En faire tout un dommage. Cette semaine, le rédacteur en chef de Vert nous parle du comté, ce fromage que «les écolos» voudraient soi-disant «interdire». Pour remonter aux origines de la polémique, il a feuilleté Boulevard Voltaire, Le Figaro magazine et le JDD. Cliquez ici pour (ré)écouter cette chronique diffusée sur France inter, mercredi 21 mai 2025.
Mathieu Vidard : Loup, la France entière s’est déchirée pendant des jours autour du comté, mais tout ça serait parti d’une fake news ?
Maintenant que la tension est un peu redescendue, je vous propose de faire l’anatomie de cette panique collective, partie d’une fausse information relayée par des chasseurs et des journalistes du Figaro ou de CNews.
Une fake news qui est d’ailleurs née, bien malgré elle, dans ce studio le 24 avril dernier. Puisque ce jour-là, dans une chronique pour la Terre au carré, l’écologue et militant animaliste Pierre Rigaux a rappelé les impacts largement connus et documentés du comté sur l’environnement et le bien-être animal.
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Pierre Rigaux : «C’est la réponse évidente.»
Comme le raconte ce matin dans Vert mon collègue spécialiste de la désinformation climatique Théo Mouraby, pendant de longs jours, 16 exactement, aucune polémique. Le site d’extrême droite Boulevard Voltaire, et le média spécialisé Chasses éternelles – obsédé par Pierre Rigaux – lui consacrent tout au plus quelques lignes.
Puis, le 10 mai, un journaliste, grand reporter du Figaro magazine et lui-même chasseur, publie un article sur cette chronique, avec ce titre qui devrait être affiché dans toutes les écoles de journalisme : «“Il faut arrêter d’en manger” : quand les écologistes veulent interdire… le comté.» Deux fausses informations dans un titre long de seulement 13 mots, il fallait le faire.
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D’abord : Pierre Rigaux devient à lui seul «les écologistes». Il faut savoir que la section de Franche-Comté du parti Les Écologistes, et Marine Tondelier, ont dû publier un communiqué pour dire publiquement leur soutien à la filière du comté – on en est là.
Ensuite : personne n’a jamais proposé d’«interdire le comté». Pierre Rigaux nous l’a confirmé : aucun appel au boycott, il voulait juste «appeler à la réflexion sur ce sujet».
Et tout l’article du Figaro magazine est sur ce ton ?
Je vous laisse apprécier les premières lignes de l’article : on appelle ça le «chapô», dans le métier : «Après la chasse, la pêche, l’agriculture en général et l’élevage sous toutes ses formes, c’est au tour de ce fromage, un des fleurons du patrimoine gastronomique français, de se trouver dans le collimateur des khmers Verts.»
Chapeau, effectivement.
Alors, faisons un peu d’histoire, parce qu’en théorie on aime bien ça au Fig’ Mag’ : les khmers rouges, je le rappelle, c’est un pouvoir communiste génocidaire qui a fait deux millions de morts au Cambodge dans les années 1970. Et c’est vrai que Pierre Rigaux-Pol Pot, il y a match.
Bref, il n’en fallait pas plus pour allumer la machine à désinformer du groupe de Vincent Bolloré. Le jour-même, dans Le Journal du Dimanche : «Après la viande, ces militants écolos qui s’attaquent… au comté.» Décidément.
Sur CNews, le lendemain : «Après Sainte-Soline, les plus radicaux traverseront-ils le Doubs, le Jura ou l’Ain pour traquer les caves d’affinage ? Après la ZFE, la ZFD, zone à faible déjection de vaches ?» Il faut reconnaître que c’est un petit peu drôle.
Le surlendemain, sur Europe 1, Pascal Praud… pose les vraies questions : «Est-ce que tu peux t’amuser ou passer une soirée sympa avec quelqu’un qui te dit que tu ne peux pas manger de comté ?».
Une folie qui a gagné jusqu’au service public puisque, ce jour-là, Sébastien Chenu, cadre du Rassemblement national, est invité sur le plateau des 4 Vérités de France 2 à commenter cette «interdiction».
Et il s’en donne à cœur joie : «Les écolos sont des dingues, ils veulent punir, interdire […] emmerder les Français du matin au soir.»
On dirait presque que c’est cousu de fil blanc…
Toute cette séquence de désinformation bien huilée, elle sert un certain agenda politique, comme nous l’explique la sémiologue Nataly Botero : «Elle permet de faire pencher l’opinion publique et renvoie à un imaginaire négatif pour empêcher l’émergence d’une écologie joyeuse, vivante, mobilisatrice pour penser notre société.»
En tout cas, pour lancer des paniques morales sur l’écologie à partir de rien, on sait sur qui on peut toujours compter.
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