Le vert du faux

Réduire la vitesse au volant permet-il de faire baisser la pollution des voitures ?

Dans un contexte de crise énergétique, réduire sa vitesse au volant apparaît comme une solution efficace pour le climat comme pour le porte-monnaie. Une mesure controversée qui a pourtant de multiples bénéfices.
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Quel impact concret de la réduction des vitesses ?

Glob­ale­ment, plus on roule vite, plus on con­somme du car­bu­rant, ce qui émet des gaz à effet de serre. D’après le Cere­ma (Cen­tre d’études et d’expertises sur les risques, l’environnement, la mobil­ité et l’aménagement), les émis­sions de gaz à effet de serre d’une voiture ther­mique sont min­i­males pour une vitesse moyenne de 70 kilo­mètres heure. En réal­ité, la courbe des émis­sions est en forme de U, c’est-à-dire que ces dernières sont plus impor­tantes en cas de faible ou de forte vitesse moyenne. Dans sa thèse, le chercheur spé­cial­isé dans les trans­ports Aurélien Bigo estime que faire baiss­er la vitesse de 130km/h à 110km/h sur l’autoroute per­met de réduire la con­som­ma­tion de car­bu­rant (et donc les émis­sions asso­ciées) de 17 % pour les véhicules ther­miques et de 24 % pour les véhicules élec­triques. De son côté, l’Ademe, l’agence de la tran­si­tion écologique, avance une moyenne de 20 % d’émis­sions en moins dans un vaste rap­port pub­lié en 2014. En ville, le pas­sage de 50km/h à 30km/h offre des résul­tats plus con­trastés, pointe l’Ademe, notam­ment en rai­son de la con­ges­tion du traf­ic.

Les véhicules ther­miques sont opti­misés pour con­som­mer le moins de car­bu­rant et émet­tre le moins d’oxy­des d’a­zote (NOx), un gaz à effet de serre, à une vitesse moyenne de 70 km/h. Si les émis­sions sont élevées dans le cas de faibles vitesses moyennes, c’est car elles vont générale­ment de pair avec une con­duite en ville, où les redé­mar­rages et la con­ges­tion du traf­ic génèrent des émis­sions impor­tantes. © Cen­tre d’études et d’expertises sur les risques, l’environnement, la mobil­ité et l’aménagement

L’impact de la réduc­tion de la vitesse est à la fois direct (baisse de la con­som­ma­tion de car­bu­rant et des émis­sions) et indi­rect, car elle entraîne d’autres effets : elle favorise le report modal vers des mobil­ités non con­cernées par cette diminu­tion de vitesse en les ren­dant plus attrac­tives (train, trans­ports en com­mun) et fait baiss­er le nom­bre de kilo­mètres moyens par­cou­rus par les indi­vidus. Dans sa thèse, Aurélien Bigo explique qu’historiquement, l’accélération des mobil­ités n’a pas per­mis aux gens de pass­er moins de temps en mou­ve­ment chaque jour, mais qu’elle leur a per­mis d’aller plus loin. Réduire les vitesses autorisées mèn­erait indi­recte­ment à une diminu­tion des dis­tances par­cou­rues par chacun·e, ce qui ferait baiss­er les émis­sions liées à la voiture.

Une mesure efficace immédiatement

Pour l’Agence inter­na­tionale de l’énergie, une diminu­tion d’au moins 10km/h sur autoroute est le pre­mier levi­er de réduc­tion de la con­som­ma­tion de pét­role. Une mesure d’autant plus intéres­sante qu’elle pour­rait être facile­ment et rapi­de­ment mise en place. « Quand on regarde les dif­férents leviers de tran­si­tion des mobil­ités, comme le développe­ment du vélo ou des trans­ports en com­mun, ou bien l’électrification des véhicules, il n’y en a presque aucun qui peut avoir un effet aus­si instan­ta­né sur les émis­sions de gaz à effet de serre », explique encore à Vert Aurélien Bigo. Une mesure applic­a­ble presque du jour au lende­main, « sans pour autant que ça ne boule­verse les modes de vie », souligne le chercheur. Mal­gré des temps de trans­port un petit peu allongés, cela ne néces­site pas de change­ments impor­tants dans l’organisation d’une journée, comme l’impliquerait le pas­sage au vélo ou au cov­oiturage par exem­ple.

Une mesure polémique, mais aux bénéfices multiples

Dimin­uer la vitesse en voiture reste une mesure con­tro­ver­sée et totémique, brandie par beau­coup comme une réduc­tion de la lib­erté de chacun·e et qui com­pli­querait le quo­ti­di­en (perte de temps notam­ment). Le pas­sage de 130km/h à 110km/h, qui fai­sait par­tie des propo­si­tions de la Con­ven­tion citoyenne pour le cli­mat — 150 Français·es tirés au sort réuni·es pour pro­pos­er des mesures pour réduire nos émis­sions de gaz à effet de serre « dans un esprit de jus­tice sociale » (Vert) — a été la mesure la moins plébisc­itée lors du vote final, avec l’adhésion de 59,7 % des votant·es (là où de nom­breuses propo­si­tions ont été approu­vées par plus de 90 % des mem­bres de la CCC).

En réal­ité, il a été cal­culé que pass­er à 110km/h sur autoroute n’entraîne un sur­plus de temps que de 18 % sup­plé­men­taire, soit 8 à 9 min­utes pour 100 kilo­mètres. Pour un pas­sage de 90km/h à 80km/h — et a for­tiori aus­si en ville avec les 30km/h -, cet allonge­ment de durée est encore plus dérisoire, d’au­tant plus lorsqu’on tient compte de l’évo­lu­tion des con­di­tions de cir­cu­la­tion. La réduc­tion de la vitesse per­met égale­ment des économies de car­bu­rant, et des économies tout court. Un avan­tage non nég­lige­able au sor­tir d’une pénurie de car­bu­rants et dans un con­texte de crise énergé­tique qui fait grimper les prix à la pompe. Selon l’Ademe, réduire sa vitesse de 10km/h sur autoroute équiv­audrait à économiser jusqu’à 5 litres de car­bu­rant pour 500 kilo­mètres réal­isés.

Des effets positifs pour chaque vitesse réduite

Cha­cune des réduc­tions de vitesse évo­quées dans le débat pub­lic (130 à 110km/h sur autoroute, 90 à 80km/h sur les départe­men­tales ou 50 à 30km/h en ville) présente des effets posi­tifs et com­plé­men­taires sur la pol­lu­tion engen­drée par les voitures. Les impacts directs, en ter­mes d’émissions de GES, sont les plus impor­tants sur l’autoroute. Sur les départe­men­tales, la réduc­tion général­isée des vitesses en voiture paci­fie le développe­ment de mobil­ités alter­na­tives (le vélo notam­ment). C’est aus­si le cas en ville, où la présence de véhicules motorisés moins rapi­des facilite et sécurise le partage de l’espace pub­lic, lim­ite la dan­gerosité des acci­dents et le bruit, et encour­age vive­ment le report modal. Des exter­nal­ités qui, cumulées, par­ticipent à la réduc­tion des nui­sances liées aux voitures.