L’A69, cette autoroute en construction entre Toulouse (Haute-Garonne) et Castres (Tarn), sera-t-elle définitivement abandonnée, comme l’avait ordonné la justice le 27 février dernier ? Ou, au contraire, les travaux de ce ruban d’asphalte de 53 kilomètres pourront-ils se poursuivre en toute légalité, comme l’espère l’État qui a fait appel de la décision du 27 février ?
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Ce jeudi matin, la cour administrative d’appel de Toulouse réexamine la demande d’annulation de l’autorisation environnementale du projet. La décision, qui ne sera pas attendue avant fin janvier, pourrait être déterminante : c’est l’avenir d’un chantier très contesté, devenu emblématique de la lutte écologiste, qui se joue.

L’issue de l’audience laisse peu de place au doute. Le rapporteur public, ce magistrat chargé d’éclairer les débats après une analyse approfondie du dossier, s’est prononcé en faveur de la poursuite du chantier, mardi. Les avis du rapporteur public sont fréquemment suivis par les juridictions. Selon ses conclusions transmises aux parties, il recommande à la cour administrative d’appel d’annuler la décision rendue le 27 février par le tribunal administratif de Toulouse.
Ce jour-là, le tribunal avait jugé l’autorisation environnementale, délivrée en 2023 au projet, illégale. Il avait été saisi quelques mois auparavant par 14 associations et syndicats (France Nature Environnement, Attac, la Confédération paysanne, Les Amis de la Terre…), réunis sous la houlette du collectif La Voie est libre (LVEL). Les juges avaient estimé que le projet ne répondait pas à une «raison impérative d’intérêt public majeur», condition indispensable pour autoriser l’atteinte à des espèces protégées qui vivent sur le tracé.

Dans son jugement, la juridiction relevait que les bénéfices du projet invoqués par l’État et par le concessionnaire Atosca – gain de temps, amélioration de la desserte, confort de trajet – étaient réels mais trop limités pour justifier l’impact sur «157 spécimens d’espèces animales protégées».
Elle notait également que le bassin de Castres-Mazamet ne présentait pas de décrochage économique ou démographique susceptible d’exiger une intervention d’une telle ampleur, contrairement à ce qu’affirmaient les promoteurs du projet. Le tribunal soulignait enfin que les bénéfices économiques seraient incertains, notamment en raison du coût élevé du péage, qui pourrait réduire l’intérêt de l’infrastructure pour les usager·es, et notamment les routier·es, «très sensibles à l’augmentation de leurs coûts d’exploitation».

Cette décision avait entraîné l’arrêt immédiat du chantier. Les militant·es, qui avaient salué une «victoire historique», voyaient dans le jugement la reconnaissance de la fragilité du projet. L’avocate des requérant·es, Alice Terrasse, avait elle aussi «salué le courage de la juridiction administrative», qui avait «osé annuler l’autorisation environnementale en dépit de la pression de l’État et du concessionnaire».
L’avenir du chantier entre les mains de juges qui l’ont soutenu en mai dernier
Mais les travaux ont finalement pu reprendre. L’État a fait appel du jugement en première instance et obtenu, en mai, un «sursis à exécution» (notre article) permettant aux engins de chantier de redémarrer en juillet en attendant le jugement sur le fond.
Ce jeudi, donc, les conditions sont bien moins favorables qu’en février pour les anti-A69. Notamment parce que «le chantier n’est pas au même stade d’avancement, note Thomas Digard, du collectif La Voie est libre. Et si les magistrats sont censés être hermétiques à ces évolutions, et ne juger qu’en droit, ils ont, comme tout le monde, entendu Atosca marteler que le chantier était trop avancé pour tout arrêter.»

La composition du collège de juges pourrait également peser, selon les anti-A69. «Deux des cinq magistrats qui trancheront jeudi sont les mêmes qui avaient autorisé la reprise du chantier en mai», souligne Thomas Digard. «Les connaissant, ils ne feront pas de cadeau», ajoute-t-il. Le collectif La Voie est libre a demandé, il y a quelques semaines, la récusation des magistrats en question, invoquant «une atteinte à l’État de droit». Cette demande a toutefois été rejetée le 28 novembre par la cour d’appel de Toulouse. Elle a assuré que le maintien de ces magistrats n’était «pas de nature à priver les appelants des garanties d’impartialité auxquelles ils ont droit».
Les «écureuils» perchés en soutien
Mercredi, à la veille de l’audience, une dizaine d’«écureuils» se sont installés dans les platanes dominant le tribunal administratif. Figures emblématiques du mouvement anti-A69, ces personnes qui grimpent aux arbres prévoient de passer la nuit (voire peut-être plusieurs) harnachées à 15 mètres du sol. Le soir venu, reggae en fond sonore, ils confient à Vert se sentir, malgré tout, animés d’une «positive vibration». À la question : «Quand prévoyez-vous de redescendre ?», ils répondent, imperturbables : «Quand tout sera re-naturalisé.»