en met­tant énor­mé­ment en avant l’A69. Depuis, il y a une fenêtre médi­a­tique ouverte en per­ma­nence sur l’évolution du pro­jet, alors qu’en général les médias passent à autre chose en quelques jours. Ça a claire­ment mar­qué les esprits. Les grèves de la soif, ça s’est rarement fait en France. Après, on n’a pas for­cé­ment mar­qué tous les points, on espérait une sus­pen­sion des travaux et un référen­dum… Mais on ne s’interdit pas de recom­mencer d’autres grèves de la soif si la sit­u­a­tion patine. Le gou­verne­ment et les por­teurs du pro­jet n’excluent rien du tout et nous envoient droit dans le mur.

Qu’est-ce qui vous permet de rester déterminé dans cette lutte malgré l’avancée du chantier ?

Mon petit garçon. Je n’ai pas le droit de lui dire que, demain, il ne pour­ra plus vivre sur cette planète, car les gou­ver­nants n’ont pas voulu écouter les sci­en­tifiques et n’ont pas tenu compte des enjeux envi­ron­nemen­taux. Mon petit garçon attend des résul­tats et c’est mon job de papa de le pro­téger. Si les gou­ver­nants ne me don­nent pas la cer­ti­tude que mon fils pour­ra évoluer dans un monde sain, c’est mon rôle de lut­ter pour que ce soit le cas.