Paris, trois heures du matin. Les stations de métro sont fermées depuis longtemps, des groupes d’étudiant·es en pleine euphorie rentrent de soirée, quelques trottinettes électriques fendent l’air. Soudain, au milieu de cette agitation nocturne, un petit être à quatre pattes galope sans un bruit le long d’un mur.
L’animal marque une pause, laissant apparaître dans la lumière pâle des réverbères sa large gorge blanche et sa petite truffe rose. Il disparaît silencieusement quelques secondes plus tard, sans avoir éveillé l’attention des quelques passant·es.

Dans la ruelle obscure, une seule personne a remarqué cette apparition éclair : «Elle nous observait depuis un moment en haut de ce muret», s’émeut Nicolas Blanchard, un imposant appareil photo en bandoulière. «Elle», c’est une fouine : le naturaliste amateur traque ce mammifère depuis plus d’un an dans Paris.
Longues nuits sous les réverbères et regards de travers
Du haut de ses 31 ans, le jeune homme est un passionné de mustélidés, cette famille méconnue de petits prédateurs : loutre – qu’il a suivie pendant plusieurs mois en Espagne –, martre, belette, hermine, blaireau… De la fouine, il garde son «plus beau souvenir de naturaliste», lorsqu’il la rencontre dès son premier affut en pleine forêt, à l’âge de 15 ans.
L’histoire d’amour reprend une décennie et demie plus tard. Début 2024, un ami lui apprend que l’animal – qui se plaît aussi bien à la campagne qu’en pleine ville – rôde au cœur d’un quartier de Paris. De suivis de pièges photographiques en longues nuits d’attente, Nicolas Blanchard apprend à mieux connaître ces animaux nocturnes, à les suivre comme il peut, à comprendre leurs habitudes, à anticiper leurs déplacements…

De cette expérience intense – des réveils à deux heures du matin toutes les semaines pendant six mois –, le jeune homme en tire un livre photographique auto-édité, en pré-vente jusqu’au 7 novembre. Il y dévoile ses meilleurs clichés de ces «petits fantômes de la capitale», dont il a suivi quatre individus, devenus pour lui de «véritables personnages» : «Tachenez», au museau immaculé, «Mel» et sa queue coupée (c’est sûrement elle que nous avons vue), «Oroup», à qui il manque un bout d’oreille, et «Touffic». S’il s’est profondément attaché à ces petits animaux, Nicolas Blanchard se dit «soulagé» d’avoir enfin terminé ce suivi harassant.
Pour comprendre, il faut avoir vécu ces longues nuits d’attente à même le sol, en plein Paris… et les regards réprobateurs des badauds marchant en silence face à ce spectacle inattendu. Il faut aussi avoir ressenti la peur, celle de l’accrochage avec des inconnu·es un peu trop alcoolisé·es à ces heures tardives ou, pire, celle du vol du précieux appareil Nikon. «On comprend un peu mieux ce que peuvent ressentir les personnes sans domicile», glisse le naturaliste, assis en tailleur sur un petit tapis de sol.
«Elle profite de toutes nos activités»
Tous les sens aux aguets, le jeune homme scrute chaque petit mouvement d’ombre. «Il faut être très vif, il suffit de cligner des yeux une fois pour la rater», souffle-t-il. Plusieurs rats cavalent entre les poubelles, un hérisson se prélasse dans un tapis de feuilles mortes. Mais, ce soir, la fouine ne repointera pas le bout de son museau.
Pour autant, nul besoin d’être un spécialiste pour l’observer : «Il est raisonnable de penser qu’on peut l’observer partout dans Paris, nous l’avons retrouvée dans presque tous les parcs étudiés», expose Benoît Pisanu, chercheur en écologie au Muséum national d’histoire naturelle. Le scientifique a mené des inventaires de biodiversité en plein cœur de la capitale : son équipe a identifié plusieurs espèces de rongeurs (mulot sylvestre, souris grise, campagnol agreste, musaraigne musette…), mais aussi des hérissons, des écureuils, et même des renards.
«Les gens sont dans leurs pensées et veulent juste rentrer chez eux, c’est leur dernier souci qu’il y ait un animal sauvage près d’eux !»
Parfois confondu avec un vulgaire chat ou un gros rat, la fouine est régulièrement aperçue filant sous les rangées de voitures garées – se réfugiant même à l’intérieur des capots. Elle est pourtant loin d’être invisible : «Dans la rue, sa meilleure tactique de défense est de rester immobile, raconte Nicolas Blanchard. Les gens sont dans leurs pensées et veulent juste rentrer chez eux, c’est leur dernier souci qu’il y ait un animal sauvage près d’eux !»

Cette proximité avec l’humain est pour elle un atout. «Elle profite de toutes nos activités, abonde Benoît Pisanu. C’est un animal très peu exigeant au niveau de l’alimentation, et qui sait trouver des abris dans les constructions humaines.» Le chercheur se souvient par exemple avoir vu plusieurs spécimens se nourrir la nuit dans des gamelles pour chats au parc des Buttes-Chaumont (au nord-est de Paris). L’animal a aussi déjà été vu en train de se repaître de croûtes de fromage ou de petits morceaux de chocolat laissés dans du papier aluminium.
Décapitations, sabotages et cohabitation
Incroyablement opportuniste, la fouine profite de nos déchets… mais elle peut aussi se régaler, selon les saisons, de fruits, de pigeons voire – exceptionnellement – de rats. «Elle joue un super rôle de nettoyeur», sourit Nicolas Blanchard, qui l’a déjà vue se nourrir de cadavres d’animaux. Ces services à la société ne sont pourtant pas reconnus par l’État, puisque l’espèce est aujourd’hui classée «susceptible d’occasionner des dégâts» (autrefois appelée «nuisible») dans 66 départements français – ce qui autorise leur piégeage et leur abattage toute l’année.

Il faut dire que le petit mammifère a une fâcheuse habitude : il grignote les câbles dans les combles des maisons et les moteurs de voiture. Pendant les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, la fouine a même été accusée d’avoir saboté la fan zone du château de Vincennes (à l’est de la capitale). À la campagne, on la connaît aussi pour ses massacres – très occasionnels – dans les poulaillers où, prise de frénésie, elle décapite tout ce qui bouge.
S’il reconnaît que la fouine est la «plus difficile à défendre» de la très contestée liste des ESOD (ces «Espèces susceptibles d’occasionner des dégâts»), Nicolas Blanchard rappelle que traquer ces animaux n’a aucune utilité. À contre-pied des politiques actuelles, le photographe rêve de mieux étudier cette espèce pour trouver de nouvelles manières de cohabiter : création d’un double toit dans les bâtiments, conception de gaines de câbles plus résistantes à leurs mâchoires…
Avec d’autres camarades naturalistes, il a créé en août dernier une nouvelle association : Méso et Micro Mammifères d’Île-de-France (MMM). Fouines, martres, belettes, musaraignes, muscardins… Ces passionné·es veulent faire connaître et protéger ces petits animaux oubliés. «Tout le monde connaît la fouine, de nom, mais personne ne sait vraiment à quoi elle ressemble ni ce qu’elle fait», regrette Nicolas Blanchard. Souvenez-vous en, la prochaine fois que vous verrez un petit fantôme se faufiler dans les rues.
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